Construction du collectif, luttes de leadership, projection du mouvement vers le centre-ville, longévité de la mobilisation, cinq universitaires, dont plusieurs Lyonnais, ont publié le 30 avril dernier une ethnographie d’un rond-point de Gilets jaunes situé dans la métropole de Lyon.
Dans “La banlieue jaune”, article publié sur La Vie des Idées*, cinq politistes et sociologues – Jean-Baptiste Devaux, Marion Lang, Antoine Lévêque, Christophe Parnet et Valentin Thomas – se sont penchés sur la vie d'un rond-point de l'agglomération lyonnaise, son mode de mobilisation, ses luttes de pouvoir et les raisons de la durée du mouvement. Un point de “rassemblement quasi permanent” apparu en novembre 2018, dès le début du mouvement. Un lieu emblématique au sein des Gilets jaunes, rebaptisé “rond-point de Corsieux” par les auteurs, qui a fait l'objet de centaines d'heures d'observation et d'une trentaine d'entretiens de la part des universitaires. Luttes de pouvoir internes, apparition de leaders..., les auteurs analysent les dynamiques de construction du collectif à Corsieux. “Le mouvement des gilets jaunes n’est ainsi pas un mouvement sans leader. Il est au contraire traversé par des luttes de leadership dont les règles sont en constantes négociations. (…) La cohésion du groupe ne va donc pas de soi, mais passe par un travail constant d’encadrement des interactions”, écrivent-ils.
* Site d'information sur l'actualité intellectuelle rattaché à l’Institut du monde contemporain (Collège de France) et dirigé par Pierre Rosanvallon.
Du rond-point au centre-ville de Lyon
Dans la nuit du 19 au 20 décembre, le campement du rond-point est détruit. Les auteurs analysent alors la projection du mouvement vers d'autres lieux et d'autres formes de mobilisation et la pérennité de cette dernière “à l'épreuve du centre-ville” de Lyon et de Gilets jaunes aux “capitaux culturels (notamment scolaires)” différents des leurs. À la place du rond-point, c'est l'AG (assemblée générale) qui devient le mode de mobilisation le plus récurrent. “Les AG offrent à celles et ceux qui les organisent une importante visibilité notamment médiatique, quand, au même moment, les leaders de Corsieux perdent l’accès aux médias que le rond-point contribuait à attirer. (…) Ainsi, le 4 février, aucun.e participant.e à l’AG ne porte de gilet jaune, à l’exception notable de Sonia, qui, en aparté, tire de cette distinction une certaine fierté”, décrivent les universitaires.
Selon ces derniers, c'est justement la capacité des “Gilets jaunes de Corsieux à répondre aux différentes épreuves auxquelles elles et ils doivent faire face” qui constitue la clef de leur longévité. “On peut alors s’interroger sur l’impact de la focalisation médiatique et politique sur les aspects délibératifs du mouvement, lesquels semblent disqualifier une certaine manière d’être gilet jaune”, concluent les auteurs.