Herbicides : le procès de David contre Goliath

Le procès opposant Paul François, agriculteur charentais intoxiqué au Lasso, puissant herbicide commercialisé par Monsanto jusqu'en 2007, avait lieu à Lyon lundi 12 décembre après-midi. Compte-rendu d'audience.

Paul François, agriculteur charentais, ne pratique plus l'agriculture intensive et n'utilise plus de produits phytosanitaires depuis le 27 avril 2004. Ce jour-là, sa vie bascule. Il est en train de nettoyer une cuve contenant du Lasso, puissant herbicide. Croyant qu'elle est vide, il en soulève le couvercle. Par malheur, il en reste encore une centaine de litres au fond. Il en inhale les vapeurs et développe par la suite de graves troubles neurologiques. Il souffre de graves nausées, de pertes de connaissance et de troubles de l'élocution. Gravement intoxiqué, il reprend son travail seulement un an plus tard et mettra plusieurs années à faire reconnaître son accident professionnel. En 2008, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angoulême reconnaît toutefois sa maladie, classée professionnelle depuis. Mais le céréalier n'en reste pas là. Il attaque, dans la foulée, la firme Monsanto qui commercialise le Lasso. Le siège français du géant agrochimique étant basé à Bron, l'audience se déroulait devant le tribunal de grande instance de Lyon, ce lundi.

Monsanto savait…

Me François Laforgue, son avocat, a fait valoir hier à l'audience que son client voulait faire "reconnaître la responsabilité de Monsanto" et demande au tribunal "d'ordonner une expertise pour permettre d'évaluer les dommages". Selon le conseil de Paul François, la firme connaissait "depuis 1982", date de la première étude canadienne sur le Lasso, la toxicité du produit. Elle aurait dû ne pas attendre que l'Union européenne l'interdise à la vente en 2006 pour le retirer du marché en France en 2007. Sans compter les multiples études qui sont parues dans l'intervalle, dont une de l'OMS, démontrant le caractère cancérogène du produit en 1996. L'avocat de Monsanto, Me Jean-Philippe Delsart, consent qu'en effet Monsanto n'a jamais prétendu vendre des produits inoffensifs mais l'agriculteur ne s'est pas protégé ce jour-là.

L'agriculteur ne portait pas de masque

Me Laforgue expose que l'étiquetage du Lasso était défaillant à l'époque, qu'il ne fournissait pas "tous les renseignements nécessaires à son usage. La composition du produit étant en particulier incomplète. On ne sait pas dans quelle proportion interviennent les composants. Rien n'est spécifié non plus en cas d'inhalation des vapeurs du produit. Il n'est pas précisé qu'il faut porter un masque ou une protection respiratoire spécifique pour l'utiliser". Faux, rétorque Me Delsart, "non seulement votre client avoue lui-même qu'habituellement il portait un masque pour manipuler ce type de produit, mais en plus, l’étiquetage précise bien qu'il faut porter une protection au visage pour utiliser le Lasso. Je ne vois pas quelle différence il y a entre un masque et une protection au visage !" Monsanto met en doute la survenue de l'accident lui-même – "on n'a aucune preuve de ce qui s'est passé" – et le lien de cause à effet entre les séquelles de Paul François et l'inhalation présumée du Lasso.

L'intoxication mise en évidence en 2005

Pourtant, après de multiples tentatives et de vains contacts auprès des centres antipoison de sa région, Paul François finit par être pris en charge par les médecins de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, en février 2005. Ces derniers réussissent à mettre en évidence l'intoxication du patient au chlorobenzène et à l'anachlore, les deux composants du Lasso. "Preuve est faite que l'agriculteur a subi une intoxication 5 à 7 mois avant l'analyse, sans que l'on puisse dire s'il y en a eu une plus ancienne", conclut son avocat. Intoxication confirmée et expliquée par la suite par le professeur Paul Narbonne, toxicologue à l'université de Bordeaux 1, qui explique que les composants du Lasso inhalés en très fortes quantités, le 27 avril 2004, ont été stockés dans les graisses et relargués par le corps plusieurs mois après. Impossible, estime l'avocat de Monsanto, qui met en doute l'indépendance du chercheur : "Il a signé une pétition anti-OGM". Monsanto a aussi mandaté un chercheur qui dit que le phénomène mis en évidence par Narbonne ne s'est jamais vu. Il en conclut que l'agriculteur se serait exposé de nouveau, après son accident, au Lasso et ce "de manière répétée". "Une seule exposition ne peut pas expliquer de tels résultats, ou alors il aurait dû en mourir".

Le soutien de dizaines d'anonymes

L'intéressé attend maintenant que "la justice fasse son travail". Calme et serein hier au sortir de l'audience, Paul François a dit qu'il n'y avait "pas de raison de ne pas y croire". Il s'interdit de se plaindre pour son copain mort du cancer il y a quelques jours. Paul François affirme que des tas d'agriculteurs souffrent en silence en France. Il se bat pour déculpabiliser la profession et en finir avec le tabou des maladies liées à l'utilisation des produits phytosanitaires.

Entouré d'une partie de son comité de soutien (300 personnes) hier à Lyon, de plusieurs représentants de la Confédération paysanne et de membres de diverses associations du Rhône qui ont sifflé l'avocat de Monsanto à la sortie, Paul François a reçu le soutien de nombreux agriculteurs de la région hier. La salle d'audience était comble. Le jugement a été mis en délibéré au 13 février prochain.

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