Avec plus d’une centaine de formations publiques et privées proposées sur le territoire, le bassin lyonnais expérimente de plein fouet le boom du numérique. Alors que la plupart des métiers n’existent pas encore, difficile de se projeter quand on est jeune bachelier. Pas de panique, le numérique, c’est aussi des métiers qui mutent, et qui suivent les transformations de la société. Petit tour d’horizon des filières digitales et de leur avenir.
Télétravail, visioconférence et webinaire, autant de mots que l’on a vu fleurir au coin de toutes les lèvres. La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a bouleversé les habitudes des Français qui se sont réfugiés dans le numérique. Par choix un peu, par obligation beaucoup. Et les jeunes dans tout ça ?
Ceux que l’on appelle “digital natives” sont-ils aussi concernés par la digitalisation de leurs études ? En réalité, les formations digitales n’ont pas attendu la crise sanitaire pour se multiplier. “Depuis quelque temps, on constate qu’il y a beaucoup plus de formations qui concernent les filières du numérique, confirme Céline Colombier, chargée de mission au Centre régional informations jeunesse (CRIJ). Et si le confinement va sans doute avoir un impact durable sur nos manières de vivre avec le numérique, il ne faut pas non plus en déduire que c’est la raison pour laquelle nous nous formons au digital. Le phénomène était déjà bien amorcé”, poursuit-elle.
La suite logique
Montre connectée, volets et stores intelligents, site de vente en ligne ultra léché et smartphone greffé à la main : le numérique est partout dans nos vies personnelles. “C’est donc très logiquement qu’il est de plus en plus présent dans nos vies professionnelles”, commente Philippe Zymek, directeur de l’agence Pôle emploi de Meximieux-Miribel mais aussi chef de projet régional sur le domaine d’excellence numérique.
Sans surprise, les besoins concernent beaucoup de postes de développeurs, ceux qui conçoivent les programmes informatiques et traduisent en code les tâches que doit effectuer une machine.
Lors d’un séminaire en ligne donné en septembre dernier, le Carif-Oref présentait le secteur du numérique dans la région. Et l’organisme estimait que chaque année, 80 000 postes (comptabilisés sur l’ensemble des secteurs numériques de la région) n’étaient pas pourvus. Deux tiers des offres d’emplois s’adressent à des développeurs et 93 % des entreprises de plus de 100 salariés du secteur numérique envisagent de recruter.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le secteur a impérativement besoin de bras, et de cerveaux. On n’hésite d’ailleurs pas à parler de pénurie.
Pour pallier le manque, une dizaine de formations labellisées Grande École du Numérique ont vu le jour dans la métropole de Lyon au cours des trois dernières années.
L’obtention du label garantit le sérieux de la formation et permet de répondre aux besoins concrets des entreprises d’un territoire en promettant à des personnes éloignées de l’emploi et/ou issues de zones prioritaires de suivre une formation qui participe au maillage du territoire.
À ces formations labellisées s’ajoutent des cursus dispensés au sein d’écoles privées, non moins sérieuses pour la grande majorité. Le site de la Région recense une centaine de formations publiques et privées confondues, sur le seul territoire de la métropole de Lyon. Le plus dur sera encore de choisir.
Prudence cependant : “Comme il y a quelques années avec le boom du bien-être, les formations numériques sont de plus en plus nombreuses. Il y a une brèche. Mais comme pour toute formation, il faut faire attention. Quand on n’a pas beaucoup de recul sur une école, il ne faut pas hésiter à se renseigner, à vérifier que l’on puisse entrer en emploi après cette formation. Certaines sont financées par des organismes comme la Région. C’est rassurant, car on sait qu’elles répondent à des besoins concrets exprimés par les entreprises : il y a une sécurité de l’emploi.” Céline Colombier appelle à la prudence et conseille aux jeunes de décrypter les formations proposées.
Dispensées dans des cursus privés ou publics, les compétences de la filière du numérique sont vastes et les besoins nombreux. Attention aussi à ne pas se jeter à corps perdu dans une formation dont le débouché ne plairait pas.
