Sur les piquets de grève lyonnais, les cheminots restent déterminés. Contrôleurs, conducteurs, et agents du Fret ont tous revoté la poursuite du mouvement pour un huitième jour. Explications de leurs revendications.
Jeudi 15 avril. Toutes les assemblées générales de la région de Lyon ont revoté, dans les mêmes proportions que mercredi la poursuite du mouvement. En nombre de grévistes, les syndicats CGT et Sud Rail annoncent également une participation équivalente.
Ce mercredi, début du 8e jour de grève au dépôt des contrôleurs de Perrache. A 10h, les grévistes se rassemblent pour le début de l'assemblée générale. Feu de palettes et poste de radio qui crache de la musique mettent l’ambiance, plutôt joyeuse et sereine. Les gréviste arrivent progressivement. L’AG peut commencer. Sans véritable suspense. Tous s’attendent à la reconduction du mouvement. Les responsables Sud Rail et CGT, les syndicats qui appellent à la grève, prennent rapidement la parole au mégaphone. Entre syndicats, on se partage les rôles.
A Stéphane Boulade, représentant de Sud Rail, celui de présenter les chiffres de grévistes de la région de Lyon (les dépôts de Lyon, Saint-Etienne et Valence) : “79% hier et 80% ce matin”. A son collègue de la CGT, Bernard Bondet, la tâche de convaincre de revoter la grève. Facile. Il sait l’assemblée conquise. Il en profite pour égratigner le président de la SNCF, Guillaume Pépy : “Pépy n’est pas crédible. Ce matin à RMC, il a encore affirmé qu’il n’y a qu’une minorité de grévistes”. Avec 128 pour, 7 abstentions, 1 contre. La grève est largement reconduite.
A côté, les 58 conducteurs présents en AG ont revoté au même moment la grève. Tout comme les 100 agents des gares de fret de Sibelin et Saint-Germain-au-Mont-d’Or. “Le mouvement se durcit, commente le responsable CGT de Saint-Germain-au-Mont-d’Or, Mathieu Bolle-Reddat. Vendredi, les agents sédentaires de la gare de Perrache ont déposé un préavis pour une grève reconductible. La direction veut jouer le pourrissement, elle est servie”.
Manque de personnel et séparation des activités
“On ne veut pas que notre métier change, on veut garder notre statut”, explique en substance Alex, contrôleur à l’autocollant Sud Rail. Tel est le sentiment qui est partagé par la plupart des grévistes rencontrés. Derrière ce statut, les agents pointent le démantèlement et la privatisation rampante de l'entreprise. Parmi leurs principales dénonciations : le manque de personnel et la progressive spécialisation sur une seule activité. En clair, les conducteurs et contrôleurs devront se diriger, soit vers les lignes de proximité, TER, soit vers les grandes lignes, TGV, sans possibilité de changement. “Depuis décembre, je n’ai fait qu’un TGV, explique ce jeune contrôleur. Auparavant, j’en faisais plusieurs par mois”.
Pour sa collègue Caroline, faire toujours les mêmes lignes, cela signifie un métier qui perd de son intérêt. Alors que les conditions de travail se dégradent. “La demande augmente, il y a de plus en plus de monde dans les trains mais la SNCF refuse de rajouter des wagons et des contrôleurs. C’est un problème pour nous et surtout pour les usagers”, poursuit Caroline. Et son collègue d’ajouter : “Il m'est souvent arrivé d'être seul pour plusieurs rames de voitures bondées. Et seul, ce n'est pas possible, je me suis déjà fait agresser”. Le 25 mars dernier, les contrôleurs de la région de Lyon avaient usé de leur droit de retrait suite à une agression à Montélimar. Selon les syndicats, 3000 à 4000 emplois seraient supprimés chaque année. Une dégradation qui dure depuis 10 ans. “Avant on faisait grève pour les salaires, maintenant pour les conditions de travail”, résume un délégué du personnel Sud Rail.
Une “Privatisation rampante” avec le fret pour laboratoire
L’analyse est partagée par Sud Rail, la CGT mais aussi les autres syndicats qui n’appellent pas à la grève : derrière cette spécialisation des métiers, se cache la privatisation. “On assiste au même saucissonnage que pour la Poste ou France Telecom. On sépare les activités et après on vend les produits”, prédit Stéphane Boulade, représentant des contrôleurs Sud Rail. Et pour la CGT et Sud Rail, le transport de marchandise est le laboratoire de cette privatisation. Les syndicats dénoncent même un “scandale du fret”. A l’heure du Grenelle de l’environnement et de la lutte contre le CO2, la SNCF est devenue avec sa filiale Géodis la première entreprise de transport routier.
Et pour remplir les camions, la direction aurait tendance à vider les trains. Cécile Faurite, déléguée CGT du fret, à la gare de triage de Sibelin, située au sud de l’agglomération lyonnaise, dénonce l'abandon du “wagon isolé” : “En dessous d’un certain tonnage, la SNCF ne fait plus la démarche de délivrer les zones industrielles, ce qu’on appelle le wagon isolé car elle estime que ce n'est pas assez rentable”. Plusieurs gares de triage pourraient ainsi fermer. “A terme, 60% du trafic sur les dessertes de marchandise aura disparu”, annonce la syndicaliste.
“Pépy veut rien entendre”
En ce qui concerne la table ronde du 21 avril proposée par la direction nationale de la SNCF, celle-ci est rejetée à l'unanimité par les deux syndicats. “Il y a vraiment une désinformation flagrante de la part de la direction et c'est ce que nous gène le plus. L'ordre du jour de la table ronde ne correspond même pas à nos revendications. C'est un "foutage" de gueule”, estime Stéphane, conducteur syndiqué à Sud Rail.
Les représentants de Sud comme ceux de la CGT sont clairs : “Nous voulons des négociations maintenant sur les conditions de travail et de transport et le plan fret, pendant le conflit et pas le 21 avril. Guillaume Pépy ne peut plus faire comme s'il ne se passait rien”. 11h30, les assemblées générales sont toutes terminées. Les agents CGT sont partis porter les revendications à la préfecture. Mardi, ils étaient reçus au conseil régional d’où un courrier a été envoyé à la direction nationale de la SNCF. Rendez-vous est donné pour le lendemain. La dernière grande grève, en 2007, contre la réforme des retraites des cheminots, avait duré dix jours.
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La bataille des chiffres du trafic
Depuis le début de la grève à la SNCF, le chiffre du trafic ferroviaire sur la région Rhône-Alpes est l'objet d'un désaccord constant entre la direction et les syndicats CHT Cheminots et Sud Rail. Selon l'entreprise publique, deux TGV sur trois et 80% des TER environ sont en circulation depuis lundi. Faux d'après les syndicats. Ces derniers estiment que même en prenant en compte les cars mis à disposition des usagers pour remplacer les trains, on arrive pas à ce taux-là. Selon eux, il y aurait entre 330 et 340 des trains seulement en circulation, sur les 1200 que compte la région. En attendant, la SNCF prévoit un trafic identique pour le jeudi 15 avril. Deux TGV sur trois sont prévus, 80% des TER devraient circuler, ainsi que 61% des Téoz et 71% des trains Intercités.
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