@Jean-Baptiste Roche

Histoire de Lyon : Lione, place bancaire de l’Europe

Au XVIe siècle, Lyon était un des plus importants centres européens en matière de finances. La puissance de l’argent fut telle que les banquiers italiens de Lyon financèrent la couronne de France.

“(…) La quantité d’argent qu’on y dépense de toutes parts est immense. Lyon est le fondement du commerce italien et, en grande partie, du commerce espagnol et flamand. Je parle des échanges de l’argent : c’est la partie du commerce qui donne les plus grands avantages.” Dans la note* qu’il envoie à sa république, en 1528, Andrea Navagero, diplomate vénitien et ambassadeur auprès de François Ier, est émerveillé. Quelques années plus tard, Jérôme Lippomano, un autre ambassadeur de Venise à la Cour de France, n’en était pas moins ébloui : “Lyon, par son ancienneté, sa grandeur, sa position, son commerce, est non seulement une des principales villes de France, mais des plus célèbres d’Europe.”

Foires et privilèges royaux

Par sa situation géographique sur l’axe Europe du Nord/Orient, Lyon est depuis le XVe siècle un carrefour commercial et financier. Elle est alors “l’égale ou presque de Florence, de Rome, de Gênes, d’Anvers, de Valladolid ; supérieure à Amsterdam, Augsbourg, Nuremberg et Genève”, écrit l’historien Richard Gascon. Plaque tournante économique européenne, Lyon doit sa prospérité aux politiques et à l’esprit d’à-propos des rois de France : depuis 1420, Charles VII, alors régent du royaume, accorde, en reconnaissance de la fidélité de Lyon au roi, des privilèges pour tenir deux foires de six jours. Devenu roi en 1444, les foires passent à vingt jours chacune. Louis XI, par les Lettres du 8 mars 1463, autorise quatre foires de quinze jours, aux Rois, à Quasimodo, au début du mois d’août et après la Toussaint. Si certaines villes françaises complotent pour ôter à Lyon ses privilèges royaux, qu’elle récupère après l’abolition dans tout le royaume pendant trois ans, rien n’y fait : Charles VIII “l’Affable” rétablit toutes les foires lyonnaises dès 1484.


Au XVIe siècle, la ville concentre 169 des 209 grandes sociétés de commerce de France – ces dernières représentent 81 % de l’activité du royaume.


Lyon est très riche et vit dans l’opulence. Au XVIe siècle, la ville concentre 169 des 209 grandes sociétés de commerce de France – ces dernières représentent 81 % de l’activité du royaume. Chaque année, les foires attirent jusqu’à 6 000 étrangers, alors que la ville compte entre 50 000 et 70 000 âmes (selon les études), quasiment un dixième de la population. Pour l’année 1569, les importations de tous les importateurs étrangers et de toute l’année à Lyon auraient oscillé entre 10 et 15 millions de livres tournois, la valeur globale enregistrée à Séville en trois ans. Lyon approvisionnait alors tout le royaume de France.

Cette efflorescence lyonnaise est essentiellement l’affaire des Italiens. Épices, draperies, métaux, cuirs, orfèvrerie, livres, cartes, toiles fines et œuvres d’art d’Italie... Si toutes les marchandises passent par Lyon, ce sont les textiles qui prédominent. “Grâce aux attaches avec leurs villes d’origine, des chasses gardées s’organisaient : les velours de Gênes entre les mains des Génois, les draps de soie de Lucques aux Lucquois, les soies crues plus éparpillées mais aux Italiens, les épices, enfin, que les Vénitiens négligeaient de redistribuer eux-mêmes longtemps aux Florentins”, écrit Michel Morineau dans “Lyon l’italienne, Lyon la magnifique.”**

L’élite : les marchands-banquiers

La Commune, corps décisionnel de la ville, est alors aux mains des marchands. On va même jusqu’à parler de “république des marchands”, ces derniers se voyant accorder un ensemble de privilèges d’exemptions fiscales voire de rétributions. Un fait substantiel quand on sait que les Lyonnais étaient à cette époque très imposés (le dicton était alors : “Lyon soutient la couronne par les impôts, et Paris par les dons gratuits”). Au sommet de la hiérarchie sociale, les marchands-banquiers qui, en plus de faire commerce de
marchandises, faisaient commerce de l’argent. Leur statut revêt des fonctions multiples : grossistes, ils ne tiennent pas “boutique ouverte” mais achètent les marchandises les plus prometteuses dans tous les domaines, en grosses quantités, pour les revendre aux détaillants ; commissionnaires, ils achètent au gré de leurs voyages des marchandises à l’étranger ou dans d’autres villes et les fournissent à d’autres marchands, moyennant bénéfices ; banquiers, ils avancent de l’argent aux fabricants et demandent un remboursement en produits manufacturés, ce qui leur assure une plus-value.

