Une étude publiée par Santé publique France alerte sur le temps passé par les enfants devant des écrans qui excède les recommandations sanitaires.
D’après une vaste étude parue mercredi 12 avril, les enfants de 2 ans passent en moyenne 56 minutes par jour devant un écran. Une moyenne qui passe à 1h34 pour les enfants de cinq ans et demi. Soit bien au-delà des recommandations, à savoir "pas d’écran avant 2 ou 3 ans, maximum une heure ensuite", suivies par une minorité de tout-petits.
C’est un fait, les écrans sont omniprésents dans la vie de nos enfants. Si, pour certains, la pratique numérique a pour objectif d’être en lien avec ses pairs, elle s’accompagne pour d’autres d’une tendance à l’enfermement, voire à l’isolement. Les écrans sont-ils responsables ? Les parents peuvent-ils encore agir ? Explications.
Selon le baromètre Ipsos 2022 pour la Macif, 41 % des jeunes de 16 à 30 ans passent au moins six heures par jour devant leurs écrans interactifs. Ce qui représente une centaine de jours par an… Une pratique chronophage encouragée par le fonctionnement des jeux vidéo, conçus pour tenir en permanence en haleine, les algorithmes des réseaux sociaux proposant des contenus qui plaisent et incitent à y passer toujours plus de temps… Si bien que beaucoup de jeunes perdent la notion du temps, et s’enferment tout autant dans les outils numériques que dans l’espace restreint de leur chambre.
Les écrans, facilitateurs de lien social
Quoi qu’il en soit, une utilisation importante des écrans semble inévitable à l’adolescence. C’est le temps où le jeune délaisse généralement ses activités de loisir – sport, musique, lecture – pour surinvestir sa vie sociale, notamment au travers des outils numériques.
Paradoxalement, un jeune peut rester enfermé chez lui de longues heures, tout en étant en contact avec ses pairs ! “À l’adolescence, le jeune veut s’émanciper de la structure familiale. Passer du temps devant son écran est un bon moyen de trouver d’autres repères. Cela aide aussi l’adolescent un peu timide, gêné par son corps qui se transforme, à être en lien avec les autres, caché derrière un avatar. En ce sens, les nouvelles technologies ont un côté positif, car elles aident le jeune à se socialiser”, souligne Jacques Henno, docteur en sciences de l’information et de la communication, conférencier spécialiste des usages des nouvelles technologies par les enfants, et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.
“Mon fils est fan de jeux vidéo, témoigne Alexandra, mère de Léo, 17 ans. En société, il a un tempérament réservé, à l’école il participe peu, il ne prend jamais l’ascendant sur ses amis. On a découvert qu’il était devenu le leader de son groupe de jeux vidéo. Manifestement, il est très bon, et la distance des relations virtuelles lui donne une assurance qu’il n’a pas dans la vie réelle.” Par ailleurs, l’environnement citadin des jeunes leur propose peu d’alternatives pour se réunir gratuitement ou à moindre coût. “Il y a en effet une corrélation importante entre les infrastructures des villes et le temps que les ados passent devant leurs écrans. Une bande de jeunes se retrouvant dans un centre commercial n’est pas la bienvenue, tous les lieux de rencontre comme les skateparks et les MJC disparaissent peu à peu… Les jeunes se rassemblaient autrefois à l’extérieur, maintenant ils le font sur les espaces numériques”, explique Olivier Duris, psychologue clinicien à Paris, docteur en psychopathologie, auteur du livre Quand l’écran « fait écran » à la relation parent-enfant.
Une consommation d’écrans exacerbée par la crise sanitaire
La vigilance reste cependant de mise. Une consommation excessive d’écrans n’est pas sans conséquence : diminution de l’activité physique et prise de poids, baisse de la concentration avec une répercussion sur les résultats scolaires, irritabilité, troubles du sommeil… D’autant que d’après l’étude Ipsos “Parents, enfants et numérique”, réalisée en juillet 2021 pour l’Union nationale des associations familiales (Unaf) et l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), la crise sanitaire a accéléré la croissance du temps d’écran au sein des familles, et ce a priori durablement. Ce qui n’étonne personne. Entre les cours en visio, les activités en extérieur réduites et les parents absorbés par leur télétravail, les pratiques numériques ont explosé. Même si la plupart des jeunes étaient contents de retrouver leurs pairs lors des déconfinements, il reste des traces. Et, pour certains, il est difficile de revenir en arrière. “Mon fils a intégré son école de commerce en septembre 2020, à la veille du deuxième confinement, raconte Virginie, mère d’Arthur, 20 ans. Il s’est retrouvé seul, dans une chambre d’étudiant, sur un campus où il ne connaissait personne, et où tous les événements festifs avaient été supprimés du fait du Covid. Cette situation a contribué à augmenter son retrait social, ses réflexes de solitude et d’isolement, lui qui est de nature introvertie. Plus de deux ans après son intégration, il ne s’est toujours pas fait d’amis dans son école. De son propre aveu, il passe énormément de temps devant son ordinateur, regarde des vidéos, fait des recherches, lit et joue énormément aux jeux vidéo, qui représentent sa seule socialisation, puisqu’il communique régulièrement avec des gens dans le cadre de ses parties. Mais on voit bien qu’il souffre de cette situation. Ce qui était une tendance chez lui – être en retrait et passer beaucoup de temps sur les écrans – est devenu son quotidien, comme s’il y avait une régression.”
