Wei Jingsheng à l'ISCPA

"Dirigé par une dictature, Interpol peut devenir dangereux"

Quatre-vingt personnes étaient réunies ce mercredi autour du "plus dangereux des dissidents chinois", Wei Jingsheng. Dans le cadre d’une conférence organisée par Lyon Capitale à l’ISCPA de Lyon, le "père du mouvement démocratique chinois" a exposé ses inquiétudes quant à l’élection de Meng Hongwei, chef de la police secrète chinoise, à la tête d’Interpol.

Le 10 novembre dernier, Meng Hongwei, Vice-Ministre de la sécurité publique et chef de la police secrète chinoise, était élu président d’Interpol. Un vrai sujet d'inquiétude pour Wei Jingsheng, réputé "le plus dangereux des dissidents chinois" par le régime. Il a donc demandé à rencontrer les dirigeants d'Interpol, dont le siège est à Lyon. Ces derniers ayant refusé de le voir, Wei Jingsheng a fait le choix de répondre à l'invitation de Lyon Capitale et de venir malgré tout à Lyon, où il a pu tenir une conférence de presse, avant de rencontrer les étudiants en journalisme de l'ISCPA et les lecteurs de Lyon Capitale.

"Un régime de plus en plus autoritaire"

Devant une salle émue et attentive, Wei Jingsheng a osé établir un parallèle avec les pages sombres de l’histoire d’Interpol : en 1940, l’organisation était en effet passée sous le contrôle de la Gestapo, avec à sa tête Reinhard Heydrich, SS et criminel de guerre nazi. "Les nazis se sont servis d’Interpol pour arrêter des juifs, la Chine pourrait faire la même chose aux opposants du régime" estime le dissident, qui poursuit l'analogie : "Hitler s’est attaqué aux étrangers et aux juifs parce qu’il pensait que son peuple était supérieur. En Chine, Xi Jinping refuse de donner la démocratie aux Chinois car il les croit inférieurs. C’est pire". Pour lui, la nouvelle présidence d’Interpol est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans un contexte d’évolution du régime chinois vers une forme "de plus en plus autoritaire". Il soupçonne par ailleurs le gouvernement d’avoir corrompu les membres de l’organisation internationale pour l’élection de Meng Hongwei, témoignant d’une volonté de la Chine de porter son influence au-delà de ses frontières : "les membres d’Interpol se sont réunis à Pékin pour cette élection, où ils se sont fait "arroser" par le gouvernement chinois. Interpol est une bonne organisation, mais une fois contrôlée par une dictature, elle peut devenir dangereuse".

"Xi Jinping pourrait devenir le deuxième Mao"

Wei Jingsheng craint surtout que cette nouvelle présidence offre au gouvernement chinois un accès privilégié aux informations de l'organisation policière : "La liste des chinois sur les notices rouges s’est agrandie à 300 personnes. La commission de discipline du parti, chargée notamment de la lutte anti-corruption, a fait savoir à ses membres que les criminels qui quittaient le pays seraient rattrapés par Interpol car leurs liens étaient désormais renforcés". D’après lui, Interpol aide indirectement le Président chinois à établir une dictature personnelle : "Le renforcement des liens entre Interpol et la Chine fait que Xi Jinping pourrait devenir le deuxième Mao".

Vivant désormais à Washington, Wei Jingsheng dit rencontrer discrètement de plus en plus de cadres chinois, anxieux que "le vent ne se tourne contre eux" : "beaucoup d’officiels ont déjà envoyé leur famille à l’étranger car ils se méfient du régime de Xi Jinping. Maintenant, le régime veut utiliser Interpol pour les retrouver". Des signalements dont Wei Jingsheng a d’ailleurs fait l’objet dans les années 2000, alors qu’il se rendait à une conférence sur les droits de l’Homme à l'ONU. Il avait été contrôlé et fouillé par la police genevoise suite à une notice d’Interpol qui le classait comme "terroriste". La preuve manifeste que les procédures de vérification d'Interpol peuvent avoir des failles… Interrogé à ce sujet par l'AFP, le secrétariat général d’Interpol à Lyon a affirmé que l'organisation "s’interdit absolument toute intervention à caractère politique, militaire, religieux ou racial". C'est oublier, selon Wei Jingsheng, que le gouvernement chinois est passé expert dans "l'art de monter des dossiers contre ses opposants, par exemple pour terrorisme, ou pour corruption".

Reporters sans frontières partage l'inquiétude de Wei

Dans la salle, le jeune public est conquis et se demande ce qu'il est en devoir de faire. Mais Wei Jingsheng est-il trop alarmiste ? Pas pour Reporters sans frontières. "L’indignation et l’inquiétude de Wei Jingsheng sur le danger d’avoir un responsable de la répression des défenseurs des droits humains à la tête d’Interpol, sont loin d’être exagérées" défend ainsi Benjamin Ismail, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières, dans un communiqué diffusé ce vendredi soir. RSF rappelle d'ailleurs quelques antécédents : en 2013, Interpol avait ainsi émis une "notice rouge" à l'encontre du journaliste français Daniel Lainé, à la demande du Cambodge, où il venait d'être condamné pour un documentaire à l'issue d'un procès qui avait entravé les droits de la défense. Arrêté à Cuba, il n’a pas pu être extradé faute d’accord entre les deux pays. Devant des étudiants sidérés, Wei Jingsheng a rappelé qu'un traité d'extradition avait été ratifié entre la France et la Chine (entré en vigueur en 2015). "On perd confiance en nos gouvernements occidentaux quand on passe des accords comme ceux-là avec la Chine, comme on a pu le faire avec d’autres dictatures".

Benjamin Ismail appelle alors la communauté internationale à "exiger d’Interpol des garanties contre toute instrumentalisation de l’agence et lui demander de revoir ses procédures relatives à l’émission des notices rouges, afin qu’elles ne soient pas utilisées contre ceux qui souhaitent informer sur la situation catastrophique des droits de l’Homme en Chine." Pour Wei Jingsheng, "quand on touche aux droits de l’Homme des chinois, on touche aux droits de l’Homme de tout le monde."

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