Lyon Capitale : La loi sur le séparatisme a été adoptée le 16 février à l’Assemblée nationale. Avant elle, d’autres textes législatifs avaient tenté de se pencher sur l’islam radical ou ses signes ostentatoires. Cette nouvelle loi peut-elle changer des choses ?
Haoues Seniguer : Pour moi, cette loi sur le séparatisme ne réglera pas nos problèmes. L’action publique est tendue vers la lutte légitime contre le terrorisme ou les violences faites au nom de l’islam. Cette loi ne va rien changer. Les terroristes qui ont perpétré des attentats sur notre territoire ne sont pas directement socialisés dans des lieux de culte musulman français. Ils évoluent hors des arcanes classiques. Les auteurs des attentats de cet automne n’étaient pas connus pour fréquenter assidûment ou régulièrement des mosquées françaises. Le lien n’est pas établi entre des mosquées salafistes et ces terroristes. Le législateur, et on peut comprendre ses intentions, veut réguler la vision du monde des musulmans dits rigoristes. Mais ce n’est pas une loi qui peut le faire. Il y a déjà des textes législatifs qui condamnent les appels à la haine. Le problème central, c’est la vision du monde des islamistes ou des salafistes, mais ce ne sont pas des mesures restrictives qui la changeront. Cette loi ne les empêchera pas de développer une vision négative de la société française. Avec l’instauration d’une charte des principes de l’islam de France, je trouve que le gouvernement reconnaît établir un lien entre les pratiques conservatrices de l’islam, les lieux de culte gérés par le CFCM et le terrorisme. Cette loi suppose donc que le problème est à l’intérieur des mosquées. Mais ce ne sont pas elles qui sont pourvoyeuses de terroristes ou de djihadistes. Ces derniers se socialisent dans un espace virtuel, principalement sur Internet et les réseaux sociaux. D’un point de vue communication publique, je comprends que l’État ait voulu montrer qu’il agit, mais, du coup, il a manqué la véritable cible.
Pour vous, qu’est-ce qui aurait été plus pertinent alors pour lutter contre le terrorisme islamiste ?
Il faut donner plus de moyens pour la lutte antiterroriste et la prévention sans ébrécher les libertés publiques. Il serait préférable de surveiller de près les gens qui tiennent des discours haineux. Là, nous avons mis sur la sellette les musulmans rigoristes, oubliant qu’eux-mêmes sont souvent contre le terrorisme. On ne parle jamais des islamistes ou salafistes qui produisent des textes condamnant le terrorisme car c’est contre-intuitif, ça heurte le sens commun. Ces courants de l’islam peuvent être socialement détestables, mais ça ne fait pas nécessairement d’eux des complices du terrorisme ou son avant-garde. Le contexte clivant, de suspicion, dans lequel nous vivons rend difficile la prise en compte de telles nuances, mais je tiens à le faire par souci de rendre compte d’une réalité complexe et contradictoire. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le terrorisme est le produit de l’hégémonisme occidentale, de l’impérialisme de l’État français, de son “islamophobie”, ni de ceux qui théorisent qu’il n’y a pas de terrorisme sans salafisme. Le terroriste commet ses actes au nom d’une vision rigoriste de l’islam certes, mais le salafisme n’est pas forcément la base du passage à l’acte violent. En amalgamant le risque terroriste et le salafisme, le législateur s’est trompé.
“Le débat politique ne crée pas la fracture, mais il en creuse les sillons avec cette logique permanente d’anathème, de suspicion ou de mise à l’index”
Cette loi pose aussi la question de comment faire société avec des salafistes qui ne partagent pas les valeurs fondamentales du modèle républicain français ?
Il faut se poser la question de ce qui conduit à la fracturation. L’islam rigoriste en est-il la cause ou la conséquence ? Emmanuel Macron, lors de son discours des Mureaux, reconnaissait que le séparatisme pouvait être activé par le haut, par des manquements de l’État. Les salafistes participent de la division de la société, mais ils sont aussi la résultante du fait que la République n’est plus désirable dans certains quartiers. Elle ne mobilise plus. Nos institutions n’ont pas assez pris en compte la relégation sociale des individus, leur stigmatisation dans l’accession au logement et à l’emploi. L’État n’a évidemment pas consciemment provoqué du séparatisme, mais les politiques urbaines ou des discours peu nuancés du personnel politique sur le fait musulman peuvent l’expliquer aussi. En mélangeant, dans le discours public à l’occasion du débat sur le séparatisme, le principe laïque à la question des fillettes voilées, du voile, des rayons halal, de la violence, etc., l’État n’a pas créé les conditions d’un dialogue serein avec les musulmans. Des musulmans légalistes sont d’ailleurs aujourd’hui travaillés par une forme d’anxiété. Ils sentent poindre une forme d’autoritarisme dans certaines pratiques étatiques, une envie de réguler leurs pratiques religieuses et pis, leurs façons de penser. Tout est mélangé et confus. Le gouvernement, ou des hauts fonctionnaires, parle de lutte contre le terrorisme, puis on entend, ici ou là, Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer dire qu’il faut, par exemple, enquêter sur les jeunes filles “dispensées” de piscine scolaire. Ces pratiques existent, mais sont minoritaires et très loin de la proportion considérable qu’elles ont pu prendre dans le débat public. Pourquoi ainsi mettre sur le gril une majorité de musulmans légalistes au nom de pratiques “sécessionnistes” d’une minorité d’entre eux ?
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