De la surconsommation à l’isolement
Certains signes doivent alerter. Le jeune n’accepte plus aucune limite de temps, ne peut plus lâcher ses écrans, même pendant certains moments familiaux comme les repas. Il s’éloigne de la vraie vie, de ses amis, désinvestit sa scolarité… Une rupture semble s’installer. “Il faut s’intéresser à la pratique numérique de son adolescent, prévient Olivier Duris. Joue-t-il seul ou avec des amis ? Sur les réseaux sociaux, a-t-il une pratique passive ou communique-t-il avec ses pairs ? Il faut voir si son usage des écrans s’accompagne d’une pratique sociale ou s’il s’isole, s’il n’a plus envie d’aller en cours… Cette coupure du lien peut s’accompagner d’une tristesse, de sentiments de mésestime de soi… Il faut alors inciter son enfant à consulter. Quelques séances sont parfois suffisantes, et peuvent bien améliorer les relations familiales.” Dans les situations les plus extrêmes, les jeunes ne sortent plus de chez eux. On les appelle alors les “nolife” ou encore “hikikomori”, terme japonais qui signifie “se cloîtrer”. “Ce phénomène d’isolement s’apparente à une phobie sociale. Les écrans ne sont pas en cause. Ils sont juste un symptôme du mal-être du jeune et constituent pour lui un refuge”, explique Jacques Henno. Un phénomène encore à la marge en France, même s’il est difficile d’évaluer le nombre de personnes touchées. “Ce syndrome d’enfermement chez soi est beaucoup plus fréquent au Japon, où les problématiques liées à la peur du regard de l’autre, à la crainte de ne pas réussir sont fréquentes, ajoute Olivier Duris. On note que ces jeunes ne sont pas forcément plongés dans les mondes numériques : ils peuvent lire, faire de la couture… L’enfermement est un moyen pour eux de fuir une problématique ou une pathologie sous-jacente.” “Ma fille se mettait dans son lit dès qu’elle rentrait du lycée, ne sortait pas le week-end… Les propositions qu’on pouvait lui faire ne lui plaisant pas : cinéma, restaurant, shopping… rien ne lui donnait envie de quitter sa chambre, se souvient Arnaud, père de Noémie, 25 ans. À cette époque, elle avait consulté une psychologue, qui l’avait un peu remise en marche. Mais on voyait bien qu’elle n’était toujours pas à l’aise dans ses relations sociales, et qu’elle avait tendance à être facilement angoissée. Quand elle a commencé à chercher un travail, son critère principal était de pouvoir télétravailler le plus possible. On voit bien qu’elle a du mal à sortir de ce cocon protecteur que représente son appartement. Elle s’enferme dans des conduites d’évitement, tout semble lui faire peur : passer son permis, voir du monde… Apparemment, elle est beaucoup sur les réseaux sociaux, regarde énormément de séries… Elle lit aussi énormément. On voudrait lui conseiller de consulter à nouveau, on ne peut pas la laisser comme ça, on a l’impression qu’elle passe à côté de sa vie.”
Le rôle des parents
Timidité extrême, tensions familiales, forte pression des parents quant aux résultats en cours, phobie scolaire… Les causes d’une consommation excessive d’écran voire d’un repli sur soi sont nombreuses. Les parents ont un vrai rôle à jouer, en amont, afin d’éviter qu’une utilisation nocive des écrans ne s’installe. Croire qu’un enfant peut être en autogestion, en arguant qu’on peut lui faire confiance, est complètement illusoire. C’est méconnaître le pouvoir d’attraction des écrans. “Les parents doivent poser un cadre, exactement comme quand on donne une heure de retour à son ado lorsqu’il sort, recommande Olivier Duris. Plus le cadre est posé tôt, plus le jeune saura s’autoréguler par la suite. Mais il n’est jamais trop tard. Avec un adolescent, on ne met pas un cadre fixe, on en discute avec lui, on s’intéresse à sa pratique des écrans… Les parents doivent également inciter leur ado à participer aux activités familiales, mais en lui faisant des propositions qui lui plaisent, pour qu’elles constituent de bonnes alternatives aux écrans.” “On n’hésite pas à leur tenir un discours de prévention, notamment en leur rappelant les mécanismes économiques des réseaux sociaux, dont l’objectif est de nous happer afin de nous montrer le plus de publicités possible, ajoute Jacques Henno. On leur explique que quand ils vont sur un réseau social, qu’ils y passent du temps, publient quelque chose ou regardent leurs notifications, ils travaillent gratuitement pour lui.” Un discours auquel les jeunes sont généralement sensibles…