Ce jeudi 30 mars, trois manifestants interpellés lors de la mobilisation contre la réforme des retraites ce mardi étaient jugés en comparution immédiate au tribunal judiciaire de Lyon. Reportage.
"Le fait que l'on ne parvienne pas à arrêter des membres du blackblock m'interpelle. Peut-être, je dis bien peut-être que l'on veut faire porter le chapeau à ce monsieur." Ce monsieur, c'est un homme né en 1971, dans le box des accusés ce jeudi 30 mars en comparution immédiate. Il est défendu par Maître Para, avocat de permanence ce jour-là.
Pas de blessé, pas d'image, pas de témoin
Cheveux longs coiffés en chignon et rasés sur les côtés, père d'un garçon de 14 ans, l'homme est paniqué, en larmes, dépassé par la tournure des évènements, lui qui, deux jours plus tôt, battait le pavé lors de la manifestation contre la réforme des retraites pour selon ses mots, "marcher, voir du monde". "Je travaille, je n'avais pas de gants, pas de masque, j'ai travaillé comme cuisinier au fort de Montluc, je respecte les forces de l'ordre", lance-t-il.
"J'ai cru comprendre que le simple fait qu'il soit rue de la Barre suffisait à caractériser sa participation à un groupement violent"
Me Nicolas Para, avocat
Il est jugé pour "participation à un groupement en vue de commettre des dégradations" et pour des jets de projectiles sur les forces de l'ordre. Pas d'image, pas de témoin, si ce n'est les deux policiers l'ayant reconnu et interpellé quelques minutes après les faits, constitués parties civiles. Suffisant pour que le procureur requiert à son encontre huit mois de prison ferme avec mandat de dépôt.
"Pourquoi étiez-vous ici ?"
"Pourquoi étiez-vous ici ?" demande même le ministère public à l'homme, sous-entendu, là, à l'avant du cortège. "J'ai cru comprendre que le simple fait qu'il soit rue de la Barre suffisait à caractériser sa participation à un groupement violent, mais il est obligé de passer par ici pour continuer la manifestation", insiste Me Para qui plaide la relaxe, face à l'absence d'élément caractérisant les infractions.
"Exit vos explications sur le tracé de la manifestation, sur les personnes violentes. Aujourd'hui, c'est le procès de ce monsieur, pas celui des gens qui jettent des pierres sur les forces de l'ordre", ajoute le conseil qui obtiendra finalement la relaxe pour les faits de "participation à un groupement en vue de commettre des dégradations", et six mois de sursis probatoire ainsi qu'une indemnisation de 400 € de chaque policier au titre de leur préjudice moral pour les faits de jets de projectiles.
Une violence d'opportunité
Ce jeudi, trois manifestants étaient jugés en comparution immédiate, et six autres en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, encourant des peines plus faibles. Pourtant, le client de Me Coppard, un jeune homme de 18 ans qui débute ses études aux Pays-Bas l'année prochaine est jugé en comparution immédiate alors qu'il reconnaît les faits. Son père, arrivé de Genève le matin même l'assure, "mon fils n'a rien à voir avec ce que l'on décrit dans la presse". Accusé de dégradations et de jets de projectiles, le procureur requiert huit mois de sursis probatoire. Le tribunal le condamnera finalement à six mois de sursis simple. "J'avais peur du mandat de dépôt, surtout au vu des réquisitions dans les autres dossiers", confie Me Coppard.
"Les profils sont étonnants"
Me Laurent Bohé, avocat des policiers
Quatre dossiers prévus ce jour-là ont été renvoyés pour surcharge alors même que l'un des prévenus souhaitait être jugé. "On veut absolument juger ces manifestants tout de suite pour faire des exemples", s'insurge une avocate très remontée. "C'est la politique d'orientation du parquet, juger vite, souvent en dépit d'éléments probants", ajoute de son côté Me Para.
Le motif d'accusation "participation à un groupement en vue de" crispe tout autant les avocats. "On leur met ça sur le dos quand on ne sait pas quoi leur reprocher", estime un conseil dans les couloirs du tribunal. Très encadré notamment par la jurisprudence, la participation seule au groupement ne peut, en principe, pas suffire en l'absence d'éléments matériels. Systématiquement retenu par le procureur, avec très souvent des peines de prison à la clé, il est régulièrement abandonné par le tribunal, faute d'éléments probants.
Du pacifisme à la violence
D'autant que, comme l'a évoqué le conseil dans sa plaidoirie, les manifestants envoyés devant les tribunaux sont à mille lieux du profil "casseur d'ultragauche" imaginé par certains et relayés par les forces de l'ordre et le ministère de l'Intérieur. "Les profils sont étonnants, reconnaît Me Bohé qui a défendu de nombreux policiers depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. Ce ne sont pas des 'blackblock', ils ne sont pas masqués, ils voient des actes de violence et se disent 'je vais en commettre" mais ils ne réalisent pas qu'ils mettent en danger les policiers et se mettent en danger eux-mêmes judiciairement." "Il venait de manière pacifique et s'est laissé entraîner", juge Me Coppard concernant son jeune client de 18 ans. Un emportement qui, loin d'être le seul fait de casseurs organisés, traduit la colère de manifestants pacifiques jusqu'au déclenchement du 49.3.
"Les profils sont étonnants" En effet, en 10 ans et 3 mandats présidentiels, la société s'est fortement transformée traversée de courants contradictoires. Y compris de slogans, narcissiques et autodestructeurs. En résumé "il est interdit d'interdire" !