Il y débattra avec Luc Ferry, l'un des plus farouches opposants de la "Pensée 68". Pour Lyon Capitale, Daniel Cohn-Bendit dit tout le mal qu'il pense de "ceux qui veulent refaire la bagarre de 68".
Lyon Capitale : Vous allez débattre à Lyon de Mai 68 avec l'un de ses pourfendeurs, à savoir l'ex-ministre et philosophe Luc Ferry. Sur quels éléments espérez-vous le convaincre que Mai a été plutôt positif ?
Daniel Cohn-Bendit : Il suffit de regarder la société telle qu'elle existe. Mai 68 a été un accélérateur de réformes. Aujourd'hui nous vivons dans une société où les individus ont plus de liberté et d'autonomie dans leur manière de vivre. Refaire la bagarre de 68, ça n'a donc aucun sens. Dire par exemple que le problème des banlieues et de ce que certains appellent l'"incivilité" est lié au slogan écrit sur les murs de 68, "il est interdit d'interdire", est de la folie pure. Il faut avoir mal à la tête pour faire ce lien ! Ce n'est pas à cause de 68 qu'on n'a rien fait dans les banlieues.
Au cours de la dernière campagne, le candidat Sarkozy s'est livré à une attaque sans précédent de Mai 68...
Sarkozy est un soixante-huitard contrarié. Il dit : "je vis comme je veux". C'est l'hédonisme soixante-huitard qui n'ose pas s'avouer. Si un président de la République peut être deux fois divorcé et peut se balader au bras d'une chanteuse qui crie sur tous les toits que baiser pendant trois semaines avec le même homme est le maximum, c'est que Mai 68 est passé par là. De Gaulle se retourne 36 fois dans sa tombe !
Est-ce que le président Sarkozy va à l'encontre de l'esprit de Mai 68 ?
Sarkozy ne peut revenir sur les avancées sociales issues de Mai 68. Ce serait comme revenir sur les acquis de 1789 ! En 1965, quand une femme mariée voulait ouvrir un compte en banque, elle devait demander une autorisation écrite à son mari. C'est ce type de société que 68 a fait exploser. Et Sarkozy ne pourra pas revenir dessus, sinon il se suicide. Par contre, l'esprit qu'il y avait derrière était cette volonté de liberté, d'autonomie, d'égalité et de solidarité. Or, aujourd'hui l'esprit Sarkozy est un esprit néo-libérale de hiérarchisation sociale : ceux qui sont les plus forts ont le plus et ceux qui sont les moins forts ont le moins. Sarkozy lui-même en est l'expression : la manière dont il aime s'afficher avec les riches et les vedettes du show-business est anti-soixante-huitarde.
Pourquoi, selon vous, Nicolas Sarkozy dégaine-t-il sa haine de Mai 68 ?
Pour Sarkozy, il était stratégiquement très important de séduire l'électorat des plus anciens. Son argumentaire anti-soixante-huitard a essentiellement pour but de rassembler tous ceux qui avaient fait la vague bleue gaulliste de 68. Cela lui a permis de réunir les vieilles droites profondes, de l'extrême-droite à l'UDF.
Quelles sont les utopies d'aujourd'hui qui mérite d'être défendu ?
L'Europe. Ce qui était l'internationalisme de 68 est aujourd'hui un discours qui prône une régulation sociale et écologique de la mondialisation, pour plus d'égalité et de solidarité dans le monde. Or on ne peut pas répondre à cette question de la régulation de la mondialisation sans passer par l'Europe. C'est l'espace politique que nous devons prendre en main pour arriver à cette utopie d'égalité, de justice sociale et de responsabilité écologique.
Vous avez pris vos distances au début des années 80 avec l'anarchisme, l'utopie de vos 20 ans. Etes-vous finalement le mieux placé pour défendre la "Pensée Mai 68" ?
Non... car je suis juge et partie en même temps. Mais si on me demande : "alors, 68 ? ", je répondrai : " j'ai pris mon pied" ! Finalement, les 40 ans de Mai 68 ne me pose qu'un problème : ça me fait 40 ans de plus !
"Que reste-t-il de 68 ?"
Débat avec Daniel Cohn-Bendit entre Luc Ferry organisé par France Culture, le jeudi 17 janvier, à l'Institution des Chartreux. 58, rue Pierre Dupont, Lyon 1er. Réservation indispensable au 04 78 27 02 48.
Le débat sera diffusé au cours de l'émission "Du grain à moudre", le 31 janvier à 17h.
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