En retrait, que va faire le cardinal Barbarin maintenant ?

Le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, a donné une interview exclusive, à Lyon, à KTO TV, la télévision catholique. Il parle de sa démission, de son entretien avec le pape François, de son retrait du diocèse, de ses projets d'avenir. Lyon Capitale retranscrit ses propos in extenso.

 

Le 7 mars vous avez annoncé mettre votre remettre votre démission au pape François. Le matin le tribunal de Lyon vous avait condamné à six mois de prison pour non- dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs. Pourquoi le pape n'a pas voulu accepter votre démission ?

Pour une raison très simple : il me dit "quand il y a un jugement qui va être rendu en appel il y a la présomption d’innocence, par conséquent si j’accepte ta démission, je reconnais que tu es coupable, je ne peux pas faire cela. Cela dit, je comprends que tu aies envie de t'éloigner ou de t'écarter un peu". Il m'a dit "ce n’est pas à moi de prendre cette décision, c’est à toi, Rome n'a pas à intervenir dans la conduite pour un choix provisoire à l'intérieur d'un diocèse". C'est comme cela que j'ai fait ce choix.

Vous aviez pris cette décision bien avant le 7 mars...

Oui, c’est vrai. J'avais eu contact avec le pape avant aussi car il avait d'abord suivi ce procès et ensuite il m'a appelé un jour et il m'a dit "où en sommes nous ?" et je lui ai dis que de toute façon je voulais le voir. Après, je ne savais pas encore quelle serait le jugement du tribunal. Et je lui ai dis :" j'ai l'intention de vous remettre ma mission". Je ne pense pas que ce soit une bonne expression qu'un évêque remette sa "démission", il a reçu sa mission. Je lui remets ma mission, c'est une charge pastorale. Il m'a dit "très bien, on verra, as-tu pris rendez-vous ?". De fait, j'avais pris rendez-vous. Le rendez-vous a été fixé. Il n'a pas été changé après le jugement du 7 mars. J'ai fait ce que j'ai dit.

Vous avez demandé à vos avocats de préparer une note sur la procédure en cours pour expliquer en espagnol votre innocence ?

Non, c'est eux qui l'ont faite, qui l'ont proposée. Je n'allais pas refuser de la remettre au pape. Je ne peux pas vous dire si le pape l'a lue mais en tous cas je sais qu'il l'a reçue. Et quand j'étais avec lui hier, il avait un certain nombre de papiers sous les yeux.

La rencontre a duré une bonne demi-heure...

Largement, oui. On n'a pas parlé que de ça d'ailleurs. On a parlé du mois missionnaire extraordinaire, de la béatification éventuelle de Pauline Jaricot, à laquelle il tient beaucoup mais nous aussi à Lyon, on a parlé du père Henri Delubac, surtout de Saint Irénée, de la proclamation d'Irénée comme directeur de l'unité.

Le pape n'a pas voulu accepter votre démission. Pourquoi avoir voulu vous retirer de la conduite du diocèse, pendant quelque temps ?

La raison pour laquelle je lui avais proposé, quel que soit le jugement du tribunal, c'est que je trouve que mon diocèse souffre beaucoup depuis longtemps. J'ai été très marqué par la phrase de l'une des victimes, lors du procès, qui a dit : "oui, vous souffrez depuis trois quatre ans, mais est-ce que vous vous rendez compte que nous nous souffrons depuis trente et quarante ans !?". Ce qui est terrible comme phrase... Donc en pensant à eux et en pensant aussi à tout notre diocèse, je pense qu'il est temps qu'une page se tourne, qu'un nouvel élan arrive, qu'on reparte d'un nouveau pied pour une étape nouvelle après, ce qui est une grande épreuve pour tout le monde, pas que pour moi, et d'abord pour eux d'ailleurs.

Ces trois jours de procès...

Quatre.

Ces quatre jours de procès, ça a changé les choses dans votre manière de voir ?

