Illustration d’une écharpe tricolore bleu blanc rouge d’un élu de la République. Photographie de Nicolas Guyonnet / Hans Lucas. (Photo by Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Derrière les démissions des maires dans le Rhône, l’impitoyable et brutale réalité des mandats  

Alors que onze démissions de maires ont été enregistrées dans le Rhône depuis 2020, les élus ont de plus en plus de peine à assurer leur mandat. Derrière ce phénomène, qui s’étend aux communes rurales, se cachent des difficultés diverses. Pour Lyon Capitale, les édiles confrontés à celles-ci, mais actuellement en poste, témoignent. 

Le constat est dressé par le président du Département, Christophe Guilloteau : “Dans ce mandat, onze démissions et un suicide dans le Rhône !” Jamais, après quatre ans de mandature, autant d'édiles n'avaient quitté leurs fonctions. Pour Christophe Guilloteau, leur travail vaut au moins “une reconnaissance particulière”, qui plus est “parfois dans l’ingratitude la plus complète”, ajoutait-il dans son discours de vœux

450 démissions de maires chaque année

Appuyant ces propos, une enquête menée en 2024 par l’Association des maires de France (AMF) et le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) faisait état d’environ 1 300 démissions de maire depuis le mois de juin 2020. La cadence serait donc de 450 démissions chaque année, soit une centaine de plus qu’au cours de la précédente mandature. Dans le Rhône comme à l’échelle nationale, les raisons des démissions sont multiples et peuvent évidemment varier en fonction des particularités des communes. Pour autant, tous les élus interrogés s’accordent sur un point que relève Sylvain Sotton, président de l’Association des maires ruraux (AMR) du Rhône : “La charge mentale est beaucoup plus lourde qu'autrefois”. 

Sylvain Sotton, maire de Beaujeu
Sylvain Sotton, maire de Beaujeu

Une autre enquête, à laquelle ont participé près de 5 000 maires en France, pilotée par le Centre de sociologie des organisations (Sciences Po et CNRS) et soutenue par l’AMF, révélait en novembre dernier que 83 % des maires estiment que leur mandat est “usant pour la santé”. En première ligne, contraints de travailler les week-ends ou après des journées de travail, les édiles sont pour certains poussés dans leurs derniers retranchements. Aussi bien les plus expérimentés que les “novices”. Lyon Capitale donne la parole à certains d’entre-eux pour tenter de décrypter ce phénomène.

Des démissions nombreuses dans les communes rurales

Dans son enquête, l’AMF note que 6 % des édiles interrogés ont “souvent envisagé” de démissionner au cours de leur mandat. 39 % l’ont “quelquefois” envisagé et 52 % n’y ont jamais pensé. Autre symbolique de cette mandature débutée en 2020 : ce phénomène s’étend au-delà des agglomérations. “Nous, les maires ruraux, n’avons pas les moyens humains derrière”, explique Sylvain Sotton. D'autant que les indemnités touchées par les maires sont parfois très éloignées de la charge de travail occasionnée. Pour autant, cette raison n'est pas évoquée par les élus en question au moment de leur départ.

(collectivites-locales.gouv)

Parmi les onze démissions relevées dans le Rhône depuis le début des mandats, au moins six concernent des anciens maires du Beaujolais. Les raisons menant à cette prise de décision sont multiples : désaccords avec la majorité, problèmes de santé ou difficultés administratives. Les démissionnaires que nous avons cherchés à joindre n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Thomas Duperrier, lui, a été réélu pour un second mandat en 2020 à la tête du village de Frontenas (950 habitants). À plus d’un an du scrutin municipal, il sait déjà qu’il ne retentera pas sa chance en 2026. Durant son actuel mandat, il a même fait partie des 39 % d’édiles à avoir envisagé “quelquefois” de démissionner. “J’y ai pensé suite à un problème de santé. J’ai vécu une période de surcharge au début de l'année 2024 avec une concordance d’événements personnels et professionnels, sur deux plans puisque j’ai donc deux métiers”, explique celui qui dirige un établissement pour personnes âgées. Et d’ajouter : “On s'engage moralement auprès de la population. Démissionner d’un mandat de maire, ça ne se fait pas aussi facilement qu’un emploi”.

Une complexité administrative et des situations financières délicates à gérer 

Unanimes, les maires ruraux pointent principalement du doigt les charges administratives qui leur sont imposées. Notamment ceux à la tête d’une commune de moins de 1 000 habitants, dont le service administratif est généralement composé d’un seul fonctionnaire. “On ne peut pas continuer de charger les secrétariats. Donc, les élus prennent encore plus et font des choses qu’ils ne faisaient pas avant. Et on ne peut pas se permettre d’augmenter nos charges salariales. C’est devenu plus complexe”, illustre le président des maires ruraux du Rhône. 

Pour les communes de moins de 2 000 habitants, qui ne peuvent disposer d’un Directeur général des services (DGS) et d’une équipe pour l’accompagner, c’est à l’édile de tenir les manettes administratives. Des missions “de plus en plus chronophages” pour Sylvain Sotton. Thomas Duperrier reprend : “Dans toutes les demandes, il y a un goulot d'étranglement autour du maire. C’est lourd à gérer”. 

