A peine sorti de prison, l'islamiste Djamel Beghal a été expulsé en Algérie où il a été condamné par contumace à 20 ans de prison. Il avait notamment sous son emprise le Vénissian Farid Melouk, un vétéran du djihadisme des années 90, militant du GIA, émir de Daech qui a été de toutes les chapelles et combats terroristes de la planète.
L'islamiste algérien Djamel Beghal, déchu de la nationalité française, vient de sortir de la prison de Vezin-le-Coquet, où il purgeait une peine de dix ans pour un projet d’évasion d’un ancien du GIA algérien impliqué dans l’attentat de 1995 à Paris. L'homme de 52 ans, arrivé en France à l'âge de 21 ans, a été immédiatement expulsé en Algérie, son pays natal, où il a été condamné En 2005, il avait été condamné à dix de prison pour un projet d'attentat contre l'ambassade des États-Unis à Paris. Emprisonné à Fleury-Mérogis, il avait fait la connaissance des futurs auteurs des tueries de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher. Libéré en 2009 et assigné à résidence dans le petit village de Murat, en Auvergne, l'islamiste avait pris sous son emprise le Vénissian Farid Melouk, qui aux dernières nouvelles, serait "émir" d'un camp d'entraînement en Syrie et à la tête d'un groupe armé d'Algériens ralliés à Daech. Du GIA de Kelkal à l'État islamique d'al-Baghdadi, en passant par Al-Qaïda d'Oussama Ben Laden, Farid Melouk, originaire de Vénissieux, a été de toutes les chapelles et combats terroristes de la planète.
Enquête parue dans le n°754 de Lyon Capitale, de mai 2016.
Farid Melouk, 51 ans, originaire de Vénissieux, est fortement soupçonné d'être au cœur de l'organisation terroriste qui a perpétré des attentats sur le sol Français, depuis un certain Khaled Kelkal...
C'est un "dur" selon les polices belge et française. Un vétéran du djihadisme des années 90, militant du GIA, multicondamné, originaire des Minguettes, à Vénissieux, dont le nom a refait surface ces dernières semaines.
Selon Mediapart, une photo très troublante a été retrouvée dans la mémoire du téléphone d'Hasna Aït Boulhacen, la cousine d'Abdelhamid Abaaoud, le tueur du 13-Novembre, tous les deux abattus dans un appartement de Saint-Denis, lors de l'assaut du Raid, cinq jours après les attentats de Paris.
On voit un homme d'une cinquantaine d'années, traits tirés, chachia sur la tête, moustache noire et longue barbe blanche, tout sourire, qui pose, un bras par-dessus l'épaule d'Abdelhamid Abaaoud, en treillis, casquette Emporio Armani vissée sur la tête et, lui aussi, tout sourire. D'après Mediapart, d'anciens agents des renseignements et magistrats ayant eu à faire avec Melouk ont confirmé que la photo était "criante de ressemblance".
Si l'information venait à être clairement authentifiée, cela voudrait que Farid Melouk est le maillon entre les deux vagues d'attentats, ceux de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, en janvier 2015, et ceux de Paris et de Saint-Denis, dix mois plus tard.
Car le nom de Farid Melouk est en effet "sorti" au lendemain des premiers d'attentats. On le voyait sur des photos (qui ont fait le tour du monde), prises au téléobjectif par des enquêteurs de la Sous-direction antiterroriste (Sdat), dans le petit village de Murat, en Auvergne, en train de jouer au foot avec Djamel Beghal, condamné en 2005 à dix de prison pour un projet d'attentat contre l'ambassade des États-Unis à Paris et assigné à résidence ici, Ahmed Laidouni et Chérif Kouachi, l'un des terroristes de Charlie Hebdo.