Certainement. D'abord, je ne connaissais rien, rien, rien au monde du tribunal, de la justice, des avocats, etc. J'ai essayé d’être très attentif. Ce qui est très beau dans la justice française, c'est que le cadre est très clair et qu'on est obligé d'écouter les autres. Et ainsi, par exemple, il y eu de longs exposés, des questions et des réponses de chacune des victimes. C'est vrai que j'en avais déjà reçu des dizaines et des dizaines et pendant des quantités d’heures, et des parents de victimes et même des enfants de victimes et des victimes qui avaient été abîmées lorsqu'ils étaient enfants et qui, à quarante ans, souffrent encore d'une souffrance terrible, qu'il est capital d’entendre et qui ne s'apaise pas. J'ai été à la barre pendant plus de trois heures et j'ai répondu aux questions et j'ai pu dire ce que j'avais fait. Je ne dis pas si j'ai bien fait ou pas, je dis ce que j'ai fait pourquoi je le fais. J'ai essayé d'être le plus clair et le plus limpide possible.

Vous avez été cité à comparaitre par neuf victimes présumées du père Preynat, je dis présumées parce que le procès n'a pas encore eu lieu...

Mais lui, il a reconnu.

Comment avez-vous prise cette décision de retrait de la conduite du diocèse ?

Dans la conversation avec le pape, puisque quand j'ai vu que le pape ne voulait pas me démettre de mes fonctions, ce qu'il a le pouvoir de faire, alors en plus comme je remettais ma charge entre ses mains, il m'a dit "mais ce n’est pas à moi de prendre cette décision, ce n'est pas à Rome d'intervenir de partout. Dans ton diocèse, c'est toi qui es le pasteur et si tu sens qu'il y a quelque chose de bon pour apporter un peu de paix à l'intérieur de ce diocèse..." et c’est comme ça que j'ai fait ce choix. Le choix d'une certaine distance, d'un certain retrait, d'un certain écart par rapport à la vie très tumultueuse, très belle, très mouvementée de ce diocèse pour qu'un nouvel esprit se développe.

Concrètement, que veut dire ce retrait ?

Par exemple, je préside trente-six conseils qui s'appellent le conseil épiscopal, le conseil des affaires économiques, le collège des consulteurs, le conseil presbytéral... On avait une réunion encore la semaine dernière où justement tous les prêtres ont dit... ils étaient très contents d'écouter... Cinquante prêtres, enfin les représentants des prêtres, juste avant d'aller voir le pape, et c'était après le jugement, entre les deux. Donc c'était bien car j'ai entendu ce que mes frères pensent...

Et qu'est ce qu'ils pensent ?

(…) Tout ceci sera présidé par le père Yves Baumgarten qui est très bien entouré. Il y a deux autres vicaires généraux, l'un qui est évêque auxiliaire, il y a même un deuxième évêque auxiliaire, donc Monseigneur Gobillard et Monseigneur Legal, qui lui n’est pas vicaire général. Et puis il y a un conseil épiscopal et beaucoup de responsables de service qui poursuivent leur travail quoi qu'il en soit de ces difficultés.

Pourquoi avoir choisi le père Baumgarten ?

Car c’est le vicaire général modérateur. C’est le modérateur de la curie c'est-à-dire celui qui est chargé de voir que tout se passe bien entre les différents services, il veille à l'équilibre général. C’est une place très importante pour l'équilibre de l'ensemble maison

Concrètement, comment va se passer ?

Ça va se passer que quand il y aura l'an prochain le conseil épiscopal, je n'y serais pas, c'était lui qui l’animait depuis longtemps d'ailleurs. J'avais l'habitude d’être dans la cathédrale tous les vendredis de 6 à 7, avant de célébrer la messe à 7 h, qui es un contact pastoral direct avec les gens,  je n'y serai pas, je n'irai pas célébrer les grands offices. Je ne sais pas où je serai, sans doute dans un monastère. De toute façon je vivrai à ma manière intensément tous ces jours qui nous conduisent à la fête de Pâques.

Concrètement, qui va gouverner le diocèse de Lyon ?

C'est lui. Je me retire de la conduite du diocèse. Je reste en titre évêque de Lyon. Si jamais il y a un papier à signer, je le signerai car il faut une signature valide et authentique car le pape me laisse mon charge, mais dans toutes les choses qui sont à faire (…) Ce qui est très important dans la vie de l’évêque et du conseil épiscopal, à cette époque, ce sont les nominations pour la rentrée prochaine. C’est pas tout à fait fini mais c’est quand déjà bien avancé. Donc il terminera ce qui doit l’être il y aura des réajustements. Les travaux et les responsabilités ne manquent pas. J'ai incité tous les chrétiens à prier pour lui car c'est une lourde charge qui lui tombe sous les épaules.

Est ce une disposition prévue par le droit canon ?

