L’incarcération d’une figure du FLNC et de son fils pour détention d’armes, quelques jours seulement après une nouvelle tuerie sur une route de la Castagniccia, tend à démontrer que les nationalistes demeurent maîtres du jeu dans le nord de l’île.
L’incarcération de Charles Pieri et de son fils Christophe, à la suite de la découverte d’armes de gros calibre à leurs domiciles respectifs, place de nouveau certains nationalistes au cœur de la dérive mortifère qui mine depuis plusieurs années l’Ile de Beauté. De retour sur ses terres en 2010 après une lourde condamnation pour extorsion de fonds purgée sur le continent, l’ex-leader du FLNC n’a donc pas tardé à retrouver les chemins judiciaires, dans un contexte extrêmement tendu dans le nord de l’île.
Sans que l’enquête permette pour l’heure d’établir un lien tangible entre tous ces événements, les observateurs attentifs de l’histoire criminelle insulaire relèvent que l’interpellation de cette figure du nationalisme corse, qui bénéficie du soutien actif des militants du mouvement indépendantiste Corsica Libera, intervient quelques jours seulement après un nouveau massacre commis sur une route étroite de la Castagniccia.
Castagniccia : des victimes très armées
Dans la nuit du 2 au 3 juillet, quatre jeunes gens circulant en voiture étaient pris pour cible en pleine montagne par un tir nourri de tireurs embusqués. Les investigations ont rapidement établi que les victimes – Nicolas Boschetti, Jean-Dominique Cortopassi, Jean-Dominique Bonavita et Jean-François Servetto – étaient eux-mêmes lourdement armés et munis de gilets pare-balles, qui n’ont guère été efficaces. Deux sont décédés et deux autres grièvement blessés. Bonavita, bien que sérieusement touché au thorax, est pourtant parvenu à marcher près de 4 kilomètres avant de prévenir les secours. Le parquet de Bastia, qui supervise l’enquête, n’exclut pas que les victimes s’apprêtaient elles-mêmes à “monter” sur un règlement de comptes.
“Tout est lié, mais il demeure difficile pour l’instant de dire qui a fait quoi et d’affirmer quoi que ce soit”, résume un enquêteur spécialisé, qui établit une relation entre cette tuerie et les événements survenus ces derniers mois dans la plaine orientale. Sorte de microclimat criminel dans la grande recomposition qui secoue le milieu insulaire ces derniers temps, cette guerre-là oppose des groupes qualifiés de mafieux à une faction très radicale du FLNC, elle-même investie dans les affaires, notamment immobilières. La déclaration de guerre a été officialisée le 20 juin 2011, avec l’assassinat à Folelli (nord de Bastia) de Charles Paoli, un entrepreneur proche de Charles Pieri. Quelques mois plus tard, le FLNC décide de venger la mort du militant en criblant de balles un autre entrepreneur, Christian Leoni.
Une hécatombe logique
Cela faisait très longtemps que l’organisation clandestine n’avait pas revendiqué un assassinat. Et elle l’a fait, ouvrant la voie à une logique hécatombe. Depuis, en effet, un autre entrepreneur, portugais celui-là, a été lui aussi criblé de balles dans la plaine orientale. Survient maintenant ce massacre de la Castagniccia, qui pourrait être directement en relation avec la guerre milieu/nationalistes. Certaines des jeunes victimes étaient en effet connues pour avoir des liens avec feu Christian Leoni. De là à y voir la marque de clandestins vengeurs, le pas n’est pas encore franchi.
Les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste, supervisés par le juge parisien Gilbert Thiel, ont ramené incidemment les poissons Pieri dans leurs filets. Ils enquêtent sur l’attentat qui a frappé l’année dernière la sous-préfecture de Corte. Le petit-fils de Charles Pieri, actuellement en fuite, est soupçonné d’être l’un des auteurs de cette action terroriste qui avait connu à l’époque un certain écho médiatique. La découverte des armes est survenue par hasard, au cours de perquisitions opérées chez les Pieri. Christophe et Charles Pieri ont tenté sans succès de convaincre les juges qu’ils ne cherchaient qu’à “assurer leur sécurité”. Ils ont été condamnés en comparution immédiate respectivement à deux ans et dix-huit mois de prison ferme.
Antiterrorisme, banditisme, nationalisme, la complexité des connexions entre ces différents dossiers criminels contribue à n’en pas douter à brouiller les pistes d’enquête et surtout la lecture des événements. Un nouveau défi pour l’État en Corse. Un de plus.