Éric Charbonnier est analyste à la direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE. À l’occasion des Journées de l’économie 2024 – dont Lyon Capitale est partenaire –, il donne une conférence sur le recul du niveau scolaire et le décrochage français. Il documente l’ampleur et les raisons de cette baisse et interroge l’impact de cette diminution du niveau d’éducation sur la productivité des entreprises, l’innovation et la croissance française.
Lyon Capitale : La dernière publication de l’étude internationale Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l’OCDE a secoué l’éducation en France. Globalement les résultats sont parmi les plus faibles jamais mesurés dans deux matières : les mathématiques qui enregistrent une baisse “sans précédent” du niveau des élèves et un “déclin” en lecture. Est-ce une surprise ?
Éric Charbonnier : Les résultats ont effectivement surpris. Entre 2018 et 2022, les performances des élèves en France ont chuté de 21 points en mathématiques (contre 15 points pour la moyenne de l’OCDE), de 19 points en compréhension de l’écrit (contre 10 points pour la moyenne de l’OCDE) et de 6 points en sciences (contre 2 points pour la moyenne de l’OCDE). Une baisse de 20 points équivaut à environ une année de scolarité, soulignant l’ampleur de cette chute. Cependant, cette tendance n’est pas vraiment nouvelle. Le déclin des résultats est observé depuis plusieurs années en France et a été aggravé par la pandémie de Covid-19, qui a eu des effets considérables. Par exemple, selon Pisa, l’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants a fortement diminué depuis la crise, tandis qu’en 2022, 67 % des élèves en France (contre 17 % en 2018) sont scolarisés dans des établissements où le manque de personnel enseignant nuit à la qualité de l’enseignement, selon les chefs d’établissement interrogés. Il est également important de noter que cette baisse de performance touche la plupart des pays, pas uniquement la France. Ceux qui ont mieux résisté – comme le Japon, la Corée ou l’Estonie – sont souvent des pays où les élèves se sentent fortement soutenus par leurs enseignants, un soutien qui fait malheureusement défaut en France.
Si le constat n’a rien de nouveau, comment explique-t-on cette longue chute du niveau scolaire français ?
Il est important de rappeler que malgré la baisse des performances, la France se situe toujours dans la moyenne des pays de l’OCDE dans Pisa, comme il y a neuf ans. Il ne s’agit donc pas d’une spécificité française. Cependant, un aspect particulièrement préoccupant est que les inégalités ne se résorbent pas en France, et c’est cet élément qui est alarmant. Il explique, en grande partie, les résultats moyens observés. En d’autres termes, lorsqu’on vient d’un milieu défavorisé en France, les chances de réussir sont plus faibles que dans de nombreux autres pays. C’est là que se situe la véritable problématique pour la France : il est crucial de faire de la lutte contre les inégalités une priorité. Il faut reconnaître que des efforts ont été faits depuis 2012, mais il est impératif de persévérer. Pendant trop longtemps, l’investissement dans les premiers niveaux de l’éducation a été insuffisant. La France a également eu des difficultés à attirer des enseignants dans les zones les plus ségréguées et à donner aux chefs d’établissement les moyens et l’autonomie nécessaires pour mettre en place des politiques efficaces. C’est là l’une des principales raisons de cette baisse de performance. Les leviers pour promouvoir l’égalité des chances doivent être activés dès les premiers niveaux d’éducation.
Comment explique-t-on toutefois les scores “à la soviétique” du taux de réussite au baccalauréat ?
Votre question soulève un paradoxe présent en France comme dans la plupart des pays. D’un côté, les performances des élèves dans l’enquête Pisa diminuent quasiment partout, c’est un fait. Mais de l’autre, le niveau global de qualification de la population augmente. En effet, un diplôme de l’enseignement secondaire (comme le bac, le CAP ou leur équivalent en France) est devenu la norme, ce qui n’était pas le cas il y a quarante ans. En France, plus d’un jeune sur deux âgé de 25 à 34 ans est désormais diplômé de l’enseignement supérieur. Cette démocratisation de l’accès à l’éducation mérite d’être soulignée. Bien que le bac soit aujourd’hui généralisé, il est important de rappeler qu’il continue d’offrir une bonne insertion professionnelle. En effet, seuls 54 % des 25-34 ans sans diplôme du secondaire sont employés en France (contre 61 % en moyenne dans l’OCDE), tandis que 78 % de ceux qui ont obtenu le bac (ou un diplôme équivalent) sont en emploi (contre une moyenne OCDE de 79 %). Ainsi, permettre aux jeunes de quitter le système éducatif avec une qualification reste essentiel pour leur insertion professionnelle. Cependant, on peut légitimement s’interroger sur la valeur de ces diplômes, face à la baisse de performance observée dans les enquêtes Pisa.
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