Du 13 au 30 octobre, la septième édition du festival Sens Interdits proposera une soixantaine de représentations surtitrées en langue originale, conçues par une vingtaine de compagnies venues de tous les continents, à l’affiche dans 26 lieux et théâtres partenaires. Nous avons voulu donner la parole à Patrick Penot, grand manitou de cet événement international depuis quinze ans.
Lyon Capitale : Comment se présente cette édition ?
Patrick Penot : C’est une édition spécifique que je qualifierais de transition. Elle est issue de la période Covid que nous vivons depuis plus d’un an et demi. Il y a tellement de projets qui ont été contraints, voire abandonnés... Mais des solidarités se sont mises en place et ont permis de compenser en partie cette situation.
À titre personnel, vous avez forcément effectué moins de voyages pour suivre les artistes…
J’avais été prévoyant puisque j’ai pu me rendre l’année dernière au Chili, où j’ai sélectionné quatre spectacles que l’on pourra voir lors du “Focus Chili” que nous proposons. J’ai pu aussi aller en Ouzbékistan et, in extremis, en Russie. Mais ensuite, effectivement, c’est devenu impossible. On a donc parfois fait des paris en programmant des spectacles que l’on n’a pas pu voir. Mais toujours avec des troupes dont on connaît l’exigence et la qualité, comme le Teatr KnAM de Tatiana Frolova qui vit dans un petit village russe, Komsomolsk-sur-l’Amour, à 8 000 km de Moscou. Effectivement, les répétitions par Zoom depuis Santiago du Chili, par exemple, ce n’était pas toujours évident… Au fond, et c’est peut-être un enseignement à tirer de tout ça, cela nous a encouragés à être inventifs, à trouver de nouveaux modes de fonctionnement, à nous montrer plus confiants non seulement envers les artistes mais aussi envers nous-mêmes. Et puis les théâtres et lieux partenaires nous ont suivis, y compris quand de nouvelles contraintes sanitaires venaient s’ajouter à celles déjà existantes.
“Tout cela nous a encouragés à être inventifs, à trouver de nouveaux modes de fonctionnement, à nous montrer plus confiants non seulement envers les artistes mais aussi envers nous-mêmes”
Ces contraintes, ces difficultés n’ont jamais entamé votre détermination ?
Je sais bien que l’on pourrait se dire, et je sais que certains le disent, est-ce le moment de faire de l’international qui coûte si cher ? Mais l’international n’est pas si onéreux s’il est bien pensé, et notamment quand tous les coûts sont mutualisés comme ils le sont avec Sens Interdits. Il serait peut-être plus judicieux de s’interroger sur les coûts de production dans le théâtre français sur certaines débauches de décors. Surtout quand on sait que les créations théâtrales sont en général peu diffusées, les chiffres du ministère l’attestent. Nous ne faisons venir que des spectacles qui circuleront ensuite, qui seront représentés dans au moins trois endroits différents, pour au moins six représentations. En amont ou en aval du festival. Aucune troupe ne vient pour un “one shot”. Par ailleurs, tout ce que l’on a construit permet aussi à des troupes françaises que l’on programme de tourner à l’étranger.
Quels sont les grands axes de la manifestation ?
Il y a, bien sûr, le Chili, un incroyable pays de théâtre, avec lequel les Français ont des liens forts, noués lors des années Allende. Quand j’y suis allé en 2020, j’ai vu combien il y avait un bouillonnement social, culturel, qui a d’ailleurs conduit à d’importantes réformes. Nous mettrons l’accent sur les Mapuches, peuple originel qui représente deux millions de personnes. Le théâtre n’est jamais loin des bouleversements sociaux.
Et puis nous avons des thématiques récurrentes comme celle de l’exil. Avec notamment Dieudonné Niangouna, exilé du Congo, que j’ai vu jouer dans un festival parisien plutôt rigolo, appelé “Tournée Générale”, qui se passe dans des bars. Il a depuis été récompensé par le grand prix de l’Académie. Il y a aussi un fil rouge sur les parcours migratoires et la mémoire.
Quelle place aura le théâtre dans “le monde d’après” ?
Comme toutes les activités humaines, le théâtre paie un lourd tribut à la crise. Beaucoup de personnes âgées ne viendront plus, par peur et parce que beaucoup sont malheureusement décédées. Pour les jeunes, c’est différent, ils ont certainement plus envie d’être dehors, à flâner sur les quais de Saône ou du Rhône. Mais je suis un indécrottable optimiste, je suis sûr que si on leur fait les bonnes propositions, ils viendront. Il faut encore accroître la médiation culturelle.
La raréfaction des grands textes dramatiques est également problématique. Même s’il s’agit d’un faux problème puisqu’il y a énormément d’auteurs, de bons auteurs de théâtre, par exemple dans les Balkans. Il faut les mettre en avant, comme nous nous efforcerons aussi de le faire.
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Focus sur quelques spectacles du festival Sens Interdits
• Fuck Me – Du 14 au 16 octobre aux Célestins
Ce spectacle de la chorégraphe et metteuse en scène punk argentine Marina Otero va secouer et interroger les spectateurs.
Conçu de façon prémonitoire avant la pandémie, Virus est un spectacle participatif ! Imaginé par le performeur néerlandais Yan Duyvendak, il met chaque spectateur dans la peau d’un décideur face à une dangereuse épidémie…
• Trewa, État-nation ou le spectre de la trahison – Les 28 et 29 octobre au TNP
Ce spectacle de la réalisatrice et metteuse en scène Paula González Seguel s’inscrit dans un cycle de cinq pièces consacrées au Chili. Il défend la reconnaissance des Mapuches, premiers habitants du Chili et d’une partie de l’Argentine. Space Invaders (les 13 et 14 octobre au théâtre du Point-du-Jour, le 15 octobre au théâtre de Vénissieux), de Nona Fernández, autre spectacle chilien, s’intéressera aux années de dictature Pinochet.
• De ce côté – Du 19 au 21 octobre aux Célestins
Spectacle de Dieudonné Niangouna qui donne la parole à un double de lui-même. Un acteur devenu patron de bar qui raconte son exil, de Brazzaville en Avignon (où il a connu un incroyable succès).
• Le Bonheur – Du 23 au 30 octobre aux Célestins
Fidèles au festival, Tatiana Frolova et son théâtre KnAM seront encore présents lors de cette édition. Dans sa dernière création, l’artiste originaire de Sibérie, où elle dirige un théâtre, s’interroge sur la notion de bonheur pour les citoyens russes.
• La Terre se révolte – Du 26 au 28 octobre aux Célestins
Sens Interdits a toujours accordé beaucoup d’intérêt aux pays en souffrance, et même en guerre. Ce spectacle franco-syrien met en scène le dialogue d’un réfugié syrien et d’une étudiante française. Bouleversant.
Festival Sens Interdits. Du 13 au 30 octobre dans 26 lieux de l'agglomération lyonnaise – www.sensinterdits.org