Les deux surveillants de la prison de Lyon-Corbas ont écopé de jours-amendes pour avoir frappé un détenu.
Il est rarissime que ce genre d’affaire parvienne à la barre d’un tribunal. En condamnant, mardi 29 juin, deux surveillants de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas pour des violences sur un détenu, le tribunal correctionnel de Lyon a-t-il voulu faire un exemple ? Le juge Michel Alex a tenu à expliquer le verdict "les violences volontaires ne sont pas admissibles".
Pourtant, en les condamnant à des jours-amendes et non à de la prison avec sursis, comme le demandait le procureur, le tribunal a "reconnu que le travail de surveillant n’est pas facile", comme l’a précisé le juge. Le 8 juin, jour du procès, trois surveillants étaient appelés à la barre. Tous ont raconté, peu ou prou, la même version.
Dans la nuit du 16 mars, vers 20h40, le major P. est averti du déclenchement d’une alarme incendie dans une cellule du quartier disciplinaire. Il appelle la cellule par l’interphone. Pas de réponse. Il décide d’aller voir avec cinq autres surveillants. A l’intérieur de la cellule, il y a le "Petit Jo", comme le surnomme certains détenus de Corbas malgré son mètre quatre-vingt trois. A 23 ans, ce détenu totalise 24 condamnations.
La boîte noire de la cellule
Jusque là, les récits des surveillants et du "Petit Jo" coïncident. En revanche deux versions se sont opposées à la barre pour expliquer ce qui s’est déroulé à l’intérieur de la cellule. Selon le major P., quand il ouvre la porte de la cellule, il voit dans le noir le détenu sur son lit en train de fumer une cigarette. "Je lui ai demandé pourquoi il avait déclenché volontairement une alarme. Et je lui ai précisé que s’il recommençait, je devrais lui confisquer son tabac".
C’est là que le "Petit Jo" se serait précipité sur lui. Le major P. dit lui avoir asséner une gifle pour se dégager. Les deux autres surveillants l’auraient maîtrisé sur son lit en lui tenant les bras et les jambes. A l’audience, la projection du film vidéo de la caméra du couloir a montré que l’intervention a duré moins de trois minutes et que le major est sorti de la cellule passablement énervé. "Je l’ai traité de pointeur" (ce qui signifie un “délinquant sexuel” dans la langue de la prison, ndlr), reconnaissait le surveillant.
La parole du détenu entendu
Le "Petit Jo" racontait sa vision de l’intervention des surveillants : "J’ai entendu qu’on appelait à l’interphone mais je n’ai pas répondu car ils appellent souvent la nuit pour se moquer de nous. Quand le gradé est arrivé. Il m’a dit : "tu cherches quoi ?" puis il m’a mis deux, trois coups. Un autre m’a frappé derrière la tête. Un troisième m’a fait glisser sur le sol et m’a maintenu à terre". Le major P. aurait alors appelé les trois autres surveillants pour venir le rouer de coups.
Des violences constatées
Quelques soient les versions, les médecins ont constaté des ecchymoses sur la tête et aux jambes mais n’ayant pas entraîné de jours d’interruption temporaire de travail (ITT). Le médecin légiste a conclu que "l’hypothèse de l’intervention d’un tiers était la plus probable pour expliquer ces ecchymoses”.
Un jugement en deçà du réquisitoire
Le procureur de la République avait requis de trois à cinq mois de prison avec sursis pour trois des surveillants. "On ne saurait tolérer qu’ils se comportent de manière aussi délictueuse que ceux qu’ils surveillent". Comparé au réquisitoire, le jugement du tribunal correctionnel est plus modéré. Deux des trois surveillants écopent de 120 jours-amendes à 40 euros pour le major et de 60 jours à 30 euros pour l’autre surveillants. Ces condamnations ne seront pas inscrites à leur casier judiciaire.
Une intervention “à l’ancienne” ?
Selon l’avocat du major, Yves Sauvayre, “le tribunal a fait la part des choses” : “Mon client a reconnu qu’il avait eu un comportement un peu impulsif sur une agression dont il a été victime. La décision tient compte du caractère occasionnel de ces faits-là et du passé exempt de tout reproche”. Et il précise : “s’il avait été dans le fonctionnement actuel, il aurait fait tout de suite un rapport et on n’aurait pas jeté sur son comportement le voile de suspicion”.
Les syndicats de surveillants, qui étaient montés au créneau, avant le procès, pour dénoncer des “calomnies” (lire article) étaient fortement représentés à l’audience et le jour du jugement. “Ce sont des condamnations certes modérées mais lourdes financièrement. Elles sont totalement inacceptables surtout pour le deuxième surveillant qui n’avait pas reconnu les faits”, a déclaré Pascal Rossignol, le délégué régional de l’UFAP.
Depuis cette affaire, il précise que “le personnel va travailler avec la peur d’avoir un incident de détention qui génèrerait le passage devant une juridiction répressive. Et quand on est personnel de la Justice, il n’y a rien de pire que d’être condamné par ses pairs”.
Ou des “violences ordinaires”?
L’Observatoire Internationale des Prisons (OIP) dénonce une fois de plus, par la voix de sa coordinatrice régionale, l’“omerta” de l’administration pénitentiaire sur cette question. Lors d’un récent colloque à l’institut médico-légal de Lyon, le directeur de l’interregion Rhône-Alpes/Auvergne a avancé les chiffres de 172 agressions contre personnel et de 254 agressions entre détenus, depuis le début de l’année 2010. Il semble qu’il ait oublié une catégorie de violence dont le tribunal de Lyon vient de démontrer l’existence. Celle que peut exercer le personnel à l’encontre des détenus.