REPORTAGE - On estime à 700 000 le nombre de Syriens ayant quitté leur pays depuis le début de la guerre. En Europe, des familles de classe sociale élevée se sont ainsi installées pour fuir le conflit. Rencontre à Lyon avec l'une d'entre-elles dont les enfants sont éparpillés au quatre coins du monde.
L'appartement est spacieux, mais encore peu meublé. Une télévision écran plat, un canapé, une table basse. Le confort, sans agréments superflus, ni décorations. Diana et Nacer habitent le 8e arrondissement de Lyon depuis le 14 octobre. "Malgré nos biens, notre situation ne nous permettait pas de louer un appartement en France, explique-t-il. Heureusement, mon neveu, ophtalmologue à Lyon, a accepté de se porter caution sans hésiter." Nacer, 54 ans, parle couramment français, malgré un fort accent. Comme une majorité de Syriens éduqués, il a poursuivit ses études de médecine à l'étranger et a choisi la Roumanie, puis la France pour sa spécialisation en pédiatrie. A Lyon, plus d'une dizaine de familles, comme la leur, ont ainsi élu domicile depuis la crise en Syrie.
D'Anciens chrétiens aisés de Damas
Avant, Nacer et Diana menaient une vie ordinaire de chrétiens aisés à Damas, dans un quartier bourgeois, à proximité de la place Abbasid. Leurs quatre enfants habitaient non-loin de chez eux. Les chrétiens représentent environ 10% de la population du pays. "On vivait bien", résume Diana, qui occupait un poste agréable dans la couture et la mode, tandis que son époux exerçait la pédiatrie dans son cabinet d'un hôpital damascène. Même quand la capitale syrienne a commencé à se transformer en champs de bataille, la famille n'a pas immédiatement envisagé le départ. "J'ai cru que ça allait se calmer, raconte Nacer. Mais ça s'est aggravé."
A l'hôpital, il soigne des enfants qui présentent de véritables blessures de guerre, "des enfants déchirés, auxquels il manque des membres." Chaque jour, les bombardements sur la ville font de nouveaux morts. "Des amis ont perdu leur fils, explique Diana. Il rentrait simplement de l'université à pied. L'explosion a laissé un trou de 10 mètres sur la route. Il n'y avait plus de corps. Il a fallu procéder à des tests ADN sur des morceaux de corps pour certifier qu'il était décédé. Alors j'ai pensé à mes propres enfants. Pendant les bombardements, nous nous réfugions dans la salle de bain." Au Moyen-Orient, la salle d'eau est souvent la plus sure, située au centre de la maison, sans contact avec les murs extérieur.
"La religion, c'est entre les dieux, pas entre les peuples"
Mais une autre menace s'est mise à planer sur les chrétiens de la bourgeoisie damascène : les enlèvements. Les islamistes, intégrés à l'armée libre, auraient pris l'habitude de kidnapper les gens aisés pour rançonner leur famille. "La France, en soutenant les forces rebelles, ferme les yeux sur ces actes criminels", déplore Nacer. Son frère, dirigeant d'un laboratoire, aurait lui-même été menacé d'enlèvement. On lui a réclamé un million d'euros. Après quarante ans de pouvoir aux mains de la minorité alaouite, dont fait partie Bachar Al-Assad, les extrémistes de la majorité sunnite sembleraient vouloir une revanche sur toutes les minorités. En particulier les chrétiens, qu'on a souvent dit proches du régime des Assad. "La Syrie est désormais en guerre de religion. Mais la religion, c'est entre les dieux, pas entre les peuples", relève Nacer.
Nacer, Diana et leurs quatre enfants ont attendu leurs visas français pendant un mois, via l'ambassade de Beyrouth. Ils auraient été refusés pour deux de leurs enfants. "On vivait tous dans le même quartier, regrette Diana. Maintenant, la famille est déchirée. J'ai un fils en France, un à Moscou, et mes deux filles sont parties à Dubaï." A Lyon désormais, le couple ne sait pourtant pas vers quel avenir se tourner. A 54 ans, Nacer a essayé de trouver un emploi à Lyon, en vain. Il va donc partir prochainement, seul, vers La Rochelle où on lui a proposé du travail à l'hôpital. Une nouvelle fragmentation pour la famille qui ne nourrit presque plus d'espoir du retour. "Tout est fini, tranche Diana. Il n'y a plus de Syrie. De plus en plus, je crois qu'on n'y rentrera pas."