réunion publique
400 personnes étaient réunies au Tonkin, lundi 27 novembre, pour débattre des trafics de drogue et des fusillades dans le quartier de Villeurbanne @Guillaume Lamy

Drogue et fusillades : la difficile compréhension entre habitants du Tonkin et pouvoirs publics

A la suite des fusillades survenues en novembre dans le quartier du Tonkin à Villeurbanne, une réunion publique s'est tenue avec les habitants sur les actions menées, les moyens mobilisés, les difficultés rencontrées et la suite de cette mobilisation. 

Près de 400 personnes étaient réunies, lundi soir, à l'Espace Tonkin, dans le quartier éponyme, à l'initiative de la mairie de Villeurbanne.

L'idée : une série de questions réponses, avec sur scène, le maire Cédric Van Styvendael, son adjoint à la sécurité Yann Crombecque, la nouvelle préfète déléguée pour la défense et la sécurité du Rhône Juliette Bossart-Trignat, Jérôme Bourne-Branchu, nommé en juin directeur académique des services de l'Éducation nationale du Rhône et le commissaire Antoine Reymond, chef de la sûreté de la division Est.

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La salle était pleine à craquer, autant que les habitants du Tonkin, "fatigués", "exaspérés" et "en colère" contre le "pourrissement" de leur quartier, la "lente et continue dérive" de leur cadre de vie.

Depuis plusieurs semaines, le Tonkin est le théâtre de fusillades sur fond de trafics de drogue, dont le crack fraîchement débarqué dans une partie des dix à douze points de deal du quartier (sur la cinquantaine recensée par les forces de l'ordre sur le territoire de Villeurbanne).


"Dans de nombreux immeubles, c'est "Portes ouvertes à la drogue". On veut des gardiens aidés de vigiles, des caméras."
Une habitante du Tonkin


Début novembre, trois fusillades, dont deux en plein jour, avaient éclaté à proximité d'écoles, faisant un blessé grave d'une vingtaine d'années.

Lundi 27 novembre, dans la matinée, près de 200 policiers de la Direction départementale de la sécurité publique, assistés par une unité du RAID, de plusieurs équipes cynophiles et d'une partie de la CRS 83, fraîchement installée à Chassieu, ont participé à une vaste opération anti drogue. Cette intervention des forces de l'ordre faisait suite à une procédure judiciaire ouverte, au mois de juillet dernier, "des chefs de trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs, et blanchiment".

Quinze personnes, suspectées "d’être les organisateurs, nourrices, livreurs et revendeurs" du point de deal du 1-3 rue Jacques Brel, avaient été interpellées et placées en garde-à-vue. Durant la garde à vue des suspects, qui peut être prolongée pour une durée maximale de 96 heures, les enquêteurs tenteront de "déterminer le degré d’implication et le rôle de chacune des personnes suspectées".

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quartier Tonkin

Selon la préfecture du Rhône, l'opération du lundi 27 novembre a été organisée à la demande du ministère de l'Intérieur.

Le soir même se tenait donc la réunion publique au Tonkin. En plus du "plateau", quinze adjoints et élus villeurbannais sont présents, assis au premier rang. "Je ne me réfugie pas derrière l'interpellation du ministre de l'Intérieur, "y a ka faut qu'on", introduit Cédric Van Styvendael, qui avait récemment tancé l'attitude de Gérald Darmanin. Mais chacun doit prendre sa part de responsabilité et j'ai le sentiment qu'on a pris la nôtre pour une bonne partie."

Entrée en matière un peu maladroite, tout comme celle de la préfète en charge de la sécurité qui assure d'une "présence pérenne des forces de l'ordre" sur place, ce à quoi répond une longue clameur discordante.

"Rien n'a changé, tout est pire" fait savoir au maire, exposé à l'appui, une membre du collectif Tonkin Pai(x)sible, né après une fusillade, liée aux trafics de drogue, dimanche 7 juin, qui avait fait quatre blessés, dont deux grièvement. "On alerte et on répète depuis trois ans que l'école maternelle Nigritelle-Noire est encerclée par deux points de deal. C'est un scandale !". Et de rappeler que les habitants en sont réduits à déloger eux-mêmes les dealers, avec des banderoles et des chants, à leurs risques et périls.

L'inquiétante propagation du crack

Le péril, c'est aussi l'arrivée du crack, un dérivé particulièrement addictif de la cocaïne qui se présente le plus souvent sous forme de "cailloux" jaunâtres, qui, une fois inhalés, provoque de puissants effets. Et pour lequel la descente et le manque sont démultipliés, faisant cohabiter trafiquants et consommateurs, ces derniers cherchant à reconsommer au plus vite, la plupart du temps sur les lieux d'achat.

