Didier Migaud épinglé par la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes

Nommé à la tête de la Cour des comptes, Didier Migaud préside depuis 1995 la communauté d'agglomération de Grenoble. Son action a été épinglée par la Cour régionales des comptes.

Curieuse situation : le député socialiste Didier Migaud a été nommé mardi matin à la tête de la Cour des comptes, alors que la chambre régionale des comptes (CRC) de Rhône-Alpes a rendu il y a quelques semaines un rapport pointant la gestion parfois hasardeuse, le recours à des emprunts toxiques et les finances dégradées de la communauté d'agglomération de Grenoble, qu'il préside. Joint par Rue89, Didier Migaud conteste cette interprétation.

Ce rapport définitif (il tient compte des observations du président) pour les années 2003-2007, dont Rue89 a obtenu copie, est toujours confidentiel puisque Didier Migaud ne l'a pas encore communiqué aux élus de l'agglomération, comme la loi l'y oblige. Le rapport souligne de nombreuses qualités dans la gestion de Didier Migaud en tant que président de la communauté d'agglomération de Grenoble Alpes Métropole, communément appelée « la Métro ».

Ainsi, "s'agissant de la fiabilité de ses comptes, la démarche innovante adoptée et inspirée de la Lolf [dont Migaud est considéré comme l'un des “pères”, ndlr] peut être notée, de même que les taux satisfaisants de réalisation des prévisions budgétaires".

Des procédures « doivent être peaufinées »

Mais la synthèse de début de rapport embraye immédiatement sur plusieurs choses qui "doivent être peaufinées". Il s'agit des "procédures de transfert de charges et de produits entre budget principal et budgets annexes, de reprise des résultats, du rattachement des charges et produits à l'exercice, des restes à réaliser, d'établissement d'un inventaire des biens exhaustifs, et, plus au fond, les estimations des charges transférées".

En résumé, et en langage plus simple : le président de communauté d'agglomération Didier Migaud a, au mieux, fait preuve de légèreté dans le rendu comptable de sa gestion et, au pire, usé d'artifices. Ce que réprouverait certainement le président de la Cour des comptes...

337 millions d'euros de dettes

Plus grave : l'agglomération de Grenoble, qu'il préside depuis 1995, est dans une situation financière très alarmante qui s'est dégradée ces dernières années, selon la chambre :

"L'encours de la dette a cru de 54,5%, passant de 218 354 776 euros au 31 décembre 2004 à 337 513 615 euros au 31 décembre 2007, ce qui place la Métro, en terme d'encours de la dette par habitant par rapport aux recettes réelles de fonctionnement, dans une situation particulièrement défavorable, comparée aux autres communautés d'agglomération de même taille". Fin 2006, la dette par habitant dans l'agglomération de Grenoble était de 774 euros, contre 159 euros à Saint-Etienne, 130 euros à Toulon, 111 euros à Rennes et 30 euros à Rouen. "Un fort endettement que le rythme soutenu des investissements n'a pas permis de ralentir", synthétise la chambre.

Migaud : comparer ce qui est comparable

Joint par Rue89 mardi après-midi, Didier Migaud - qui devrait démissionner dans les prochaines heures de la présidence de la Métro - souligne que la capacité de désendettement de la communauté a été ramenée à 9 ans environ (entre 10 et 11 ans selon sa réponse au rapport), et surtout, que les différentes agglomérations ne sont pas forcément comparables : "toutes n'ont pas le même champ de compétence, entre transports, assainissement, eau… De plus, toutes n'ont pas la même façon d'élaborer leurs comptes, entre le budget principal et les différents budgets annexes".

Cette remarque est surprenante : il est difficile de croire que pour contrôler la collectivité dirigée par celui qui était président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, la CRC ait dépêché un magistrat capable de comparer des choux avec des navets. Mais c'est possible.

26,3% de la dette est constituée d'emprunts « toxiques »

Pour pallier cet endettement (notamment dû à la construction du grand stade des Alpes), Didier Migaud (à qui le conseil de communauté délègue chaque année sa compétence en matière de « couverture du risque de taux ») a eu recours à une forte proportion de produits financiers structurés, connus depuis quelques années sous le vocable de "produits toxiques" : 26,3% de l'encours de la dette, soit 88 802 976,30 euros, selon l'annexe au compte administratif 2007.

La chambre décrit le fonctionnement de ce type de produits, qui a déjà causé des problèmes à différentes collectivités locales, de gauche comme de droite : "Lorsque le taux d'intérêt payable dans l'année a une incidence sur la comptabilité de l'exercice, il est tentant de renégocier un prêt chaque fois que le taux est susceptible d'augmenter, quitte à accepter un niveau de risque plus important, mais qui n'a pas d'incidence directe au point de vue comptable".

Selon Didier Migaud et le directeur général des services (DGS) de la Métro, Serge Darmon, lui aussi joint par Rue89, le taux de produits réellement "toxiques" est beaucoup plus faible.

Un « hold up » de 3 millions d'euros, selon un opposant

La dette s'élève aujourd'hui à 350 millions d'euros, sur lesquels "seul un emprunt de 17 millions d'euros constitue un risque qui peut être relativement élevé", affirme Serge Darmon. "Le fait qu'il y ait un risque ne signifie pas forcément qu'il y aura perte pour le contribuable", ajoute-t-il. En retenant la définition de la chambre pour les "produits structurés", leur taux serait aujourd'hui de 19% environ.

La chambre pointe un versement de 3 millions d'euros effectué en 2006 par la régie de l'assainissement vers le budget principal de la Métro. Ce versement "est fondé sur deux délibérations contradictoires", constatent les rapporteurs. Pour Raymond Avrillier, ancien vice-président (écologiste) de la communauté, il s'agit là d'un "hold-up". "Le versement s'est effectué en toute transparence", répond Didier Migaud, qui souligne que si ça n'avait pas été le cas, il n'y aurait pas pu y avoir de recours devant le tribunal administratif…

Le nouveau plus haut magistrat comptable de France, qui sera chargé de mettre en œuvre la réforme du contrôle des finances locales annoncée par le gouvernement, ajoute que "même la certification des comptes de l'Etat se fait avec des réserves. Il faut tenir compte de ces réserves, qu'il ne faut pas instrumentaliser politiquement".

Il vise là Raymond Avrillier, qui trouve Didier Migaud "très compétent" : "je suis en bon terme avec lui. Mais il y a eu un certain nombre de tours de passe-passe, en particulier sur les années 2006, 2007 et 2008".

Conformément à la loi, la chambre régionale des comptes a transmis le rapport au préfet et au trésorier payeur général de l'Isère. Si le premier a bien fait son travail, l'Elysée ne pouvait pas ignorer que Didier Migaud n'a pas fait preuve de qualités de comptable exemplaires avant sa nomination au poste (irrévocable) de premier président de la Cour des comptes.

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