L'écrivain lyonnais et membre de l'Académie française Marc Lambron a rendu un hommage à hauteur d'Homme à Gérard Collomb.
Académicien, journaliste, romancier (auteur de L’Œil du silence, prix Femina 1993), Marc Lambron était un proche, un ami de Gérard Collomb. Comme lui "homme de verbe et de lecture". Mercredi 28 novembre, lors de ses funérailles, en la Primatiale Saint-Jean, l'écrivain a rendu à l'agrégé de l'université un hommage poignant et sublime. Nous le reproduisons avec son aimable autorisation.
Nous voici réunis pour commémorer Gérard Collomb, en cette circonstance à la fois irrémédiable et attristée où il quitte une ville qui ne le quittera pas.
Nous l’avons connu, certains l’auront aimé et d’autres affronté – parfois les mêmes – mais cette cérémonie rassemble en son souvenir la ville dont il fut le prince, la foule magnifique et blessée des enfants de Lugdunum, le visage de ces êtres de mérite qu’il chérissait en sa pensée et qui survivra dans la nôtre.
En cette cathédrale où un roi de concorde, Henri IV, épousa Marie de Médicis, nous accompagnons Gérard Collomb au moment où il prend rang dans la légende de notre cité.
Homme de verbe et de lecture, il partageait avec Edouard Herriot, dont le buste ne quitta jamais son bureau, cet honneur des humbles que le savoir anoblit. Né hors de Lyon comme lui, agrégé de l’université comme lui, bâtisseur comme lui, ministre de la République comme lui, goûtant comme lui le pittoresque des coulisses municipales et les discrets conciliabules du Sénat, notre maire va reposer au cimetière de Loyasse près de son illustre prédécesseur, promesse peut-être de colloques posthumes avec tablier de sapeur et cervelle de canut.
« Si Paris est la capitale de la France, Lyon est la capitale de la province », écrivait Albert Thibaudet dans La République des professeurs. Il y avait chez ce professeur républicain, remarqué par Raymond Barre pour les entreprises de haute technologie qu’il attirait dans son arrondissement, à la fois l’intrépidité d’un moderne fasciné par l’innovation et la sagesse d’un édile d’autrefois, tant il avait compris que la pérennité de Lyon s’enracine dans la continuité vivante de son histoire.
Lyon est une ville d’ingénieurs, de prêtres et de marchands. La cité des frères Montgolfier et de Jouffroy d’Abbans, de Jacquard et d’Ampère, des frères Lumière et du professeur Locard, la ville de Marius Berliet et de Charles Mérieux, celle où le préfet Jean Moulin accomplit sa légende.
Un biotope d’écrivains aussi, de Louise Labé à Antoine de Saint-Exupéry, de Louis Calaferte à Jean Reverzy, un laboratoire de la danse et du théâtre, une capitale mondiale de la haute gastronomie.
L’agrégé de lettres classiques lisait, goûtait et regardait. « Tout le monde peuvent pas être de Lyon, il en faut ben d’un peu partout », disaient les canuts. Citoyen de Lyon, Gérard Collomb le fut comme personne. Cela suppose de savoir compter jusqu’à deux. Deux cours d’eau mêlés en une Confluence dont il fut l’aménageur, deux collines – celle qui prie et celle qui travaille – une pieuse tradition de christianisme missionnaire face à l’esprit humaniste des sociétés de pensée, de tout cela il incarna la synthèse dans cette valeur que les historiens ont défini comme le modérantisme lyonnais. Une terre du milieu survolée par les antiques corbeaux celtes, une ville de foi et de secrets, à jamais vaccinée contre la mitraille de Fouché, pour toujours acquise aux pactes qui rendent notre vie habitable. Cela forge des caractères faits de nuances et de passions retenues : à Lyon, on trouve une fresque rouge au fond de la traboule obscure.
Gérard Collomb était un être de pactes et de saveurs. Un homme dont l’autorité se nourrissait d’une longue attente surmontée, avec cette sensibilité aux autres forgée par une ancienne timidité. Il avait cette simplicité que savent conquérir les êtres complexes. Le supporter de l’Olympique lyonnais, le pionnier du vélo urbain, le magicien qui faisait des berges une promenade, était un maire dont le progressisme ne se dressait pas contre l’industrie, mais savait en encourager les initiatives.