“Il manque des milliers de compétences digitales et numériques en France, environ 10 000 dans notre région”
Nouveaux besoins, nouveaux métiers
L’image du geek boutonneux enfermé dans une chambre semblable à une grotte est bien loin. Le digital devient, sinon glamour, au moins à la mode. Preuve en est, les nouveaux métiers ont tous adopté un nom anglais, n’en déplaise aux amoureux de la langue française. Webdesigner, data scientist, SEO manager ou community manager… Quels sont donc les métiers de demain ?
Pour naviguer confortablement sur Internet, il faut que le webdesigner ait conçu un site intuitif et simple d’utilisation. Une fois la navigation bien en main, on peut faire ses courses. Pour acheter en toute sécurité sur le Web, les experts en cybersécurité sont essentiels : ils s’engagent à protéger les données des utilisateurs en veillant à ce que les pirates ou hackeurs ne puissent pas pénétrer sur les sites.
En parallèle, les community managers sont en charge de l’image d’une marque sur les réseaux sociaux, ils répondent aux utilisateurs et se chargent d’être le relais entre les clients et l’entreprise. Et pour répondre au mieux aux besoins des clients, des data scientists collectent et analysent des données.
Les fameuses data constituent une mine d’or pour les entreprises qui peuvent mieux cerner les besoins de leurs clients en anticipant même les demandes des internautes. Intervient alors le trafic manager, dont le rôle est de faire en sorte qu’une marque ou un site internet soit bien référencé.
Mais plus que des métiers, ce sont aussi les missions qui deviennent numériques. Des métiers dits “traditionnels” se voient maintenant affublés de l’adjectif “digital” ou “numérique”. Sans surprise, les formations dédiées aux jeunes suivent le mouvement. Pour la chargée de mission du CRIJ, “c’est encourageant de voir que les formations s’adaptent aux mouvements de la société”.
Des développeurs, mais pas que
Et si, comme expliqué plus haut, les développeurs sont les plus prisés en matière de digital, toutes les fonctions d’une entreprise peuvent, et selon certains, vont, se digitaliser.
“Le digital simplifie la tâche de la personne qui l’exécute. Mais en parallèle, d’autres compétences lui sont demandées. Prenons les comptables par exemple, qui disposent de plus de données numérisées : désormais, on peut leur demander de les analyser”, affirme Philippe Zymek. Du numérique certes, mais pas que. “Dans le domaine de la communication et du commerce, par exemple, s’opèrent de grandes mutations”, poursuit-il.
Pour preuve, les changements survenus pendant les deux confinements. En quelques semaines, la plupart des boutiques qualifiées de non essentielles se sont équipées de sites de vente en ligne pour pallier le manque à gagner. Et certaines l’ont constaté : plus qu’un site internet, c’est toute une stratégie digitale qu’il faut mettre en place.
Ce n’est pas Stéphane Flex qui dira le contraire. Délégué général du Medef Auvergne-Rhône-Alpes, il est aussi le directeur de l’école The Nuum Factory, dédiée à la transformation digitale des entreprises.
Le numérique, il connaît bien. “Il manque des milliers de compétences digitales et numériques en France, environ 10 000 dans notre région. La crise ne fait que confirmer ce besoin de mutation. J’en suis profondément convaincu : quels que soient la taille et le secteur, si une entreprise n’envisage pas sa transformation numérique elle se fera doubler.” Hors de question de rester sur le carreau. “Lyon est une terre bénie des dieux pour le numérique”, commente le directeur d’établissement. En effet, Auvergne-Rhône-Alpes est le deuxième pôle numérique de France.
“Il faut préparer les jeunes à une adaptabilité, il faut qu’ils soient agiles”
Métiers du numérique ou numérique dans les métiers ?
Eh bien les deux. Si le numérique représente une filière à part entière avec ses codes et ses métiers, ce serait une magistrale erreur de ne pas inclure le numérique au sein des autres métiers. Le fameux marketing “digital” semble voler la vedette au marketing “traditionnel”.
“La logique reste la même, mais les modèles économiques sont différents”, selon Sonia Capelli qui dirige l’IAE de Lyon, une école de management. Parmi les formations proposées, un master “marketing connecté et communication digitale”.