Pas que je sache donc je fais ce que le pape me dit. Il m'a dit "je ne veux pas t'enlever ta charge et en même temps je comprends très bien que tu veuilles te mettre à l'écart", donc je le fais. Du point de vue canonique, on l'a fait vérifier par notre chancelier, Mme Chossard, et elle a dit il n'y a pas de problème. Elle a vu comment ça correspondait au droit de l'Eglise.

Monseigneur, qu'espérez vous pour votre diocèse pendant ce moment ?

Un peu de paix. Je ne sais pas si la paix manque mais je sais que la souffrance est grande et je crois qu'ils ont besoin de repartir d'un pas nouveau ou d'un élan nouveau car l'image qui a été forgée au cours de ces dernières années est une image terrible et très lourde à porter, pas seulement pour moi, mais pour tout notre diocèse et je veux qu'il reparte dans une forme de liberté, j'espère que le Seigneur la lui donnera.

Et vous pensez que pour faire vivre cette étape, vous devez vous mettre un peu à l'écart ?

Exactement, c'est ça que je crois le plus utile. Par exemple, les trois derniers mois, j'ai vécu des semaines entières de visites pastorales dans les paroisses, je n'en ferai pas les mois prochains. J'ai passé une semaine entière dans une ville comme Caluire, dans Lyon et Vénissieux... C'était des très grands moments de rencontre. Et je trouve qu'après ce jugement, après cette condamnation, mais encore une fois même s'il n'y avait pas eu de condamnation, je pense qu'il est bon qu'une page soit tournée.

Est-ce que vous allez revenir, c'est la question que peut-être beaucoup se posent, parce que vous dites "je me retire de la conduite du diocèse pendant quelque temps". Combien de temps...

En fait, je n'en sais rien . Ça dépend aussi beaucoup si le procès en appel est très long ou se passe en quelques mois. C’est pas du tout pareil si les affaires sont closes à la fin de l'année 2019 ou s'il faut attendre trois ans. Je ne sais pas. C’est pour cela que je n'ai pas mis de choses plus précises. Tenez par exemple, il y a 150 catéchumènes adultes qui se présentent au baptême, 300 qui se préparent à la confirmation, je n'y étais pas pour les accueillir, ils sont accueillis dans l'Eglise par Mgr Gobillard. Ils savant que le Seigneur les accueil dans cette maison et qu'à cause d'une circonstance, l’évêque n'était pas là. Ce que l'on comprend mais enfin c'est leur maison, c’est leur famille et la vie continue à l'intérieur du diocèse. C’est eux qui demandent leur baptême, que le travail de Dieu se fasse en eux.

Vous avait souhaité faire appel du jugement de première instance pour quelle raison ?

C’est un droit que la France m'offre. J'ai demandé conseil à des procureurs, à des juges, enfin à différents magistrats, et aussi aux avocats. Et tous m'ont dit "c’est une évidence". Quelque uns non car "c’est un jugement, c’est une condamnation, ce serait un bel exemple si vous l'acceptiez". Je respecte aussi ces arguments mais c'est vraiment un droit que le droit français me propose donc je le fais sans hésitation. D’ailleurs le pape, de ce point de vue là, était tout a fait d'accord. Donc c'est normal. Je n'ai rien fait d'anormal si vous voulez.

Parce que vous l'avez déjà dit, vous vous considérez innocent ?

