Salaires, primes, indemnités, missions spéciales... sur un marché très concurrentiel, les mairies de la métropole lyonnaise s’arrachent les policiers municipaux et cherchent à enrayer le turnover auquel elles doivent faire face. Un véritable marché de la police municipale s’est établi où chacun joue sur la feuille de paie.
• Le contexte Sous la pression des citoyens qui demandent plus de sécurité, et face à ce qu’ils perçoivent comme un désengagement des services policiers de l’État, les maires s’investissent de plus en plus sur le terrain de l’ordre public. Conséquence : les polices municipales montent en puissance dans l’agglomération lyonnaise. • Les enjeux Face aux besoins accrus de sécurité et de tranquillité, le recrutement des policiers municipaux soulève des enjeux d’attractivité des services et de fidélisation des agents. S’il y a autant d’organisation de polices municipales que de communes – ces polices de proximité étant censées s’adapter aux réalités de chaque territoire – cette situation cause des disparités entre les villes, selon leurs ressources financières. Le premier adjoint au maire de Chassieu en charge de la sécurité n’en revient toujours pas. Pourtant, des vertes et des pas mûres, cet ancien commandant de la police nationale en a vues et entendues. "Il n’y a pas très longtemps, nous avons reçu en entretien une femme de 52 ans qui souhaitait être policière municipale chez nous. Elle trouvait que la ville était plus calme que celle d’où elle venait. Il faut dire que Chassieu est une ville plutôt résidentielle, sans ZSP [zone de sécurité prioritaire, NdlR], sans trop de soucis. Elle nous a expliqué que ce qui lui posait problème, c’était le régime indemnitaire qu’on lui proposait : il ne faisait pas le compte selon elle. Je lui ai alors demandé si elle préférait risquer de se prendre un lave-linge du 12e étage dans une ville plus difficile que la nôtre mais qui payait un peu plus. Elle m’a répondu qu’elle prenait le risque car, financièrement, chez nous, elle ne s’y retrouvait pas." Pourtant, la mairie a mis les petits plats dans les grands afin d’attirer des policiers municipaux sur son territoire : prime d’intéressement, de fin d’année, indemnités spéciales au maximum de ce que la loi prévoit, tickets-restaurants, participation à la complémentaire santé et prévoyance. "Avant, un policier municipal commençait et finissait sa carrière dans la même commune. Aujourd’hui, il part au plus offrant, quitte à avoir un boulot plus dangereux. En gros, chacun fait son marché. C’est le grand mercato des polices municipales." À Saint-Fons, qui peut se targuer d’avoir le meilleur ratio policiers/habitants de la métropole – avec 1 policier municipal pour 800 habitants contre 1 pour 2 150 en moyenne –, on connaît bien la chanson : en 2016, la ville a vu s’évaporer 12 de ses policiers. Notamment une brigade de nuit entière qui a traversé le Rhône pour Pierre-Bénite, suite à un premier recrutement d’une policière qui a battu le rappel auprès de ses ex-futurs collègues. Quant à Givors, la commune la plus au sud de la métropole, son maire Mohamed Boudjellaba ne décolère pas de s’être fait "piquer" (sous l’ancienne mandature) quatre policiers municipaux par Bron. "C’est scandaleux ! On se retrouve avec des mercenaires de la police municipale !"Mercenaires
Révoltant ou pas, il n’empêche : le mercenariat dans la police municipale est une vérité. Une lapalissade disent même la plupart des interlocuteurs que nous avons consultés tant la situation est notoire. "Le policier municipal agit comme un mercenaire. C’est peut-être péjoratif de dire ça mais c’est une réalité : il va au plus offrant", confirme Fabien Golfier, secrétaire national de la FA-FPT (Fédération autonome de la fonction publique territoriale), section police municipale. Son collègue d’Auvergne-Rhône-Alpes, Pascal Aiguesparses, n’en dit pas moins : "Il y a des villes, dans la métropole lyonnaise, qui ‘pillent’ des policiers municipaux aux autres en proposant une meilleure rémunération, grâce à des primes qu’ils n’avaient pas avant" Phénomène nouveau ? Pas vraiment. La résurgence des polices municipales remonte au début des années 80, en résonance avec le thème de la sécurité au sein des campagnes électorales. "Au lendemain des législatives de 1993, explique Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Cesdip (Centre de recherche sociologique sur le droit des institutions pénales), les sondages ont montré que la sécurité était une préoccupation grandissante des Français et cette demande a été largement adressée aux maires qui avaient deux options : créer ou renforcer une police municipale et développer la vidéosurveillance. Bien souvent, ces deux évolutions sont allées de pair." (France Culture, 5 février 2019). Le phénomène a explosé depuis les attentats à répétition qu’a récemment connus la France et la campagne des élections municipales de 2014, pendant laquelle on a assisté à une certaine dépolitisation de la sécurité – par le passé, les maires sortants et les candidats qui faisaient de la sécurité l’une de leurs priorités étaient souvent issus de la droite.
Les élections municipales de 2020 ont encore un peu plus accentué cette situation. Ainsi, parmi les huit villes de gauche de plus de 10 000 habitants de la métropole lyonnaise, toutes ont prévu d’augmenter leurs effectifs de police municipale. La palme revenant à Vaulx-en-Velin qui souhaite passer de 33 à 80 policiers municipaux d’ici 2026, en augmentation de 142 %. Pour sa maire, Hélène Geoffroy (PS), ancienne secrétaire chargée de la politique de la ville, "la sécurité devient une politique à part entière de la politique de la ville". À Rillieux-la-Pape, Alexandre Vincendet (LR) ne dit pas autre chose : "La production de la sécurité est aussi une politique sociale." Face, également, au désengagement des services policiers de l’État que dénonce la quasi-totalité des villes de la métropole lyonnaise, les polices municipales montent en puissance.
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