“Aujourd’hui, c’est difficile de se passer du marketing et de la communication digitale. Grâce aux données, on connaît de mieux en mieux ses clients. On fait en sorte que la navigation sur les sites soit fluide, que l’expérience soit satisfaisante. Il y a des liens qui sont tissés grâce aux réseaux sociaux, avec les community managers. Tout marqueteur doit comprendre les enjeux.” Pour la directrice, certaines grandes entreprises parviennent encore à sectoriser les besoins. Et le marketing digital reste un service particulier. “À terme, il semble impossible que les marqueteurs ne maîtrisent pas le marketing digital.”
Se former toute la vie
“Se former toute sa vie, c’est évidemment un enjeu majeur, pas seulement dans le numérique”, rappelle Philippe Zymek. Si ce n’est que dans le numérique, tout semble aller encore plus vite que dans les autres domaines.
Alexandre Ventura est responsable pédagogie et offre de formation à la CCI Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne. Il explique : “Plus d’une cinquantaine de formations proposées à la CCI Formation concernent le numérique. Parmi celles principalement certifiantes ou financées grâce aux différents dispositifs mis en place par l’État, certaines très courtes permettent d’apporter à l’apprenant un socle de compétences fondamentales solides, pour ainsi être opérationnel rapidement.”
Si les formations de la CCI Formation s’adressent principalement aux salariés d’entreprise, demandeurs d’emploi et particulier, le nombre de demandes en matière de digital est significatif d’une société qui bouge. Et en formant au numérique, on forme aussi des jeunes comme des adultes à une agilité mentale et technique qui permet de s’adapter aux changements. C’est aussi ça, la polyvalence.
Polyvalence, le maître-mot
“Aujourd’hui, on estime que la moitié des métiers que l’on connaît va disparaître. En parallèle, deux tiers de ceux qui les remplaceront n’existent pas encore”, assure Philippe Zymek, de Pôle emploi. De quoi donner le vertige à un jeune bachelier.
Pour éviter la crise d’angoisse, Céline Colombier rassure : “Oui, beaucoup de métiers n’existent pas encore, mais sur tous ceux-là, certains sont en fait des mutations des métiers existants.”
“En fait c’est à ça qu’il faut préparer les jeunes, à une adaptabilité. On les met dans des cases très tôt, mais en réalité il faut qu’ils soient agiles. Ce sont ces fameuses ‘soft skills’ très recherchées par les entreprises.” Avec elles, les non moins recherchées “compétences transversales”.
Entendez par là que plus vous avez de cordes à votre arc, mieux c’est !
C’est pour compléter sa formation qu’Hamida Fenjirou, (lire portrait) a décidé de poursuivre ses études après un diplôme d’ingénieur en chimie. “Le numérique m’intriguait, et je voulais parler à la fois le langage de la chimie et celui du digital.” À l’aise entre les deux filières, la jeune femme tisse entre elles un lien capital qui assure à l’entreprise une compréhension de tous les services, et une transformation numérique efficace. Des postes quasiment sur mesure qui devraient arriver sur le marché. Ou que l’on peut créer soi-même pour les plus impatients.
Tous les niveaux
Que l’on se rassure, il n’est pas nécessaire de passer des années à étudier pour être employé dans une filière du numérique. “Quand on parle des métiers du numérique, les jeunes ont instantanément des images fantasmées. Ils imaginent des métiers de rêve comme testeur de jeux vidéo. Mais la réalité est bien plus vaste.”
Qui dit numérique dit infrastructures nécessaires pour expérimenter le numérique. “Il y a d’énormes besoins pour installer la fibre en ce moment. Il y a du travail dans ces voies-là”, rappelle Céline Colombier. Pas moins indispensables que les autres, ces fonctions sont parfois oubliées.
“Pour que votre frigo vous informe que vous n’avez plus tel ou tel produit, il faut des ingénieurs qui créent les programmes, des gens qui réparent les ordinateurs, et surtout, des personnes qui assurent une bonne couverture du réseau”, souligne Philippe Zymek.
Plus le numérique s’implante, plus le nombre d’emplois qu’il nécessite augmente, logiquement. “Sur les dernières années, on estime que 1 000 postes supplémentaires par an sont créés, sur la région Auvergne-Rhône-Alpes. La moitié dans le domaine du numérique, l’autre moitié en interne dans les entreprises, sur des postes davantage informatiques.” Et en toute logique, le nombre de postes devrait sinon augmenter, au moins stagner d’année en année.