Enquête sur un réseau d'amitié constitué d'une élite féminine française et qui promeut un « visage souriant » du système Ben Ali.
La fête devait être somptueuse. Les salons d'un palace parisien, le Shangri-La, avaient été réservés pour célébrer, mardi 25 janvier, les vingt ans de l'association EFT (Echanges franco-tunisiens). En guest stars : Frédéric Mitterrand, le ministre français de la Culture, et Abdelwahab Abdallah, « ministre conseiller chargé des Affaires politiques auprès du président de la République de Tunisie ».
Honni par les Tunisiens, « AA » a été limogé jeudi 13 janvier par Ben Ali juste avant sa fuite. Depuis, la réception parisienne a été annulée. Et son grand ordonnateur, Hosni Djemmali, le fondateur d'EFT, s'est mis aux abonnés absents. Cet homme d'affaires franco-tunisien, patron des clubs de vacances Sangho et éditeur de l'inénarrable magazine Tunisie Plus, laisse une femme, Valérie Dell, son assistante, répondre à sa place.
« Les femmes et la Méditerranée sont les deux passions d'Hosni »
Les femmes, c'est la marotte de ce septuagénaire. Depuis huit ans, il s'est escrimé à bâtir, en marge d'EFT, un réseau baptisé « Femmes de Méditerranée » – « parce que les femmes et la Méditerranée sont les deux passions d'Hosni », explique Valérie Dell.
Officiellement, il s'agit, en leur offrant deux jours tous frais payés au soleil, de faire se rencontrer des femmes françaises, tunisiennes et marocaines – selon que le club Sangho choisi pour accueillir le « séminaire » se trouve au Maroc ou en Tunisie. Le casting français, variable selon les éditions, réunit en général :
- des femmes qui occupent des positions d'influence dans différents médias (Marie-Odile Amaury, la propriétaire du Parisien, de l'Equipe et du Tour de France ; Christine Goguet, cadre au Parisien ; Carole Bellemare, croqueuse de « Décideurs » au Figaro ; Myriam Multigner, désormais directrice de la communication de Public Sénat…) ;
- des femmes politiques (Christine Boutin, Najat Vallaud-Belkacem…) ;
- un paquet de « femmes de » (l'épouse de Jean-David Levitte, conseiller diplomatique à l'Elysée ; celle d'Eric Woerth, invitée quand son mari était encore ministre du Budget ; celle de Nicolas Charbonneau, rédacteur en chef au Parisien…) ;
- et une… « belle-soeur de », celle de Nicolas Sarkozy.
La complainte de Florence Woerth
Cette assemblée hétéroclite a parfois été le théâtre d'échanges de haute volée. Une journaliste raconte :
« Une anthropologue nous parlait depuis un moment de la réforme de la Moudawana [droit de la famille, ndlr] au Maroc. Florence Woerth s'est alors plainte du fait qu'on parlait des femmes maghrébines depuis des heures et qu'il serait bon de s'intéresser au sort des femmes du CAC 40 confrontées à de douloureux problèmes de parité. »
Sollicitée via son avocat, Florence Woerth n'était pas joignable ces derniers jours pour confirmer l'épisode.
Si certaines « femmes Sangho » ont enchaîné les sessions sans se poser de questions, d'autres se demandent toujours où ce « cher Hosni » veut en venir. Florence Noiville, du Monde des livres – par ailleurs épouse de Martin Hirsch – a accepté une fois, début 2010, l'invitation de Djemmali. Motif invoqué : la présentation de son ouvrage « J'ai fait HEC et je m'en excuse ». Réinvitée plusieurs fois depuis, elle a « toujours dit non » :
« Je me suis dit, compte tenu des autres participantes, que cette personne [Hosni Djemmali, ndlr] était intéressée par le fait de constituer un groupe d'influence. »
L'attaché de presse du régime de Ben Ali en France
Mais au profit de qui ? Des participantes ont identifié « une part évidente de lobbying » en faveur du groupe Sangho et de la Tunisie.
Gérante de portefeuille, Christine Mulot-Sarkozy (la fameuse belle-sœur) croit pouvoir se rassurer en soulignant qu'elle n'a « jamais entendu Hosni parler politique » au bord de la piscine. « Il ne s'occupe pas de politique », jure en écho le magistrat Georges Fenech, ancien député UMP et actuel président d'EFT. « Oui », concède-t-il, « Hosni construit un réseau, mais un réseau d'amitié. »
Un officiel tunisien déchu juge ces propos bien naïfs : « Hosni Djemmali est un homme intelligent. Il est plus subtil que ça. » Il assure qu'au palais présidentiel de Carthage, Djemmali était considéré comme l'attaché de presse du régime de Ben Ali en France.
Selon la journaliste Catherine Graciet, coauteure de « La Régente de Carthage » :
« Djemmali, homme affable, devait promouvoir un visage souriant de la Tunisie. Il faisait partie d'un plan de communication global destiné à vendre le système Ben Ali. »
En phase avec la conviction du publicitaire Jacques Séguéla, pour qui « les pays sont des marques ».
Reste que, selon une essayiste invitée par l'hôtelier :
« Sangho, c'est sympa, mais c'est quand même pas le Hilton. Si c'est avec ça que les élites françaises se laissent acheter, c'est un peu pathétique. »
► Mis à jour le 19/01/2010 à 16h40. Correction du titre de Myriam Multigner.
Illustration : capture d'écran de la page d'accueil du club Sangho
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