“Faut-il sauver le soldat Barbarin ?”

Suite à l’affaire du père Preynat, et des plaintes contre le cardinal Barbarin pour “non-dénonciation” d’atteintes sexuelles, des voix s’interrogent sur la sincérité de la défense du cardinal. N’a-t-il pas été informé dès 2002 des différentes affaires devenues publiques aujourd’hui ?

Un échevin*, élu chrétien de la ville de Lyon, nous a fait parvenir la tribune libre ci-dessous. Elle relaye l’inquiétude grandissante de ses pairs lyonnais qui estiment aujourd’hui que les affaires de pédophilie nuisent à l’image de leur ville. Elle s’inscrit dans une démarche de soutien aux victimes et, tout en reconnaissant les qualités du cardinal, s’interroge sur la possibilité qu’il reste à la tête de l’Église de Lyon.

“Mgr Barbarin est un personnage immense. Homme de Dieu, intellectuel brillantissime et militant engagé dans des causes qu’il soutient physiquement jusque dans les contrées les plus martyrisées de notre monde. Des qualités sans équivalent dans le clergé de France, voire parmi ses frères cardinaux. Des qualités dont Lyon s’est enorgueillie, dont elle a pu être légitimement fière et qu’elle ne retrouvera pas avant longtemps chez ses successeurs.

Aujourd’hui, il s’agit d’autre chose. Comme pour chacun de nous, les défauts sont souvent à hauteur de nos qualités et ils ont conduit Philippe Barbarin à des erreurs qui, à ce niveau de responsabilité, sont constitutives de fautes. Des fautes de gouvernance, de jugement et de communication qui apparaissent, toujours à ce niveau, comme autant de fautes morales. Tout s’est passé comme si, dans l’esprit du cardinal, le cas Preynat n’avait jamais existé. Pas plus que les autres.

Ces fautes sonnent aujourd’hui comme les causes et révélateurs terribles du dysfonctionnement d’une institution bimillénaire, venant de l’un de ses plus brillants sujets.

L’évêque de Lyon semble n’avoir jamais cessé de passer à côté de la situation. Des situations personnelles et sacerdotales.

Il ne peut s’agir aujourd’hui de son seul salut personnel. C’est de l’Église de Lyon et de la cité tout entière qu’il s’agit. Et la belle fête annuelle des Échevins est là pour nous rappeler combien leur histoire et leur identité sont liées dans notre ville. Or, comment ne pas voir qu’au tourbillon médiatique ne répond désormais qu’une défense unipersonnelle déployée pour l’“honneur d’un homme” et dont certains lapsus sont le cruel révélateur.

On ne peut rajouter de l’indécence à la souffrance. Il ne s’agit pas aujourd’hui de laver l’honneur d’un homme avant tout victime de lui-même mais celui des victimes de faits monstrueux. Quant au pardon, il n’a eu de “personnel” que le plaidoyer pro domo qu’il a incarné. Un pardon tardif, “dans l’obligation”, citant le pape et portant imprudemment sur des faits vieux de “dizaines d’années”. Un pardon bien déresponsabilisant donc, au lieu du contraire.

En sus de tout cela nous viennent des questions brûlantes.

Comment, après son arrivée à Lyon, mi-septembre 2002, le nouvel évêque de Lyon a-t-il pu échapper à une information sur le père Preynat par le père Christian Ponson**, “administrateur diocésain” ? Celui-ci était chargé d’assurer l’intérim du diocèse après le décès du cardinal Billé en mars 2002 et de “briefer” le nouvel arrivant. Alors que Mgr Billé, arrivé quatre ans auparavant dans les mêmes conditions (le décès prématuré de son propre prédécesseur), n’avait pas manqué lui d’en être rapidement instruit. Comment Mgr Barbarin a-t-il pu être informé du “cas” Gérentet de Saluneaux (dont il a entériné l’écartement décidé par Mgr Billé) et non, dans le même temps, du cas Preynat ? Parce que la réintégration de ce dernier remontait à dix ans (et non “quinze ans”) ? Dix ans, ce n’est qu’une seconde dans l’histoire d’un diocèse.

Le père Ponson étant par ailleurs vicaire général (c’est-à-dire de facto DRH du diocèse), ne pouvait-il manquer de connaître par cœur le dossier de son curé ? Pouvait-il omettre d’informer – par écrit ou par oral – son nouvel évêque lors de sa première sortie pastorale d’archevêque de Lyon à l’occasion de l’inauguration de la paroisse Saint-Michel du père Preynat fin septembre 2002 ?… Le père Ponson n’a-t-il pas eu l’occasion, au plus tard, d’informer définitivement du cas Preynat Mgr Barbarin dès juillet 2003, en l’alertant sur les “bruits qui cour[ai]ent” dans la paroisse de Sainte-Foy où ce dernier l’avait affecté à cette date ?… Après d’ailleurs un bref passage à la Sainte-Trinité de Lyon (déc. 2002-juil. 2003), à la suite du père Gérentet de Saluneaux…

Pourquoi Mgr Ponson est-il aujourd’hui tenu au silence dans sa cure d’Écully ? Pendant le pardon encore et toujours le silence de l’Église ?…