Enrôlé par Khaled Kelkal
À l'époque, Farid Melouk n'intéresse pas grand monde. Pourtant, son passé parle pour lui. Farid Melouk est né le 14 mai 1965 à Lyon. Il a vécu à Chasse-sur-Rhône et à Vénissieux, où dès 1992 il a entretenu d'étroites relations avec des sympathisants islamistes. Durant l'année 1994, se constitue en France le réseau dit des poseurs de bombes du GIA (huit attentats qui feront huit morts et près de 200 blessés entre juillet et octobre 1995). Melouk en sera. L'organisation, très cloisonnée, se structure en quatre branches : Chasse-sur-Rhône, Vaulx-en-Velin, Lille et Paris. C'est le Lyonnais Safé Bourada, un éducateur social, militant du Front islamique du salut et membre du réseau bruxellois de trafic d'armes d'Ahmed Zaoui, qui dirige le groupe de Chasse-sur-Rhône. Safé Bourada présente Khaled Kelkal à Ali Touchent, alias Tarek, dont le rôle est de mettre en place un réseau destiné à exporter le terrorisme en France. Une mission directement confiée par la direction du GIA qui le nomme chef pour l'Europe. Khaled Kelkal, radicalisé lors de son séjour en détention pour des vols commis à la voiture bélier et disciple assidu de la mosquée Bilal, à Vaulx-en-Velin, se verra prendre les rennes du groupuscule de Vaulx-en-Velin. Kelkal recrute quatre jeunes, dont Farid Melouk, de six ans son aîné. Il sera essentiellement chargé de la filière logistique des membres du GIA. Il fabrique des faux papiers, trouve des cache, récolte de l'argent pour Ali Touchent. À l'automne 1995, Farid Melouk quitte la France et fait l'objet d'un mandat d'arrêt en avril 1997.
Leader d'un groupe armé bruxellois
Le 18 février 1998, le tribunal correctionnel de Paris, le condamne, par contumace, à sept ans de prison pour avoir joué "un rôle de recruteur de jeunes, les initiant à l'intégrisme religieux et les poussant à partir s'entraîner en Afghanistan". Farid Melouk, lui aussi, partir en Afghanistan, dans le camp de Khalden, pour suivre "une instruction paramilitaire" lâchera-t-il aux enquêteurs de la Sdat. Une déposition confirmée par Osmar Nasiri, un espion infiltré dans la filière d'Al-Qaïda pour le compte de plusieurs services de renseignement européen, qui raconte l'avoir rencontré, dans un camp d'entraînement en Afghanistan*. C'est aussi à Khalden qu'il a été en contact avec le Narbonnais Zacarias Moussaoui, le "20e pirate de l'air" des attentats du 11 septembre 2001.
Fort de ses expériences lyonnaise et afghane, Farid Melouk prend rapidement du grade, comme les enquêteurs belges l'apprendront à leurs dépens. En effet, craignant des attentats pendant la Coupe du monde de football de 1998, la DST (le contre-espionnage français), sous impulsion des juges antiterroristes Jean-Louis Bruguière et Laurence le Vert, avise son homologue belge de la présence à Bruxelles du Vénissian. L'homme a été vu traversant la frontière franco-belge fin janvier 1998, avec un faux-passeport. "Il est aperçu autour d'une mosquée de Bruxelles, connue pour être un repaire d'islamistes du GIA" précise Adam Robinson dans son livre Terror on the Pitch.
Le 5 mars aux aurores, l'escadron spécial d'intervention (ESI), une unité d'élite de la gendarmerie belge, donne l'assaut à une maison de quatre étages, au n°28 de la rue Wéry, dans la commune d'Ixelles (séparée de Molenbeek par Bruxelles). "Une fusillade a immédiatement éclaté" raconte Jos Coplin, premier substitut du procureur du roi de Bruxelles. Six personnes sont arrêtées, un septième homme reste retranché dans la mansarde. C'est Farid Melouk, le leader, qui riposte avec son arme, un pistolet Remington de calibre supérieur. Selon l'expertise balistique, Melouk a tiré à huit ou neuf reprises contre les forces de l'ordre, qui ont abondamment répondu aux tirs, 80 à 90 douilles ayant été retrouvées sur place. Après treize heures de siège, Melouk sort sur un brancard, le visage en sang. "Je ne voulais pas me rendre, dira-t-il lors de son procès. J'ai visé les gendarmes. Je voulais les tuer pour qu'ils me tuent à leur tour."
