© Patrice Malot

Histoire et patrimoine : quand l’architecture veut faire rayonner Lyon

Depuis les années 1980, les maires qui se succèdent à Lyon mènent une politique de rayonnement international en faisant appel aux architectes de renommée mondiale.

Architectures déroutantes, parfois peu compréhensibles, nées de l’agitation de la vie moderne…, il est bien plus difficile de porter un regard sur un art qui naît et s’élabore sous nos yeux que d’aborder l’architecture des siècles passés, épurée, en quelque sorte “décantée”, par le temps et l’histoire.

Aux temps complexes et à un monde qui, dès la fin des années 1970, commence à changer radicalement (mondialisation, abondance médiatique, ordinateur, etc.) vient répondre une architecture aux contours moins précis que les courants architecturaux qui la précédent, à la fois multiforme et en perpétuel devenir.

Appréhendons les grandes tendances, les constructions emblématiques lyonnaises, souvent signées de grands noms de l’architecture d’aujourd’hui, mais aussi des lieux plus insolites et étonnants.

Le temps de la qualité de vie et l’ouverture à l’international

Alors que les années 1960-70 sont marquées à Lyon par la priorité donnée à la construction de logements et d’infrastructures, depuis la fin des années 1980, l’accent est mis sur la qualité urbaine grâce à l’aménagement et la création de nouveaux cadres de vie.

Initié par le maire Michel Noir (1989-1995) le plan Lumière se fait jour : ponts et monuments sont mis en valeur, les places sont dotées d’un mobilier urbain spécifique et beaucoup sont recomposées à l’instar de celle des Terreaux, animée par des jets d’eau intermittents et dont la fontaine est déplacée face au palais Saint-Pierre.

Il est suivi d’un plan Couleur qui dote la ville de jolies teintes. En 1991, le Grand Lyon adopte le plan Bleu afin de rétablir les relations des Lyonnais à leurs cours d’eau. Les berges utilisées pour le stationnement ou la voirie sont rendues aux habitants.

Depuis les années 1980, les édiles de Lyon et du Grand Lyon mènent également, dans une grande continuité, une politique de développement afin d’inscrire Lyon parmi les métropoles européennes dynamiques.

La mise en concurrence des pôles économiques au niveau européen impose aux grandes villes de renforcer leurs atouts urbains pour attirer investisseurs et entreprises.

La Cité internationale, le projet Confluence et le réaménagement du quartier de la Part-Dieu, avec sa skyline de nouvelles tours, emblématisent cette politique de développement tout comme la reconversion de l’ancien quartier industriel de Gerland en technopôle lié aux sciences biologiques, avec laboratoires spécialisés et pôle de recherche.

De grands noms de l’architecture à Lyon

Si, jusqu’alors, à l’exception de Le Corbusier, les noms de la plupart des architectes demeurent largement méconnus du grand public, un changement s’opère à partir des années 1980.

Des architectes select deviennent les vedettes de l’actualité, au point qu’on parle parfois de “starchitectes” : Frank Gehry, Renzo Piano, Christian de Portzamparc, Jean Nouvel… font souvent la une des journaux.

C’est également l’époque où se généralise le principe des concours pour les grands projets, ouvrant la voie à de jeunes architectes.

À l’instar d’autres grandes villes européennes, Lyon se dote d’équipements signés de noms prestigieux.


La Cité internationale

Renzo Piano (1984-2006)

© Wikimedia

Architecte iconique, qui co-signe en 1977 le Centre Pompidou, Renzo Piano construit, à l’emplacement du Palais de la foire, qui migre à Chassieu, un complexe visant à développer la “vocation européenne” de la métropole de Lyon. Les bâtiments, mêlant verre et brique, entourent une rue intérieure qui conduit du musée au cinéma, de restaurants en salles des congrès.

> Le saviez-vous ?
Renzo Piano avait esquissé une tour de 120 à 140 mètres de haut, parfois adjointe d’une petite jumelle, qui ne vit jamais le jour.


L’opéra de Lyon

Jean Nouvel (1986-1993)

© Franchella Stofleth

Non sans susciter à l’époque un tollé, Jean Nouvel dote le toit de l’ancien théâtre de Chenavard d’un monumental cylindre de verre et d’acier, qui double la hauteur de l’édifice. Aujourd’hui bien intégré dans le paysage urbain, il concilie histoire et modernité. L’illumination en rouge de la coupole translucide la nuit rythme la surface de la voûte.


L’aéroport de Lyon-Saint-Éxupéry, gare du TVG

Santiago Calatrava (1988-1993)

© Patrice Malot

La construction de l’architecte espagnol n’est pas sans évoquer une sculpture géante aux ailes d’oiseau. À la fois dessinateur et sculpteur, passionné de géométrie dans l’espace et sciences naturelles, Calatrava livre une structure dont le complexe intérieur, mêlant le béton armé, l’acier et le verre, rappelle le délicat tracé d’une cage thoracique.


