Après plus de 35 ans à la tête de l'Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas laisse sa place à John Textor. Retour sur les liens étroits entre le président emblématique de l'OL et le paysage politique lyonnais.
Ce lundi 8 mai, un communiqué d'OL Group a confirmé le départ de Jean-Michel Aulas de la présidence de l'Olympique lyonnais, après plus de 35 ans à la tête d'un club qu'il a fait briller en France comme à l'international. Depuis l'annonce, les réactions des personnalités politiques lyonnaises fusent. Des politiques avec lesquels le mythique président de l'OL est toujours parvenu à travailler.
[Archive de juillet 2022 par Paul Terra] Pendant trente-cinq ans, le tout-puissant président de l’OL a toujours obtenu des maires de Lyon les arbitrages dont il avait besoin. Avec en point culminant l’OL Vallée à Décines-Charpieu, pierre angulaire de la vente du club.
À Lyon, la politique est un match qui se joue entre élus de la majorité et de l’opposition et à la fin c’est Jean-Michel Aulas qui l’emporte dès lors que l’OL s’invite à l’ordre du jour. En trente-cinq ans à la tête du club de foot, il a côtoyé six maires (Francisque Collomb, Michel Noir, Raymond Barre, Gérard Collomb, Georges Képénékian et Grégory Doucet) et autant de présidents de la Métropole de Lyon. Ils ont en commun de ne s’être jamais mis en travers de sa route.
Au plus fort de la domination de l’OL sur la France du football, Jean-Michel Aulas a régulièrement laissé planer le doute sur ses intentions politiques. La ville bruissait de sondages qui lui seraient favorables. Une manière de maintenir les édiles sous pression. Une partition qu’il a jouée à merveille lors des municipales de 2008. Gérard Collomb, maire sortant qui pense alors avoir conquis la ville par effraction, est opposé à Dominique Perben, député UMP et ancien ministre de la Justice. Jean-Michel Aulas rêve à l’époque d’un grand stade qui propulserait l’OL parmi les grands d’Europe sur le modèle d’un Bayern Munich au stade flambant neuf. Il va profiter de la lutte que se livrent les deux candidats pour pousser son avantage. Il obtient de Gérard Collomb le soutien pour son projet alors que le maire de Lyon s’était jusque-là opposé à un déménagement du stade de Gerland rénové pour la coupe du monde 1998. Dominique Perben n’aura jamais le coup de pouce qu’il espérait du tout-puissant président de l’OL.
Pressions
La droite lyonnaise n’a à aucun moment réussi à arrimer Jean-Michel Aulas qui expliquait pourtant que sa “tendance politique naturelle était plutôt portée vers cette sensibilité”. Alors que Michel Havard et Emmanuel Hamelin mettaient la pression au début des années 2010 pour que le stade de Gerland ne soit pas abandonné et que Gérard Collomb ne parvenait pas à sortir le projet décinois du bourbier administratif, Jean-Michel Aulas s’était fait menaçant : “Si ça continue, je vais être obligé de faire de la politique, et là ça ne va pas être triste.” Une menace qu’il n’aura pas besoin de mettre à exécution. Grâce à l’intervention de Nicolas Sarkozy et à l’obtention de l’Euro 2016, l’OL Land est reconnu d’utilité publique à Décines-Charpieu et le projet décolle.
Un premier emplacement avait été étudié à Vénissieux sur le site du Puisoz qui accueille aujourd’hui Ikea. Jean-Michel Aulas l’avait décliné. Le fonds de pension américain, qui en avait la propriété, souhaitait garder la main sur les à-côtés du stade. Ce sont précisément ceux qui rentabilisent l’opération à Décines-Charpieu aujourd’hui. C’est finalement dans l’Est lyonnais que Gérard Collomb positionne l’OL Land. Et lui déroule le tapis rouge, selon les opposants au projet. “Les terrains ont été vendus à des prix défiant toute concurrence”, se rappelle Laurence Fautra, la maire LR de Décines-Charpieu.
Plus-value
Comme Lyon Capitale l’a révélé, un accord existait entre la Métropole de Lyon et l’OL pour une cession des terrains dont la collectivité avait la propriété à 41 euros le mètre carré sous réserve d’obtention du permis de construire. Un deal qui aurait permis, selon l’opposant au projet Étienne Tête (EÉLV), au club de foot de réaliser une plus-value estimée à 200 millions d’euros. Si le projet est présenté comme 100 % privé, les pouvoirs publics vont apporter un précieux concours pour les voies d’accès, autour de 220 millions d’euros, ou en garantissant un des emprunts du club. “Je l’avais annoncé. Toute cette opération a été construite pour permettre à Aulas de gagner de l’argent au moment de la vente du club. C’est l’instant de vérité. Il peut dire merci à Gérard Collomb et à la Métropole. J’espère que nous allons arrêter de faire des cadeaux à ce club comme on le fait avec un tramway qui, tous les jours, perd de l’argent pour desservir le centre de loisirs”, réclame Étienne Tête.