Combien de films d’archives le montrent coiffé d’un casque en visite sur un chantier, car l’on a compris dans une ville qui abrite une rue des Pierres Plantées qu’administrer c’est aussi ériger. Gérard Collomb savait qu’une métropole industrieuse porte des promesses de prospérité, mais que la justice et les égards dus à chacun, jusqu’aux plus humbles, doivent en modérer les cupidités. Cet homme parfois décrit comme jaloux de son pouvoir était en réalité vigilant sur les partages, selon une éthique de la redistribution.
Il voyagea. La capitale de la France n’est qu’à deux heures de train de Lyon. Ministre à Paris, Gérard Collomb paraphait des décrets sur le bureau de Cambacérès. Il avait ses habitudes dans un restaurant de la place de l’Odéon dont Jean Cocteau avait décoré les couverts. Mais son éternel retour était pour Lyon.
« C’est super ! », aimait-il à s’enthousiasmer, ce qui n’échappa pas à Laurent Gerra. On voyait surgir sa silhouette un peu voûtée, l’œil malicieux, la main tendue vers vous, d’une telle ubiquité que l’on pouvait se demander si ses amis des biotechnologies ne lui avaient pas façonné quelques clones. Gérard Collomb aimait d’amour la ville des aubes et des passages, et résidait dans un quartier nommé le Point du Jour. Plusieurs années durant, on le vit participer au tournage d’un remake de la « Sortie des usines Lumière » sous la caméra des cinéastes invités par Thierry Frémaux pour le Festival Lumière, qu’ils se nomment Scorsese ou Coppola, Jane Campion ou Quentin Tarantino. Il en tirait plus d’amusement que de gloriole. Dans son Histoire des Girondins, Lamartine écrit à propos de Lyon que « les supériorités y subissent l’ostracisme de l’indifférence ». Autrement dit, qu’il n’est pas d’usage dans nos parages de se hausser du col. La politique s’y fait à hauteur de passant.
Gérard ne plastronnait pas, il était. Avec les siens, avec ses enfants et Caroline, tel que je le vis un samedi à Lyon où, à peine nommé ministre de l’Intérieur, il n’oubliait pas d’accompagner ses deux filles adolescentes qui voulaient déjeuner au Hard Rock Café, ce qui pouvait après tout convenir à l’amateur de guitares électriques qu’il était aussi.
Ce démiurge souriant à l’accent un peu titi aura transformé sa vision en beauté, ce dont les illuminations de la Fête des Lumières porteront témoignage dans quelques jours. La cité de mon enfance ressemblait à Prague, il en avait fait une Florence. Gérard Collomb était l’âme de cette ville parce qu’il était devenu un homme-ville. A son image, il pouvait être conversant ou tranchant, amical ou consulaire, pratiquant la politique en tacticien impérieux, sentimental et parfois trahi.
Voyageur épris de Chine et de Japon, l’ancien élève du lycée du Parc savait que les civilisations de la soie répugnent aux accrocs : entre Rhône et Saône, ne jamais déchirer l’étoffe a valeur de loi morale. Ce tisseur de ville, portant en lui Lyon comme un stigmate, y aura livré son dernier combat sous un ciel d’automne, saison à la foi de promesses et de regrets.
Au soir même de son décès, je recevais un texto du Président de la République exprimant ainsi sa tristesse : « Il va nous manquer cruellement ». Si la ville est veuve de son regard, la cruauté de son départ trouvera sa consolation dans notre mémoire. Le chagrin du présent sculpte une stature qui désormais s’inscrit dans l’Histoire. Une larme coule sur la joue de Guignol, Madelon et Gnafron. Un maire quitte le castelet d’une ville dont, fidèle à notre enfance, il aura fait un théâtre.
Gérard, tu étais super. Nous nous sommes tant aimés, Lyon te salue, tu ne seras pas oublié.
Pour Édouard Philippe, "Gérard Collomb, c'était Lyon, et Lyon, c'est quelque chose" On ne peut mieux dire.
"Si Paris est la capitale de la France, Lyon est la capitale de la Province." (Albert Thibaudet)