Dans un système fondé sur la lettre de change, les marchands-banquiers spéculent sur les taux de change et dessinent les prémices du capitalisme lyonnais.

La première bourse française

Les Florentins sont les plus représentés, avec une cinquantaine de maisons de banque au début du XVIe siècle, comme les Guadagni, Capponi, Gondi, Cei, Del Bene, Strozzi Bartoli, Gagliano. Lyon recense également de nombreuses maisons génoises (Médicis) et lucquoises (Bonvisi).


La famille Guadagni régla une bonne partie de la rançon (1,2 million d’écus d’or) demandée par Charles Quint pour libérer François Ier, fait prisonnier à Pavie.


Ces banquiers se concentrent dans le Vieux-Lyon, entre les rues Juiverie, Lainerie ou la place du Change. Cette dernière devient le centre névralgique de la banque à Lyon, le siège des foires et des banques et se situe au centre des cinq quartiers les plus riches de la capitale des Gaules. Sur la façade du temple est gravée la devise de la ville “Sous la conduite de la vertu, avec la fortune pour compagne” (“Virtute duce, comite fortuna”, paroles de Cicéron dans une lettre adressée à Lucius Munatius Plancus, le fondateur de Lyon). “Au XVIe siècle, le cours des monnaies européennes est fixé à Lyon au moment de la foire des paiements lorsque s’effectuent les règlements issus de la foire des marchandises”, écrit Nicolas Segard dans Culture Banque. “N’est-ce pas à Lyon qu’est créée, en 1506, la première bourse française, et avec elle la banque commerciale ?”, peut-on lire dans la salle des musées Gadagne consacrée à Lyon sous la Renaissance.

Les banquiers italiens s’installent pour de bon à Lyon (certains, comme les Guadagni, obtiennent leur “lettre de naturalité”, devenant ainsi lyonnais puis français). Ils sont alors les plus riches de la ville.

Financiers de la Cour de France

Ces même Guadagni se font construire des palais (aujourd’hui les musées Gadagne), d’autres ont donné leur nom à une rue, à l’instar des Capponi qui firent préparer, à leurs frais, un repas pour plus de 4 000 pauvres de la ville, lors de la famine de 1573. Les banquiers italiens étaient si puissants à Lyon que les plus importants d’entre eux prêtèrent au roi de France en personne. Les guerres d’Italie furent en partie financées par les banquiers italiens de la place de Lyon. Pour ces derniers, les financements des campagnes sont des opérations très rentables, les taux pratiqués pouvant atteindre 20 %. Au décès de François Ier, en 1547, le montant des dettes de l’État auprès des banquiers italiens de Lyon atteint 6,8 millions de livres, quasiment autant que les recettes du Trésor (7,1 millions de livres). Quelques décennies plus tôt, c’est la famille Guadagni qui régla une bonne partie de la rançon (1,2 million d’écus d’or) demandée par Charles Quint pour libérer François Ier, fait prisonnier à Pavie.

 

L’âge d’or des Italiens de Lyon prendra fin en 1555 avec l’institution du “Grand Parti de Lyon” : le roi Henri II lève un gigantesque emprunt auprès des marchands-banquiers de Lyon dans l’objectif de refinancer à long terme l’ensemble des dettes royales. Mais la guerre avec Charles Quint reprend. Par ailleurs, le royaume est touché par une crise monétaire. Au lieu des quarante et un remboursements prévus, les prêteurs n’obtiennent que neuf acomptes. Cette banqueroute du royaume entraîne la chute de la place financière de Lyon. Et des banquiers italiens.

* In “Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France au XVIe siècle, recueillies et traduites par N. Tommaseo”, Tome I, Paris, Imprimerie royale, 1838.
** In “Annales. Économies, sociétés, civilisations”, 29e année, N. 6, 1974. p. 1537-1550.

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