Alors, après “2014” puis “2007-2008”, Mgr Barbarin a-t-il été dûment informé du cas Preynat dès 2002, ou bien “seulement” entre 2002 et 2007 ?… S’il nie en avoir été formellement instruit avant 2007, aura-t-il menti une troisième fois ? Qu’adviendra-t-il si l’enquête le révèle ? Par ailleurs, a-t-il parlé au père Preynat de ces “bruits qui cour[ai]ent” à l’occasion de sa seconde visite pastorale de deux jours dans la paroisse Saint-Michel en juin 2007 ? Ou était-ce si peu important qu’il a repoussé l’entrevue à l’année suivante ? Enfin, comment a-t-il pu le promouvoir parmi douze prêtres ?! “Qu’ont bien pu faire les onze autres prêtres pour ne pas être nommés à sa place ?” s’interrogeait la mère de deux frères abusés de Saint-Luc. Par ailleurs, comment le cardinal a-t-il pu également nommer doyen un autre prêtre condamné quelques années plutôt dans l’Aveyron ? Parce qu’il s’agissait d’un autre diocèse ? Le Christ n’a jamais voulu la mort du pécheur et a pardonné au “bon larron”. Mais on ne sort pas ici-bas d’une condamnation ou du confessionnal avec une promotion. Et comment a-t-il pu ne pas prévenir la police alors qu’il était contacté par une nouvelle victime du père Gérentet de Saluneaux en 2003-2004 ? Lui qui avoue en 2010 aux policiers qu’il s’était bien “douté qu’il avait fait d’autres victimes”… Comment a-t-il pu même remplacer le père Pepino par le père Billioud à l’“Immaculée Conception” de Lyon en 2014 ? Que dira-t-on de cette décision lorsque l’on apprendra avec précision la date des faits, leurs circonstances et les motifs de la condamnation de ce dernier pour “exhibitionnisme” ? Enfin, comment Mgr Barbarin peut-il faire dire aujourd’hui qu’il n’était “pas au courant” de l’enquête de police (avec confrontation) menée en 2006 sur le père David à Lyon ? Un nouveau mensonge ? L’obligation faite aux prêtres d’informer leur vicaire général est-elle réservée aux demandes de presse ?…

Trop de questions. Trop de souffrance. Aujourd’hui, la figure même du cardinal incarne un quadruple embarras – civique, républicain, démocratique et moral. Embarras civique parce qu’il n’a pas vu que la société est devenue (et pour cause) l’institution de référence et qu’on ne peut la heurter de telle manière. Pas plus n’a-t-il vu que l’avenir de la cité ne pouvait se construire sur une apparente désinvolture envers son symbole même : l’enfant. Embarras républicain parce qu’en estimant pouvoir se placer au-dessus des lois il a touché au principe de laïcité. Et en paraissant considérer que la loi ne vaut que lorsqu’elle arrange, il a oublié que le véritable esprit républicain – et ecclésial – c’est d’en faire plus que la loi. Embarras démocratique, car cette tourmente est avant tout le véritable “crash test” d’une hyper-gouvernance qui n’est pas non plus à sens unique. Lorsqu’on est nommé cardinal actif pour trente ans on se doit effectivement d’assumer ses responsabilités. Et la célèbre phrase assénée au maire de Lyon à propos du sort de l’Hôtel-Dieu – “Tu n’as pas été élu pour gouverner tout seul” – résonne cruellement aujourd’hui comme un écho en forme de boomerang. Embarras moral enfin car il a, pour toutes ces raisons, manqué à ses responsabilités de leader moral d’une Église-modèle.

Au point que des élus chrétiens, engagés et acteurs dans leur ville, ne reconnaissent plus aujourd’hui son visage dans cette piteuse histoire qui les accable jusqu’à la nausée, dans l’effarement de ce qu’ils apprennent quotidiennement. Ces informations heurtent leur conscience de citoyen au service de la cité. Alors, Philippe Barbarin doit privilégier aujourd’hui l’intérêt de sa ville, de son diocèse et de son Église. Nul évêque n’est propriétaire de sa cathèdre. Il n’en est que le locataire. Aujourd’hui le bail arrive à son terme. Le monde attend Philippe Barbarin. Et Rome aussi. Par respect des victimes il doit la rejoindre avant que le signal n’arrive. Après il sera trop tard. Bien sûr, il ne pourra plus y exercer de fonction exécutive. Mais de nombreuses missions et commissions l’attendent. Il sera invité dans le monde entier. Et nous aurons un autre évêque choisi par le pape. Car le diocèse de Lyon n’est pas un petit village sans prétention où l’on peut y laisser donner mauvaise réputation. Le cardinal comprendra, qui y est si sensible. Il en sera remercié. Aussi pour la somme immense de tout ce qu’il y a fait de bien.

Pour que le départ de leur évêque ne soit pas, le 8 septembre prochain, le vœu des Échevins.”

Un Échevin

* Sous l’Ancien Régime, le mot “échevin” désigne les conseillers municipaux de la ville de Lyon. Chaque 8 septembre depuis le XVIIe siècle, les échevins, élus de la ville de Lyon, renouvellent les vœux faits à la Vierge Marie. La tradition remonte au 12 mars 1643, quand le prévôt des marchands (ancêtre de la fonction de maire) et quatre échevins demandent à la Vierge Marie de protéger la ville d’une épidémie de peste. Cette tradition a perduré jusqu’à nos jours.
** Contacté par la rédaction de Lyon Capitale, le père Christian Ponson n’a pas souhaité s’exprimer.

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