Parmi les autres occupants de la rue Wéry, un autre "gros poisson" : Mohamed Baadache. Badaache n'est rien moins que le responsable de la structure d'accueil des volontaires qui arrivaient à Peshawar pour suivre les formations paramilitaires Al-Qaïda. Melouk et Baadache ont fait connaissance, quelques années plus tôt, lors d'un entraînement paramilitaire dans un camp afghan.
Un document publié en 2004 par la School of Computing Queen's University, sur l'analyse du réseau social d'Al-Qaïda, montre d'ailleurs l'importance de Farid Melouk dans l'organigramme d'Al-Qaïda. Son nom figure en effet parmi une liste de trente huit. Tous sont considérés comme étant parmi les plus influents dans le groupe terroriste d'Oussama Ben Laden. En évoquant Melouk, et huit autres, les auteurs de l'étude ne cachent néanmoins pas leur "surprise". "L'examen des données suggère que ces membres ont des liens avec Oussama Ben Laden et plusieurs autres hauts dirigeants. Mais en l'absence d'autres connaissances, cela complique (l'étude, NdlR) car on ne distingue pas bien entre les leaders importants et ceux qui ont une petite importance mais sont directement connectés avec la direction."
"Émir" de Daech
Pour la présidente du 54e chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles, Farid Melouk est bien un terroriste islamiste d'envergure internationale. Les enquêteurs retrouveront également le manifeste fondateur du groupe islamique combattant marocain (GICM), une organisation armée islamiste sunnite affiliée à Al-Qaïda. Lors de l'audience, le procureur du Roi a également dénoncé un vaste trafic de documents falsifiés, via une enquête démarrée par des photos de Melouk retrouvées à Bologne (Italie), un passeport belge, volé, où figurait une photo du vénissian, à Londres. Farid Melouk avait même une boîte postale à Saint-Gilles, dans le quartier de la gare de Bruxelles-Midi, au nom de Talbi Murat, un pseudonyme. Verdict : neuf ans de prison. C'est une lettre, à destination de sa soeur, à Vénissieux, qui plomba un peu plus son cas. Son "yo yo" avec la cellule voisine n'ayant pas fonctionné, un gardien tomba sur vingt deux "recettes" d'explosifs (en plus d'une note retrouvée chez lui, et signée d'un médecin d'origine syrienne, expliquant comment se servir de la toxine botulique**).
De son propre aveu, c'est lors d'un transfert commun entre la maison d'arrêt de la Santé et le palais de Justice de Paris, en 2004, que Farid Melouk tombe sous l'emprise de Mohamed Beghal, un vétéran du djihad mondial - dont Chérif Kouachi et Amédy Coulibaly seront les disciples.
Cinq ans plus tard, de nouveau libre, Farid Melouk reprend une vie normale à Vénissieux. Du moins, c'est ce qu'il fait croire. En réalité, il rencontre régulièrement de nombreux vétérans du djihad, notamment des proches d'Amedy Coulibaly, le terroriste de l'Hyper Cacher. Il fait aussi office de courtier de Beghal, récupère ses affaires lorsque celui-ci est de nouveau interpellé (pour la tentative d'évasion du terroriste islamiste Smaïn Aït Ali Belkacem, l'un des responsables des attentats du RER B à Saint-Michel), lui envoie des mandats en prison. Il fait aussi la connaissance de Chérif Kouachi, l'un des frères auteurs des attentats de Charlie Hebdo.
Tout ce petit monde se retrouvera dans le village de Murat, au pied des monts du Cantal pour la partie de foot sans aucun doute la plus sinistre et la plus connue du terrorisme international.
