Écrivain et psychiatre au Vinatier, Emmanuel Venet vient de publier Manifeste pour une psychiatrie artisanale aux éditions Verdier. Il s’insurge contre le scientisme qui gagne une discipline devant pour lui être centrée sur le patient et non sur des protocoles et dénonce également les logiques économiques qui sous-tendent cette médecine à flux tendu. Le psychiatre évoque aussi une société qui accroît les souffrances psychiques et s’inquiète d’un confinement tentant “d’essentialiser” nos activités.
Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ?
Emmanuel Venet : Oui, parce que dans la communauté médicale à laquelle j’appartiens, je fais partie des rares personnes à l’ouvrir. Une grande gueule, d’après moi, c’est quelqu’un qui peut dire librement et haut et fort le fond de sa pensée. Je me sens une grande gueule par rapport à ce que j’ai écrit dans mon dernier livre. Dans la vie, je ne suis pas un stentor qui pousse des coups de gueule régulièrement, mais là, il me semblait important de dire des choses. Dans la psychiatrie publique, beaucoup de gens pensent comme moi, mais ne sont pas en mesure de l’exprimer parce que leur statut est trop précaire. Je suis en fin de carrière et donc en situation de prendre ce risque. Je peux me faire le porte-voix de ceux qui ne peuvent tenir ces propos.
Qu’est-ce qui motive votre coup de gueule ?
La psychanalyse, qui a été hégémonique dans les années 1970-1980, a perdu son prestige au profit des neurosciences. Elle apparaît comme désuète, car elle ne quantifie pas et ne peut pas reposer sur des critères de validation scientifique. Elle est très artisanale et vue comme une survivance du passé. L’approche quantifiée a le vent en poupe aujourd’hui. C’est l’ère de la médecine basée sur les preuves. Ce courant médical est né dans les années 1980 et propose de soigner des malades en utilisant les dernières données de la science. Il s’appuie sur des études randomisées. Par exemple, entre deux médicaments, c’est celui qui a le pourcentage d’efficacité le plus important qui est choisi alors que pour un patient, c’est peut-être l’autre qui conviendrait le mieux. La psychanalyse est très éloignée de ce courant technophile qui se croit progressiste. La médecine moderne adore la numérisation, l’intelligence artificielle, les nanotechnologies ou les big data. Je fais partie des gens qui ne sont pas sûrs que les progrès techniques soient synonymes de progrès de la science. En psychiatrie, je suis loin d’être convaincu que ces nouvelles approches apporteront des progrès.
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