Florence Porcel étant aujourd’hui dans l’actualité, nous republions ici avec son titre original un grand entretien paru dans Lyon Capitale en juin 2017, dans lequel elle abordait déjà la question du cyber-harcèlement.
“Community manager de l’univers”, comme elle se présente, c’est une Martienne que Lyon a vue atterrir en 2015. Vulgarisatrice en astrophysique dont on a découvert l’humour dans Le Grand Webzé sur France 5 puis dans La Tête au carré sur France Inter, et surtout sur sa chaîne Youtube, Florence Porcel a fait partie des 660 candidats retenus (sur plus de 200 000) pour le projet de “colonisation” Mars One. Rencontre pleine d’énergie et de colère.
“Je m’en fous de savoir que tu me trouves “baisable”, je veux savoir si t’as compris les ondes gravitationnelles ! Tu as compris ?”
Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ?
Florence Porcel : Ça m’arrive de l’ouvrir sur des sujets qui me tiennent à cœur, comme la représentation des femmes dans le milieu scientifique. Tous les six mois, je pète les plombs et je fais un tweet pour dénoncer les commentaires sous mes vidéos qui n’ont rien à y faire. Et là, c’est dix fois pire, je me prends en retour une volée d’injures et de menaces qui font que je suis obligée de tout couper, que je dois me faire une cure de deux films par soir pour m’en remettre – heureusement, j’ai un abonnement – parce qu’après toute cette violence je n’arrive pas à rester seule chez moi.
Pourquoi ne pas débrancher ?
C’est compliqué, les réseaux sociaux font partie de mon job. L’été dernier, j’ai aussi fait une vidéo pour pousser un coup de gueule contre les commentaires sur mon physique. C’est la deuxième vidéo la plus vue de ma chaîne Youtube ! Plein de gens m’ont dit que ça leur avait fait du bien, des enseignants la diffusent en classe… Je ne pensais pas que mon histoire personnelle pouvait être si universelle. (S’en prenant à un commentateur imaginaire) “Je m’en fous de savoir que tu me trouves “baisable”, je veux savoir si t’as compris les ondes gravitationnelles ! Tu as compris ?”
Votre particularité physique, un œil qui ne se ferme pas, est la conséquence d’une opération suite à une tumeur. C’est une histoire qui vous a construite ?
Elle a commencé par me déconstruire. Apprendre à 16 ans qu’on va vous ouvrir le crâne… J’étais persuadée que j’allais mourir, alors que je n’avais rien fait de ma vie. Je me suis juré, si je m’en sortais, de tout faire pour aller au bout de mes envies. Et de ne pas me retrouver sur mon lit de mort avec des regrets.
Et vous êtes devenue une spécialiste de Mars…
J’aurais voulu être astrophysicienne, mais je n’avais pas de modèle. Je me souviens de ma maîtresse au CP ; quand je lui ai dit que je voulais être astronome, elle m’a répondu : “Et pourquoi pas institutrice, comme tes parents ?” Alors j’ai arrêté d’y croire… Comme j’écrivais bien, et que j’étais une fille, on m’a orientée vers un bac littéraire. J’ai fait du théâtre, puis passé mon diplôme de journaliste pour tenir une promesse faite à mes parents, mais je savais que ce n’était pas fait pour moi.
Ce que vous faites, n’est-ce pas une forme de journalisme ?
Non, mon métier, ce n’est pas informer, c’est divertir. J’essaie de traduire les recherches scientifiques en humour et en rêves. Et comme je ne suis pas une scientifique je vérifie tout ce que je dis, je me fais relire, pour ne pas faire passer d’erreurs.
Vous étiez parmi les finalistes pour le projet de colonisation Mars One, mais vous n’avez finalement pas été retenue. Quels sont vos projets du coup ?
Je ne renonce pas. Ce sera peut-être la Lune, qui sait ? Déjà, j’aimerais aller vivre un hiver en Antarctique, si possible avant mes 40 ans en 2023, sur la base de recherche franco-italienne, Concordia. Pendant l’hiver, ils sont quinze à rester, sans possibilité d’en partir, ni pour personne de les rejoindre. À tel point qu’une médecin qui s’était découvert un cancer du sein a dû s’opérer elle-même. Ce sont des climatologues, des astronomes. J’aimerais raconter ce qu’ils font, y être sujet d’expérience…
L’humanité vous insupporte ?
Je ne suis pas quelqu’un de sociable. J’ai besoin d’être seule. Vivre tout le temps avec quelqu’un, dans le même appart’, ce serait impossible. Moins je vois de gens, plus je suis en forme. J’ai un monde intérieur qui me suffit. Les paysages désertiques et monochromes me fascinent. J’ai passé quinze jours dans le désert de l’Utah pour une simulation martienne, c’était fantastique, mais tellement court ! Ne plus faire de courses, ne plus avoir besoin d’argent…, tous ces trucs qui vous bouffent la vie. Vivre sans, franchement, c’est cool.
Qu’est-ce qui vous fascine tant sur Mars ?
Tout est possible, il n’y a pas de chemins déjà tracés. Et surtout, on a des photos nouvelles tous les jours grâce au rover Curiosity. J’ai eu la chance de vivre depuis la Cité de l’espace de Toulouse son atterrissage. La moitié du matériel dessus est français ; alors, quand tout s’est bien passé, ça hurlait, ça s’embrassait… La Lune, les photos qu’on a datent un peu. Je suis frustrée d’être de la génération trop jeune pour avoir vécu les missions Apollo. On a fait beaucoup de progrès depuis, mais jamais personne de mon vivant n’est allé poser ses pieds ailleurs que sur terre !