Oui. Je pense que j'ai expliqué ce que je fais, pourquoi je le fais. Si, en en quelque point, je suis coupable ou fautif dites le moi. J'ai reconnu les erreurs que j'ai faites mais ce n'est pas celles que je vois reprocher.... Je suis convaincu que lorsque j'ai rencontré l'une des victimes, en nombre 2014, et qu'il m'a dit sa tristesse de ne pas avoir fait cette dénonciation avant ses 38 ans, je lui ai dis "cherchez-en des plus jeunes". D’ailleurs, il les a trouvés. Il m'avait écrit d'ailleurs une fois en me disant "je sais que vous avez toujours été supporter de ma démarche". Mais je pense que ni lui ni moi n'avons pensé que c'était à moi de le faire quand il avait 41 ans. Même le procureur, dans le premier jugement qui était le classement sans suite, avait dit que c'était quelqu'un qui était en plénitude de ses moyens, que ça aurait été bien mieux qu'il le fasse avant, et qu'il ne l'avait pas fait et que ce n'était pas de ma faute. Mais moi, quand il vient me dire "depuis trois ans je suis en colère contre moi car j'aurai du le faire", je n'ai pas pensé une seconde que c'était à moi de le faire. Peut-être que c'est une erreur, si je dois être condamné que je le sois. Mon problème n’est pas ça.... C'est-à-dire que je peux dire ce qui s’est passé dans ma tête, et dans ma conscience... D'ailleurs, il faut reconnaître que cet article du code pénal est interprété de façon très différente entre les juges, les avocats, etc. Et moi, qui suis-je ?... C'est une législation qui a beaucoup changé ces temps derniers et si elle est interprétée contre moi, elle sera interprétée contre moi et puis voilà, comme elle l'a été d'ailleurs dans le dernier jugement. Mais, en fait, plusieurs fois je dis ça : "je ne vous dis pas que j'ai bien fait, je vous dis ce que j'ai fait, comment je l'ai fait et pourquoi je l'ai fait". Après, nous sommes sous un jugement qui est en référence à une loi de la République française, que je connais très peu mais que mêmes les spécialistes perçoivent difficilement, et donc il y a un jugement qui vient qui n’est pas le même que le premier du procureur... C’est donc normal d’ailleurs aussi qu'on fasse appel quand il y a un tel écart entre ce qu'a dit le procureur et ce qu'ai dit le tribunal. Ce qui est normal, ce qui est parfaitement conforme au droit, le tribunal n'a pas à suivre ce qu'a dit le procureur.

Qu'allez-vous faire, où est-ce que vous allez aller ?

Je ne vais pas m’embêter. J'ai énormément de travail en retard, je vais pouvoir le mener à bien. Je pense qu'un beau temps de silence dans un monastère, ce sera aussi quelque chose de bien. Comme disent les gens "prenez un peu soin de vous". Je n'ai jamais trop su ce que ça voulait dire prendre soin de soi . C’est sûr que c'est plus du tout le même rythme. J’espère que j'arriverai à vivre chaque matin et chaque soir et le lendemain encore.

Quels seront les prochaines étapes pour vous même et pour le diocèse ?

Je suis un chrétien donc la prochaine étape c’est la semaine sainte et Pâques, à laquelle je me prépare. Je ne serai pas à présider tous les offices dans la cathédrale, je serai dans un monastère ou quelque part caché.

Que pourriez-vous dire à ceux qui ne comprennent pas forcément cet entre-deux, qui s'attendaient peut-être à ce que le pape accepte votre démission...

Mais je fais partie de ceux là ! Si je l'ai demandé, c'est parce que j'en faisais partie. Je prends la décision du pape parce que dans l'Eglise, on obéit au pape. Il m'a dit "je ne veux pas" je dis "bon très bien". Mais il m'a dit "quand-même, je comprends donc je ne veux pas moi prendre une décision, c’est à toi de la prendre". Bon...si cette décision est mauvaise, je ne sais pas si....

Que dites-vous aux autres ?

A quel autres ?

Vos diocésains.

Vous, vous êtes un autre et je suis en train de vous dire ce que je pense. Je dis pourquoi je le fais. Dans ma tête, c’est clair et je pense que c’est une bonne chose. J'ai une profonde confiance dans mes collaborateurs. C’est un diocèse qui a un tonus, une énergie, une inventivité... Je pense à toutes les initiatives prises dans la pastorale des jeunes, à la vitalité des séminaristes et de ceux qui vont être ordonnés. Je me réjouis beaucoup. Et j'ai l'impression que ce poids pèse injustement pour eux parce qu'ils n'y sont pour rien du tout. Et comme j'ai été le lieu de la concentration de tous des reproches, ça doit être dur pour eux que leur évêque soit tout le temps sur la sellette, en train d'être critiqué, accusé, sali, etc. Ce que même les victimes ont reconnu. Elles m'ont dit : "c'est vrai que depuis trois quatre ans, vous êtes maltraité mais rendez vous compte de notre souffrance à nous". Ça, c’est quelque chose qui me touche énormément. C'est-à-dire que peut-être que ces souffrances n'avaient pas été assez entendues avec profondeur, profondeur. Et au fond, que ça fasse un très grand choc dans l'Eglise, j'espère que ça nous a tous réveillé aujourd'hui et que ça na réveillera pas seulement l'Eglise mais beaucoup d’autres endroits aussi où ce mal atteint beaucoup de couches de notre société.

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