"Le crack se développe depuis deux mois, qu'avez-vous fait madame la préfète ?" questionne un autre. "Et les voitures-épaves avec de la drogue à l'intérieur ?", entend-ton ici. Un "vos actions sont un peu vaines" fuse de l'autre coté, "les policiers sont dans leur voiture, les dealers dehors." Tout le monde en prend pour son grade. Y compris les bailleurs sociaux, dont certains dans la salle, préfèrent ne pas desserrer les dents. "Dans de nombreux immeubles, c'est "portes ouvertes à la drogue". On veut des gardiens aidés de vigiles, des caméras ! Que faites-vous au juste ?!"


"Les halls sont envahis par des jeunes masqués. Vous n'imaginez pas la pression... A 21 heures, quand je gare ma voiture sur le parking, ça me prend aux tripes de rentrer chez moi."
Une habitante du Tonkin


Il y a aussi ces témoignages, qui glacent. Une femme sanglote. Ce n'est pas feint. Le cinéma, version western, c'est au quotidien pour elle. Elle explique vivre dans la peur constante. "Les halls sont envahis par des jeunes masqués. Vous n'imaginez pas la pression... A 21 heures, quand je gare ma voiture sur le parking, ça me prend aux tripes de rentrer chez moi."

Ou alors cette comédienne, prise en otage, l'année dernière, dans sa voiture par un vendeur se faisant "courser" par deux autres dealers. Appel à la police qui, dit-elle, lui répond de ne pas s'inquiéter, "ils ne se vengeront pas". Deux semaines plus tard, sa voiture était vandalisée. Elle poursuit, manifestement à bout, qu'habitant un immeuble des années 70 avec des "aérations en commun", elles "respire de la drogue à longueur de journée". Elle est aujourd'hui malade et ne peut pas démanger faute de moyens. "Je crève en silence ?!" s'époumone-t-elle.

Cédric Van Styvendael est tout en retenue face à ces témoignages, mais reste ferme pour défendre sa politique sécurité à mi-mandat. "Si une partie des critiques est en partie justifiée, je ne veux pas qu'on dise qu'on est fainéants". Et de rappeler que les effectifs de la police municipale sont passés de 30 à son arrivée, il y a trois ans, à 52 aujourd'hui, et seront portés à 75 d'ici la fin de son mandat. Ou d'évoquer le doublement des caméras de vidéosurveillance, qui sera "triplée d'ici 2026". "Les caméras ne servent pas à régler le problème du deal en direct, mais à dissuader les dealers et à faciliter le travail judiciaire." Et une voix s'élevant "de toute façon, ils sont tous masqués". Applaudissements, rires jaunes.

Jérôme Bourne-Branchu, nommé en juin directeur académique des services de l'Éducation nationale du Rhône, Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, Juliette Bossart-Trignat, nouvelle préfète déléguée pour la défense et la sécurité du Rhône, l'adjoint à la sécurité de Villeurbanne Yann Crombecque, et le commissaire Antoine Reymond, chef de la sûreté de la division Est. @Guillaume Lamy

"Le Tonkin, c'est le supermarché le plus sympa de toute la métropole de Lyon"
ironise et se désole le maire de Villeurbanne, évoquant sa facilité d'accès en tramway et sa proximité avec les étudiants


"Que personne ne se leurre, poursuit le maire de Villeurbanne. Personne ne supprimera le trafic de drogue dans six mois - réponse à un habitant qui demandait à la préfète son objectif sur le sujet d'ici le printemps prochain. Il se déplace, se déporte, ça commence déjà. On ne va pas se raconter de bobards. Il faut des procédures pour pouvoir mettre en prison."

La salle écoute. On sent une certaine incompréhension. Pourtant, chacun sait que le problème est complexe. "Je suis sous cachet à cause de tout ça", "on n'en peut plus", "on a tous peur","on veut que ça se stoppe", "aidez-nous".

Le nouveau commissaire déroule son action, la "volonté" de ses troupes sur le terrain "d'assurer que les gens vivent paisiblement". Et qu'à force de pénaliser les consommateurs ("s'il y a des dealers c'est parce qu'il y a des consommateurs") à coups d'amendes à 200 euros, "ils finissent pas dire qu'ils ne reviendront pas au Tonkin".

La préfète, dont les interventions ont systématiquement été accompagnées de soupirs exaspérés, a assuré de réunions régulières avec le procureur de la République de Lyon pour lister les adresses des points de deal, et agir. Et que le ministre de l'Intérieur suivait "de très près l'évolution de la situation au Tonkin".

Lire aussi : Fusillades au Tonkin, les 5 mesures de la préfète du Rhône

Rendez-vous a été pris dans six mois pour faire un bilan des actions de l'Etat et des collectivités. Avec cette angoisse de l'établissement d'une "colline du crack", comme à Porte-de-la-Chapelle, à Paris. Ou celui d'une balle perdue mortelle. Comme, aujourd'hui, dans presque toutes les villes de France.

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