Harcèlement dans les transports : "J’ai arrêté de baisser les yeux"

Le jeudi 9 juillet, le gouvernement a annoncé une série de mesures pour lutter contre le harcèlement des femmes dans les transports en commun. Selon un rapport du HCEhf, 100% d’entre elles en auraient été victimes au moins une fois dans leur vie. Lyon Capitale a rencontré Julie, co-fondatrice de l’association de lutte contre le sexisme 21e Sexe, qui refuse la dégradation quotidienne que représente le harcèlement.

En avril dernier, le haut conseil à l’égalité homme/femme (HCEhf, institué en 2013) remettait au gouvernement un rapport selon lequel la totalité des femmes auraient été "victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d'agressions sexuelles" dans les transports en communs. Suivant certaines recommandations du document, l’exécutif a dévoilé jeudi 9 juillet une série de mesures pour lutter contre ces violences quotidiennes. A l’étude : arrêts à la demande pour les bus de nuit, système d’alerte par SMS, campagne de sensibilisation sur les peines encourues par les harceleurs ou encore formation des agents pour l’accompagnement des victimes.

Après être allé à la rencontre de 50 femmes dans les métros des TCL, Lyon Capitale a donné la parole à Julie, co-fondatrice de 21e sexe, une association qui lutte pour l’égalité homme/femme et contre les problèmes liés au sexisme. La militante estime que les mesures du gouvernement sont un "cadre politique et juridique qui représente une arme pour les victimes", mais elle reste amère sur la réalité actuelle de la situation. Dans les transports comme dans la rue, le comportement de certains hommes à l’égard des femmes est "blessant, choquant, humiliant, énervant".

Lyon Capitale : Selon une étude du HCEfh auprès de 600 voyageuses de l’Essonne et de Seine-Saint-Denis, 100 % d’entre elles ont déjà été victimes de harcèlement dans les transports en commun. Comment jugez-vous la situation à Lyon ?

Julie de 21e Sexe : Je pense que le harcèlement dans les transports est peut-être un peu moins présent à Lyon qu’à Paris, mais dans la rue ça le reste énormément. Dans les transports à Lyon, ça va être des regards, des hommes qui se mettent à côté de toi pour te parler, voire souvent t'insulter si tu ne réponds pas, ou pas comme ils voudraient. A Paris, de ma petite expérience, c'est vraiment des gestes totalement déplacés comme une main sur la cuisse, sur les fesses ou bien un homme qui se met derrière toi quand le métro est bondé et qui se frotte littéralement à toi.

Qu'est-ce que le harcèlement et quelles formes prend-t-il ?

Le harcèlement, en l'occurrence dans l'espace public, est un ensemble de comportements non désirés par la victime, hostiles et irrespectueux, qu'un groupe exerce sur un autre groupe, établissant sur lui un sentiment d'insécurité et donc d'infériorité. Dans le cas du harcèlement dans l'espace public, l'oppression vient des hommes sur les femmes. Les femmes ne sont pas oppressées pour leur comportement, leur vêtements ou que sais-je... Elles le sont parce qu'elles sont des femmes.

Les formes que prend le harcèlement sont de toutes sortes. Cela va du regard libidineux à la main entre les cuisses, en passant par la mimique, le sifflement, le commentaire désobligeant, la discussion imposée ou l’insulte. Il n’y a pas un type plus courant qu'un autre, c'est une oppression continue et quotidienne.

Comment se sent-on après avoir été harcelée ?

On se sent réduite au rang d'objet sexuel sur lequel les hommes ont leur mot à dire et qu'ils ont le droit de toucher, d'envahir. On ne se sent pas respectée en tant qu'être humain. C’est blessant, choquant, humiliant, énervant. D’abord on a envie de crier ou de pleurer, puis on se remet en question. On évite les endroits "propices" au harcèlement (sans se rendre compte que tous les endroits sont propices). On s'astreint à des comportements, comme changer de vêtements, baisser les yeux. On ne s'habitue pas, on s'adapte. Parce qu'on a le sentiment que l'on n’a pas d'autres choix que de s'adapter. Parce que l'espace public est masculin. La rue est aux hommes, tu es sur leur territoire. Une partie des femmes n'ont même pas conscience d'être victimes de harcèlement, tellement c'est constant, donc banal et intériorisé. Et pire, comme on te répète toute ta vie que c'est bon signe, que tu devrais être flattée, elles ne se rebelleront jamais contre cette oppression.

Comment peut-on réagir dans ces situations?

Comment réagir ? C'est terrible que ce soit aux femmes de réfléchir à comment elles doivent réagir et non pas aux hommes de se demander pourquoi ils font ça. Moi j'ai arrêté de baisser les yeux. Pendant un moment, suite à des harcèlements, j’essayais la sensibilisation, la discussion. Mais ça rentre par une oreille et ça ressort par l’autre, ou alors les excuses sont hypocrites. Maintenant je lance des regards noirs et je hausse le ton, voire je pète un câble. Mais ça prend beaucoup d’énergie.

Que pensez-vous des propositions du gouvernement pour lutter contre le harcèlement?

Enfin on arrive à des mesures ! J'attends de voir comment elles vont être mises en action mais c'est déjà un immense pas qui prouve l'évolution progressive des mentalités et la volonté d'agir parce qu'on considère ça comme un problème public. Un tel cadre politique et juridique représente une arme pour les victimes. D'une part elles savent que ce n'est pas de leur faute et d'autre part, elles peuvent utiliser la menace de la loi contre des harceleurs qui se sentaient en état d’impunité.

D'où vient le harcèlement de rue ? Qu'est-ce qui pousse les hommes à agir de la sorte, selon vous ?

Le harcèlement de rue c'est le patriarcat par excellence : l'homme est dominant dans l'espace public, qui a été conçu par les hommes, pour les hommes. Les femmes y sont de passage, elles ne traînent pas, elles vont d'un point A à un point B en faisant bien attention à leur comportement. C'est aussi un résultat de la culture sexiste, machiste, misogyne dans laquelle nous vivons. Les hommes peuvent se permettre d'exercer un contrôle sur les femmes et de faire des remarques, des gestes, des insultes, des agressions parce qu'ils ont été élevés comme ça et se considèrent comme supérieurs aux femmes. Et comme toute la société est comme ça, ça parait tout à fait normal et tout le monde finit par le considérer comme naturel. Les hommes sentent qu'ils ont le droit et justifient ce droit par des arguments tels que l'habillement ou le comportement des femmes, qu'ils définissent comme pas assez "respectables". Ce genre de justification est le symbole d'une culture du viol latente, c'est à dire une culture qui tolère les violences envers les femmes et confère une part de responsabilité aux victimes (c'est à dire toutes les femmes). Et c'est une arme très efficace puisque les femmes ont de ce fait le réflexe d'avoir à se protéger, à cause du sentiment d'être en danger dans la rue, ne pas "chercher les ennuis", et donc ne pas mettre de jupes, de restreindre leurs comportements. Et la conséquence est qu'en cas d'agression ou de viol, l'idée du "oui enfin bon, tu l'as bien cherché" est émise, aussi bien par les hommes pour justifier leurs actes, que par les femmes qui culpabilisent et ne portent du coup que rarement plainte. Donc il faut enlever ce "droit", cette "impunité" des hommes, ici dans l'espace public, mais aussi dans toute la société.

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