Pour le vénissian Mourad Benchellali, ancien détenu de Guantanamo, que nous avons contacté "avec un tel CV, Farid Melouk peut faire figure d'exemple pour certains jeunes ». « Il est « diplômé » terroriste, donc quand il revient là-bas, en Syrie ou en Afghanistan, il a certainement une aura très importante. J'ai connu des Marocains à Guantanamo, le fait d'être passé là-bas, quand ils sont revenus, c'était des personnages importants. Le passé de Melouk fait qu'il a acquis une autre dimension. Être à la tête d'un camp, c'est-à-dire être un « émir », c'est pas donné à tout le monde, il faut une grande expérience dans le djihad et dans la religion. Ce qui m'étonne, c'est qu'il ait pu retourner en Syrie avec son passé... il devait quand même être surveillé, non ? C'est toujours dingue de se dire que des types aussi importants dans le djihad puisse retourner sur le front quand même. Ce qui ne m'étonne pas, en revanche, c'est la capacité de Melouk à avoir des responsabilités."
Les instructions des "anciens" du GIA
Cette question, Marc Trévidic se la pose également. Lors de son audition en février 2015, dans le cadre de la "Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes", le vice-président chargé de l'instruction au pôle anti-terroriste du TGI de Paris avait expliqué que : "depuis quelques mois, des "anciens" (avaient) repris du service. Ainsi de Farid Melouk, dont j'ai appris la présence en Syrie (…). J'en avais eu à connaître en 2000 en réglant le dossier de la première filière afghane, il était à la tête d'un très important réseau d'acheminement de djihadistes." Et de demander à la commission d'enquête : "les services de renseignement ont-ils les moyens de vérifier ce que sont devenus tous ces gens condamnés dans le passé pour leur implication dans une filière djihadiste ? Il le faudrait car « ces anciens » ont un carnet d'adresses phénoménal, en France, et en Belgique (…)"
C'est justement ce carnet d'adresses qui intrigue les services de renseignement français et belges." La plupart des types qui ont pris de l'importance au sein de Daech ces deux dernières années sont des inconnus, explique à Lyon Capitale un ancien membre de l'antiterrorisme. Mais à leurs côtés, on retrouve aussi des anciens qui incarnent l'âge d'or du terrorisme. C'est le cas, semble-t-il, de Farid Melouk". Quelques heures après les attentats de l'aéroport et du métro de Bruxelles, mardi 26 mars, revendiqués par Daech, l'anthropologue John Leman confirmait au figaro.fr qu'il n'était "pas impossible que ces "anciens", qui sont apparus en France dès 1995 avec les réseaux de soutien au GIA, soient aujourd'hui ceux qui tirent les ficelles du terrorisme, via les Abdeslam et autres."
Roland Jacquard, président de l'Observatoire international du terrorisme, s'interroge quant à lui sur "un certain nombre de personnes fichées S susceptibles d'apporter une aide logistique et (contre lesquelles) on ne fait rien". D'après nos informations, de grosses levées de fonds seraient en cours sur tout le territoire pour venir en aide aux salafistes assignés en résidence.
Farid Melouk, lui, s'est fait la malle au lendemain des attentats de janvier. Il serait aujourd'hui "émir" d'un camp d'entraînement en Syrie et à la tête d'un groupe armé d'Algériens ralliés à Daech.
* Omar Nasiri est le pseudonyme de l'auteur du livre Au cœur du djihad. Mémoires d'une spion infiltré dans les filières d'Al-Qaïda (Flammarion).
** Dans un rapport intitulé "Le terrorisme non conventionnel", deux spécialistes français de la Fondation pour la recherche stratégique expliquant que : "la toxine botulique A est la substance la plus létale connue. En théorie, il suffirait de 30 grammes pour tuer 60 millions de personnes (…). Il ne suffit pas de posséder en quantité suffisante des agents létaux, encore faut-il être capable de les disséminer efficacement."