A l'occasion d'une conférence sur les médias indépendants, l'European Lab a choisi d'inviter Franck Annese, directeur et créateur du groupe So Press, sous lequel se sont développés les magazines So Foot, So Film, Doolittle, et plus récemment Society. Portrait d'un patron décalé et faussement modeste.
Casquette vissée sur une chevelure mal coiffée, jeans tombant sur des baskets usées. Le total look de teenager. Franck Annese a 38 ans, et le franc parler de ses 20 ans. Premier magazine (Sofa) lancé en 1999 par manque de reconnaissance dans les médias culturels, le souci d'indépendance effleure très tôt le jeune diplômé de commerce. "On n'acceptait pas de levier pour nous faire dire quoi que ce soit, encore moins de la pub. Donc on avait pas d'argent, on était prétentieux. Sofa n’a jamais vraiment marché mais on s’en foutait on trouvait ça rigolo."
Histoire, humour, humain
A l'heure où les serveurs web tournent plus que les imprimeurs (le sien a d'ailleurs fait faillite), Franck Annese et sa "meute" donnent de l'espoir à la presse écrite. Lancé en mars 2015, le dernier magazine accouché par So Press est un quinzomadaire de politique et société. Quinzomadaire, format casse-gueule ? "Je pense que l'hebdo c'est démodé, c'est le truc des années 80. Nous on raconte des histoires, on ne commente pas l'actualité." Histoire, humour, humain. Par cette formule Franck Annese résume l'univers de son groupe de presse. Society, "c'est juste un magazine qui raconte le monde de notre point de vue à nous. On a jamais fait d'études de marché, on ne vise pas de public particulier, on s'en fout, on veut être lu c'est tout."
Indépendance morale et financière
Cette bande de faux hipsters a quand même décroché une interview de François Hollande pour le deuxième numéro de Society. "Sans nos précédents magazines on ne l'aurait jamais eu..." Franck Annese avoue s'être appuyé sur la notoriété de So Foot et So Film, deux mensuels lancés respectivement en 2003 et 2012. "Aucun de nos canards n'a explosé les ventes d'un coup, So Foot s'est construit petit à petit." Maintenant vendu à 50 000 exemplaires, le mensuel sportif décalé permet le financement des autres magazines. "Chaque canard finance le prochain [...] Depuis Society on a eu énormément de propositions d'investissements, mais aucune ne correspondait à nos idées. On tient à notre indépendance, on veut pas de deux millions qui viennent d'une boîte qui réduirait notre champ d'activité." Franck Annese a quand même dit oui à six actionnaires, trouvés "en envoyant des sms à [ses] potes", qui détiennent 7% du capital total.
Amour, polyvalence et créativité
Avec aujourd'hui pas moins de cinq canards sous sa direction (So Foot, Doolittle, Pédale!, So Film, Society, et bientôt Tampon), Franck Annese ne se contente pas d'être un patron de presse : il monte en 2006 la société de production So Film, le label musical Vietnam en 2012. Touche-à-tout, avide d'idées et de partage, il insiste sur l'aspect familial de ses démarches créatives : "Ma femme est réalisatrice, mon frère décorateur, j'ai un pote qui gère le web, très bien faisons quelque chose avec ça ! Je n'aime pas l'idée d'un magazine à 3 ou 4. J'aime l'idée de la bande de potes. On a moins de moyens que les autres mais c'est un choix. On a pas fait So Press pour gagner de l'argent de toute façon. On priviliégie l'humain, c'est une force pour la créativité." Cet agrégat de compétences et d'envies fait la force de So Press.
Pour ce qui est du risque d'effondrement de son empire médiatique, Franck Annese a l'air de vouloir prendre le risque. Conscient qu'il a une équipe à faire vivre, le poids des responsabilités ne peut plus être ignoré par ce directeur qui s'admet "prétentieux", mais la cour des grands - médias- ne lui est pour l'instant pas hostile.