Cette desserte, Jean-Michel Aulas l’a obtenue de Gérard Collomb en dédommagement de la concurrence créée par l’arrivée du Lou d’Olivier Ginon à Gerland. Les deux grands patrons menaçaient alors de se faire la guerre. Gérard Collomb avait arrondi les angles en permettant à l’OL de raccorder son centre de loisirs au réseau TCL toute l’année et non plus seulement les jours de match. À l’approche des municipales de 2020, redoutant des vents contraires, Jean-Michel Aulas accélère, dans les derniers jours du mandat de David Kimelfeld à la Métropole de Lyon, son projet de salle de spectacles préférant le lancer avant une possible arrivée au pouvoir de la gauche et des écologistes. Il s’associe avec Tony Parker qui abandonne son projet à Villeurbanne pour se greffer à l’OL Vallée. “Le président d’OL Groupe propose. Le président s’exécute. C’est une incontestable continuité dans les pratiques”, s’était indigné Jean-Paul Bret, alors maire de Villeurbanne. Jean-Michel Aulas a aussi toujours su donner aux politiques ce qu’ils attendent. L’OL a été un puissant levier du rayonnement international si cher à Gérard Collomb. Grégory Doucet, qui a mis l’inclusion au cœur de ses politiques publiques, ne jure que par les performances de l’équipe de football féminine lyonnaise.
Les écologistes dans la continuité
Les Verts, opposants historiques aux projets de Jean-Michel Aulas à Décines-Charpieu, ont hérité du dossier de l’Arena et vont le valider. Face à la fronde de son groupe, Bruno Bernard, fan inconditionnel, intervient en personne pour dessiner une majorité sur le projet qui fracture la gauche. “Nous avons juste autorisé du bout des lèvres un projet de salle qui était déjà bien lancé. Personnellement je m’étais abstenu”, pointe Jean-Charles Kohlhaas, vice-président en charge des mobilités. “Au regard de l’état d’avancement du projet quand nous l’avons récupéré que n’aurions-nous pas entendu si nous l’avions stoppé. Nous avons été pragmatiques et réalistes mais ce n’est pas un blanc-seing”, veut retenir Cédric Van Styvendael, maire PS de Villeurbanne. La Métropole de Lyon obtient de l’OL un verdissement et une promesse de ne pas organiser de concert les soirs de match pour ne pas saturer la circulation dans l’Est lyonnais.
La vie sans Aulas
Mais Jean-Michel Aulas sur le départ, certains s’inquiètent désormais de voir ces engagements balayés par le nouvel actionnaire John Textor. Pour 800 millions d’euros, il a racheté 66,56 % du club et devrait s’appuyer sur le président historique de l’OL pour une transition en douceur. “Dans les discussions que j’avais avec Jean-Michel Aulas, j’étais face à un président qui avait une histoire forte avec son club et qui était proche de son territoire. Il est encore là pour trois ans. Il faudra voir si l’actionnaire garde l’esprit à la lyonnaise du club, mais je constate qu’il n’arrive pas en virant tout le monde”, note David Kimelfeld. “Jean-Michel Aulas avait ses défauts, mais il était inséré dans le milieu économique et politique lyonnais. Les engagements reposaient sur Jean-Michel Aulas dont l’intérêt était d’avoir de bonnes relations avec nous. L’Américain, il s’en tape de nous. Nous avons peu de moyens de contrainte. Le permis de la salle a été déposé, la desserte de l’équipement est faite, le PLU a été modifié”, s’étrangle Raphaël Debû, élu PCF qui s’était opposé au projet d’Arena. Le changement d’actionnaire est plutôt bien accepté par les écologistes. “Je ne suis pas inquiet, à ce stade”, avance Bruno Bernard.
Grégory Doucet semble, lui, plus emballé : “John Textor a annoncé qu’il ne changerait rien au fonctionnement. Il n’y a pas lieu d’être inquiet. Le club est engagé dans des démarches vertueuses et cette vente permettra d’aller plus loin. Je m’en réjouis.” Laurence Fautra, maire LR de Décines-Charpieu, est plus prudente : “Nous partons vers l’inconnu. Avec Jean-Michel Aulas, nous avions appris à nous connaître et à nous respecter. Traiter avec un groupe américain ou français, c’est différent. Ce sera une autre histoire, mais ils auront toujours besoin du politique pour des enjeux de mobilité, de réglementation ou de sécurité.” Jean-Michel Aulas a trois ans pour apprendre à son successeur qu’il a tout à gagner à entretenir de bonnes relations avec les politiques pour réussir à la lyonnaise.
Par Paul Terra