“Les hommes préhistoriques, c’étaient des femmes, aussi ?”
Un combat ?
Remplacer partout le mot homme par “humain”. La première chose que j’ai faite à Lyon, c’est le musée des Confluences. Il y a trois hominidées, très belles. J’ai entendu une petite fille éberluée demander à ses parents : “Les hommes préhistoriques, c’étaient des femmes, aussi ?” J’ai pris une grosse claque.
Comment avez-vous atterri à Lyon ?
Il y a deux ans, après une conférence, j’ai eu un coup de foudre. Je me suis dit : c’est là que je veux être. Cinq semaines plus tard, j’avais plaqué mon appart’ après avoir passé treize ans à Paris et j’ai débarqué. J’aime beaucoup les couleurs de cette ville. Il y a plein de choses à faire sur le plan culturel. Le planétarium de Vaulx, c’est magique, avec des expos géniales, des médiateurs cool… C’est ma deuxième maison ! Après, mon rêve, ce serait d’acheter un terrain en Bourgogne, sur lequel je pourrais vivre en autarcie. Vu du train, ça a l’air si joli, ces petites collines, ces rivières, ces vaches… Mais pour l’instant je n’ai pas les moyens.
Youtubeuse scientifique, ça ne paie pas ?
Je suis la seule femme à faire de la vulgarisation à mon compte, sans un autre boulot à côté. Là j’en suis à vingt-deux mois d’affilée à travailler sept jours sur sept. Je viens de remplir ma feuille d’impôts pour 2016 : j’ai réussi à me dégager seulement l’équivalent de deux RSA par mois… Et encore, heureusement qu’il y a Tipeee (un site où l’on peut faire des dons réguliers à un créateur) qui complète ! Mais je ne trouve pas normal que des particuliers m’apportent un tiers de mes revenus. Je me suis écroulée la semaine dernière. Je tiens mes derniers engagements après cet entretien et je m’arrête une semaine. Appeler SOS Médecins dans une chambre d’hôtel d’une ville qu’on ne connaît pas, ce n’est pas possible, faut que je me calme. En dix jours, j’ai fait Bordeaux, Paris, Clermont, Genève, la Champagne et la Côte d’Azur… J’ai enchaîné des conférences pour des associations, des festivals, des écoles… Il faudra que j’arrête les invitations qui ne sont pas rémunérées.
À qui en voulez-vous ?
Peut-être aux maisons d’édition. Sur un livre, on ne touche quasi rien : 7 %, alors que c’est un boulot à temps plein pendant six mois. J’aime bien l’idée du revenu universel, parce que j’ai le sentiment que ce que je fais est utile, mais je ne gagne pas ma vie…
Que vous inspire le nouveau gouvernement ?
Ça m’a permis d’apprendre le nom du maire de Lyon ! (Rire.) Je suis très contente que Marlène Schiappa ait un secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes. J’avais pas mal bossé avec elle quand elle faisait son blog Maman travaille. Après, ça me paraît tellement évident ; je ne vais pas féliciter Macron d’avoir nommé un médecin à la Santé, une éditrice à la Culture… Ça devrait juste être logique de prendre des gens compétents et pas des politiques qui n’ont jamais travaillé. Je fais partie de cette génération qui ne compte pas sur eux pour régler les problèmes.
Comment les régler, alors ?
On ne les règle pas, pour l’instant… Je suis hyper pessimiste sur le réchauffement climatique, les politiques sont en dessous de tout. J’ai bien aimé le film Demain. S’il y a des solutions, elles viendront des gens, des politiques locales, des initiatives citoyennes sur la gestion des déchets, l’éducation… J’agis à mon échelle, on est de plus en plus et ça fait bouger les choses. Je mange bio, j’achète local, j’ai réduit ma consommation de viande – mais je ne pourrai jamais arrêter, j’aime trop ça ! Si je vais un jour sur Mars, j’emporterai du saucisson (rire).
Des héros ?
Claudie Haigneré est incroyable. Elle est allée deux fois dans l’espace, le bac à 15 ans, médecin, ingénieure, ministre… Le milliardaire Elon Musk, qui a revendu Paypal pour investir dans la voiture électrique Tesla, SpaceX, SolarCity, l’Hyperloop… C’est un entrepreneur fou, qui a servi de modèle pour l’adaptation d’Iron Man au cinéma.
Des zéros ?
Ça m’énerve que les humains arrivent très bien à s’entendre dans l’espace mais pas sur terre. Quand les Américains menacent de couper le courant à la Station spatiale internationale en rétorsion pour l’Ukraine, les Russes menacent de ne pas envoyer la fusée de relève… Et ils trouvent toujours une solution. Ça devrait bien être possible aussi sur terre, non ?
Y a-t-il de la vie ailleurs ?
Je pense que l’univers grouille de vie. Peut-être même dans le système solaire, par exemple dans les grandes lunes glacées autour de Jupiter et Saturne. Les scientifiques que j’interroge pensent qu’on détectera de la vie ailleurs que sur Terre dans les prochaines décennies. De mon vivant en tout cas. Le jour où ça se produit je fais le tour de la ville en hurlant : “Nous ne sommes pas seuls !”
Espérez-vous une rencontre extraterrestre ?
Autant je suis persuadée que l’univers grouille de vie, autant j’ai du mal à concevoir un autre type d’intelligence technologique… Mais c’est mon imagination qui est limitée. Oui, une rencontre, pourquoi pas, mais comment communiquer ? On serait bien embêté d’ailleurs. Les humains ne cherchent déjà pas à communiquer sur terre avec d’autres formes d’intelligence, comme les abeilles. Pourquoi ils y arriveraient dans l’espace ?
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