Marylène Millet. (@Laurent Vella/Ville de Saint-Genis-Laval)

Pour les villes plus imposantes, particulièrement dans la métropole de Lyon, ce sont surtout les marges de manœuvre réduites qui pèsent sur les maires, parfois impuissants. Encore plus quand ils ne sont pas élus au conseil métropolitain. “C’est une complexité supplémentaire, alors qu’une grande partie des compétences - autrefois communales - ont été transférées (voiries, urbanisme, logement social, etc.). C’est un vrai défi, car on a moins de marge de manœuvre. On doit composer avec des décisions métropolitaines, parfois en contradiction avec nos projets”, complète Marylène Millet, maire de Saint-Genis-Laval depuis 2020. 


Marylène Millet, maire de Saint-Genis-Laval


Débouchant dans certains cas sur l’annulation ou le report de ces projets. Ce qui peut avoir tendance à rajouter une impression d'inaction de la mairie auprès des habitants. La première femme à la tête de Saint-Genis-Laval a aussi été confrontée à la perte de ses compétences d'urbanisme en raison de ses carences en logements sociaux. L’objectif de la préfecture du Rhône était ainsi de respecter la loi SRU qui impose aux communes de plus de 3 500 habitants de disposer de 20 à 25 % de logements sociaux. “On est pris entre des injonctions contradictoires. La préfecture n’a pas eu de résultats, mais on continue d’être sanctionnés. On a le sentiment de ne pas être respecté dans notre travail. Et pas seulement le mien, mais aussi celui de mes équipes”, lance Marylène Millet.

Un constat qui avait été partagé précédemment par Claude Cohen, maire démissionnaire de Mions, déplorant lui aussi la perte de ses compétences d'urbanisme et les baisses des aides de la Métropole de Lyon. Ce dernier avait également fait écho d'insultes antisémites, (sur)médiatisées par la presse nationale, et qui venaient pointer une autre difficulté pour les maires : la hausse des agressions à leur encontre - dont Lyon Capitale y consacrait une analyse en mai 2022. 

Mickaël Paccaud (à gauche) est le nouveau maire de Mions. © Romane Chopard

Violences, tensions… 

Cette même année où un bond de 32 % des violences contre des élus avait été enregistré. Un phénomène qui, comme nous l’expliquions en 2022, avait notamment touché les élus à la tête des villes de Bron, Villeurbanne, Mions, Grigny, Givors et du 8e arrondissement de Lyon. Mais à l’instar des difficultés administratives et financières qui s’étendent aux mairies rurales, la violence n’épargne pas leurs élus. La proximité avec leurs habitants, autrefois une singularité des villages et surtout un atout, peut aujourd’hui devenir une lourde contrainte à assumer. 

Je suis tout le temps dans la rue, on m’apostrophe. Même si ça me permet de faire de la pédagogie, les tensions se sont un peu exacerbées à la sortie du Covid. Il y a un vrai mal-être, qui se ressent dans la société en général, tranche le président de l’AMR du Rhône. Mais globalement, les agressions directes, je ne pense pas qu’on en ait autant que ça. Ce sont surtout les : ‘Le maire a fait ci, le maire a fait ça”. Ça revient à nos oreilles et là, il faut être blindé mentalement. La nuit, on se réveille parce que ça nous trotte dans la tête.”

En octobre dernier, dans ce cadre, une convention a été adoptée entre la procureure du tribunal de Villefranche et les présidents des associations des maires du Rhône et de la métropole de Lyon. Ce nouveau protocole entre le parquet et les maires doit permettre la simplification des échanges, afin notamment de suivre ces derniers dans ces affaires de violence à leur encontre. 


Sylvain Sotton, président de l'Association des maires ruraux du Rhône


Mais in fine, la justice parvient-elle à retrouver et sanctionner lourdement les auteurs ? Lundi 30 septembre dernier, le maire LR de Mions, Mickaël Paccaud, est pris à partie par un homme. Menaçant, l’individu est arrêté par les forces de l’ordre, qui retrouve un couteau et un cutter sur lui. Condamné à six mois de prison ferme le 2 octobre dernier, il a finalement été libéré courant janvier. “Moi, ça me fait peur, partage le maire de Mions. J’ai écrit au ministre de l'Intérieur à ce propos et je suis en lien avec la préfecture. On est quand même face à un individu qui avait de sacrés antécédents. (...) Le pire, c’est qu’il est toujours sur la commune. Ici, j’ai ma famille, tout le monde. Donc, on fait quoi ? On ne se déplace plus dans la commune ?

S’il déplore un cas isolé, loin du respect que lui accorde la plus grande majorité de ses habitants, Mickaël Paccaud blâme : “Il y a un gros travail à faire au niveau de l’État pour qu’il y ait une réponse et que le citoyen sente que derrière chaque acte, il y a de la fermeté pour tout le monde”. Par ailleurs, les tensions politiques à l’échelon national depuis le printemps dernier ont quelque peu libéré la parole, partagent les quatre maires interrogés par Lyon Capitale. Mais au-delà d’incivilités isolées, ils remarquent surtout une perception totalement différente par leurs habitants des politiques nationales et locales. Aujourd’hui encore, le maire est vu comme le dernier rempart de la démocratie. S’il est encore loin de s’écrouler, cet édifice laisse néanmoins apparaître quelques fissures. 

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