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Le Cauchemar

DSK, Iacub, Succubes et Incubes

Les avocats de DSK assignent en justice Marcela Iacub, auteur de Belle et Bête, et son éditeur, Stock, pour "atteinte à l'intimité de la vie privée". Ils demandent l'insertion d'un encart sur chacun des exemplaires du livre, à paraître mercredi 27 février, et "à titre subsidiaire" sa saisie ainsi qu'une publication judiciaire couvrant l'intégralité de la Une du Nouvel Observateur, qui en avait publié les bonnes feuilles. Dans son ouvrage, Marcela Iacub raconte sept mois de liaison, en 2012, avec un "cochon", Dominique Strauss-Kahn – qui n'est cependant pas nommément cité dans l'ouvrage mais dont elle parle dans un entretien avec l’hebdomadaire. DSK a quant à lui exprimé son "dégoût", affirmant qu'il s'agit d'une "atteinte méprisable à [sa] vie privée et à la dignité humaine".

Ce matin dans Le Point, Philippe Tesson se fâche tout rouge et vole au secours de Dominique Strauss-Kahn et d’Anne Sinclair : "Cela suffit, l'affaire est close, on ne peut pas ne pas cracher son dégoût devant le piège que lui a tendu, à lui et à Anne Sinclair, l'auteur du livre Belle et Bête qui devrait paraître en librairie mercredi si la justice n'y met pas bon ordre", écrit-il de façon péremptoire, reprenant d’ailleurs les mêmes mots que DSK. Si Philippe Tesson évoque l’affaire du Sofitel de New York, oui, celle-ci est belle et bien close. Mais ce n’est vraiment pas le sujet et, sans même évoquer les autres affaires en cours- notamment celle du Carlton- on ne comprend pas au nom de quels intérêts supérieurs Marcela Iacub devrait être censurée.

S’agit-il de justice ? De morale ? De bonnes mœurs ? Ou, comme l’écrit M. Tesson, de "la méthode perverse utilisée par cette voyeuse obscène pour abuser sa proie, la confusion qu'elle entretient et avoue cyniquement entre la vérité et le mensonge, entre la réalité et le fantasmatique, sa prétention délirante à sauver, à l'image des saints, ceux qui sont honnis et méprisés" ?

La figure sublimée du Cochon

Même si, il me faut l’avouer, je n’ai pour l’heure, du livre de Marcela Iacoub, lu que "les bonnes feuilles" publiées dans le Nouvel Observateur, et que j’ai aussi quelque difficulté à imaginer DSK "en proie abusée", je ne vois pas en quoi la publication d’un tel ouvrage serait choquante. Tout d’abord, personne n’est contraint de l’acheter ou de le lire –ou même d’en lire ne serait-ce qu’un extrait ; il ne s’agit en rien d’un déballage inattendu au JT de 20h00 et puis surtout, DSK est, qu’il le veuille ou non, qu’il soit nommément cité ou pas, devenu la figure sublimée du Cochon, quelque part entre le Marcello, le prédateur sexuel de La Grande Bouffe de Marco Ferreri et le Giacinto Mazzatella, le patriarche borgne d’Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola.

Le sens des mots

"Je tiens à préciser, à souligner, à répéter mille fois qu'il faudrait médicaliser l'homme, l'enfermer, le neutraliser, et sauver le cochon", écrit ainsi Marcela Iacoub, dans une formule que M. Tesson décrit comme étant des "insanités", ce dernier ajoutant même : "Comprennent-ils réellement, lorsqu'ils sont en face d'eux-mêmes, ces intellectuels, ce que cela signifie ? Ou bien sommes-nous parvenus à ce point où les mots n'auraient plus de sens, où rien n'aurait plus de sens. Croire, aimer, respecter...". Qu’il faille "enfermer" ou "neutraliser l’homme", cela relève de la justice et éventuellement de la médecine, mais en rien de la littérature. Il semble d’ailleurs que Marcela Iacoub comprenne tout à fait, en face d’elle-même, ce que cela signifie, et qu’elle connaisse parfaitement le sens des mots. Un peu comme Philippe Noiret, qui avait répondu aux critiques de La Grande Bouffe, au Festival de Cannes en 1973 : "Nous tendions un miroir aux gens et ils n'ont pas aimé se voir dedans. C'est révélateur d'une grande connerie".

Le hit-parade des fantasmes

En observant l’activité des groupes d’échange de photos érotiques sur Internet, le sexologue Pascal Leleu, auteur de l’ouvrage Sexualité et Internet (L’Harmattan, 1999), a pu établir un sorte de hit-parade des fantasmes : oralité (29 %), voyeurisme-exhibitionnisme (18 %), sadomasochisme (12 %), poitrines féminines (10 %), inceste (9 %), fessée (7 %), nécrophilie (5 %), zoophilie (4 %), et même asphyxie aphrodisiaque (4 %) !… Il suffit d’ailleurs de taper le mot "sexe" sur Google pour obtenir "environ 34 700 000 résultats en 0,16 seconde". Cachez ce cochon que je ne saurai voir, ou bien faites-en l’archétype expiatoire de nos déviances sexuelles, réelles ou fantasmées.

L’indolent de l’Ante-enfer

Que Philippe Tesson, à la suite de son ex-consoeur du Point Sylvie Pierre-Brossolette, veuille ainsi "sauver l’homme" n’y fera rien. Il est déjà trop tard : DSK ne leur appartient plus, pas davantage qu’il ne s’appartient à lui-même : il est devenu dans l’inconscient collectif -et si l’on ose dire, à son corps défendant- "plus cochon qu’homme". Il n’est plus maître de son voyage et poursuit son parcours infernal dans La Divine Comédie. Comme Dante et Virgile sous la ville de Jérusalem, devant la grande porte où l’on pouvait lire l’inscription "Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance", DSK erre désormais dans un lieu hors du temps, privé de toute lumière. Il est devenu pour toujours sans doute la figure de "l’indolent de l'Ante-enfer", considérée comme indigne aussi bien de récompense, que de châtiment. Obscène ? Peut-être, mais alors au sens du latin du terme, relevé par Régis Debray dans L’Obscénité démocratique (Flammarion, 2007) : "ob-scenus : ce qui reste d’un homme quand il ne se met plus en scène".

Lire aussi : DSK : trop, c'est trop !

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