La Maison du livre, de l’image et du son

Mario Botta, à Villeurbanne (1989)

© Gilles Michalet

L’architecte suisse, qui s’est notamment illustré depuis en réalisant le Musée d’art moderne de San Francisco, avait pour ambition de doter la ville d’“une cathédrale laïque à l’intention des générations futures”. Son puits de lumière central, formé de cylindres verticaux superposés, est l’élément architectural le plus marquant.


L’École normale supérieure de Lyon

Henri et Bruno Gaudin (1999-2000)

© Nadège Druzkowski

Courbes, contre-courbes, fenêtres pointues en triangle, juxtaposition de blocs… de l’audace des formes émerge un bâtiment aux façades ondulantes d’une grande pureté. L’architecte, décédé en 2021, avouait préférer la ville médiévale, avec ses niches et replis obscurs, aux façades classiques, rectilignes mais froides. Son fils, Bruno, a construit la bibliothèque.


La médiathèque Lucie-Aubrac de Vénissieux

Dominique Perrault (2001)

L’architecte à qui l’on doit la Bibliothèque nationale de France (BNF) a construit une grande maison de verre miroitante à l’architecture “simple, compacte, presque industrielle”. Elle porte la nouvelle image d’un centre-ville en pleine restructuration.


“Lyon est une ville pionnière !”

François Brégnac est architecte et urbaniste et ancien directeur général adjoint de l’Agence d’urbanisme de Lyon

Lyon Capitale : Quelles sont les grandes tendances de l’architecture contemporaine ?

François Brégnac : Pour comprendre les tendances actuelles, revenons à l’époque de l’entre-deux-guerres qui se caractérise par plusieurs courants de pensée. Le progressisme avec la cité industrielle de Tony Garnier et la cité-jardin TASE, Berliet et les HBM (habitations à bon marché) des cités Perrache et la Mouche de Gerland.

La vision de la cité s’accorde à l’idée de nature et à l’architecture, les constructions privilégient la forme de l’îlot ouvert sur une cour ou un jardin (on s’inspire de ce modèle aujourd’hui !).

L’après-guerre est dominée par le fonctionnalisme du Mouvement moderne inspiré de la charte d’Athènes de 1933, avec la séparation des fonctions, le rejet de la rue, le modernisme de l’automobile et la construction de barres et de tours dans les années 1960.

En réaction, émerge dans les années 1975-85 le postmodernisme, un courant divers aux références historicistes. L’urbanisme des années 1980 marque le retour à l’îlot et l’alignement sur rue.

Depuis les années 2000, progressivement, l’embellissement, l’environnement, la nature, et plus largement l’écologie, dictent l’urbanisme et l’architecture des villes, là où se concentrent les enjeux de l’adaptation climatique.

À l'angle des rues Jaboulay, Domer et Colombier, Le Delacroix, immeuble de 2008, présente une forme triangulaire, en îlot. Conçu par l'architecte Daniel Ballandras, il est doté d'un atrium cylindrique, couvert d'un cône vitré, véritable puits de lumière. Le projet comprend appartements, jardins suspendus et une bibliothèque.
© Nadège Druzkowski

Quels grands changements s’opèrent pour les villes dans les années 1980 ?

Les lois de décentralisation de 1982-83 ont transféré les compétences de l’État vers les collectivités locales qui vont prendre en main le destin de leur ville.

L’urbanisme devient un vecteur primordial des politiques publiques pour améliorer le cadre de vie des habitants. L’attractivité est l’enjeu. Un “marketing urbain” se met en place dans un contexte très concurrentiel entre les villes.

Ce phénomène explique-t-il l’émergence d’architectes stars à cette période ?

C’est une conséquence. L’émergence de grands noms de l’architecture résulte de cette volonté des grandes villes françaises et européennes d’orchestrer des opérations phares médiatiques.

Va-t-on vers une homogénéisation de l’architecture des villes ?

Depuis les années 2000, les villes perdent leur singularité urbanistique et architecturale. Lyon est une ville pionnière !

Je pense que le caractère de l’architecture lyonnaise repose sur l’audace et l’harmonie avec le site collinaire et fluvial, sur un savoir-faire d’intégration des strates historiques, sur une sobriété de l’ornementation (cf. les immeubles canuts et haussmanniens). La production actuelle cède parfois aux modes !

L’urbanisme paraît aujourd’hui indissociable de l’architecture. Quand émerge la notion d’urbanisme ?

Le mot “urbanisme” apparaît en France en 1910. Bien sûr, l’art de bâtir la cité date des Grecs, des Romains, de la Renaissance et plus récemment des précurseurs Cerdà à Barcelone ou Morand et Perrache à Lyon.

À cette date, naissait la “planification” qui reposait sur une vision totale et surplombante de la ville (lancement des concours du Grand Paris, du Grand Berlin, d’Amsterdam).

L’urbanisme se concevait comme une technique. Un siècle après, l’urbanisme s’est élargi aux autres approches de la géographie, de la sociologie, de l’art, de l’écologie…

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