Lyon au 17e siècle. Dessin et gravure de Joannès Drevet. De toutes les épidémies de peste qu’a connues Lyon, aucune n’a fait autant de ravages que celle de 1628.

Histoire : face aux épidémies, Lyon la résiliente

Ville frontière, ville carrefour, Lyon n’a jamais été épargné par les épidémies pendant plus de 2000 ans. Pourtant la ville a toujours su lutter contre les maladies, parvenant même à éviter certaines épidémies aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Face à l’épidémie qui arrive et le confinement inéluctable, les plus aisés décident de fuir Lyon pour se rendre dans leur maison de campagne. Ils espèrent ainsi échapper au fléau qui approche. Contrairement aux apparences, cette scène ne date pas de 2020 mais a été décrite en 1628. L’histoire a parfois tendance à se répéter, mais elle nous rappelle aussi que face aux épidémies, Lyon a toujours su se relever.

Peste noire, maladie vénérienne, scorbut… et clou de girofle

Si Lyon a connu plusieurs épidémies à travers le temps, c’est bien la peste qui marqua le Moyen Âge et la Renaissance. En 517, elle vient d’Égypte. Régulièrement, elle fera son retour pendant plus de 1000 ans. Pour la grande peste noire de 1347-1352, les sources concernant la province restent rares. À Lyon, dans la paroisse de Saint-Nizier, les registres font état d’une mortalité de 20 à 30 %. La peste chamboule toutefois les organisations, à l’image de celle de 1478 qui fait passer l’administration de l’Hôtel-Dieu des mains de l’archevêché à celles du consulat de Lyon (ancêtre de la mairie), c’est le début des politiques de santé publique.

En 1495, la vérole (syphilis) est rapportée par les armées de Charles VIII de retour après sa campagne d’Italie. Plus d’un siècle après, le cas des malades pose toujours question à Lyon, les hôpitaux n’en veulent pas, seuls les patients en mesure de préciser que leur maladie n’a pas été contractée à cause de mœurs légères parviennent à obtenir des soins. En parallèle, le scorbut fait lui aussi des ravages, mais Lyon vit toujours dans la crainte de la peste.

En avril 1547, elle apparaît à nouveau en ville. Le “médecin astrologue” Nostradamus propose ses services et utilise un remède dont il dévoile la recette dans son ouvrage Traité des fardements et des confitures (publié en 1552 à Lyon), à base d’épices, de poivre et de clou de girofle. À l’époque les remèdes doivent sentir fort pour “soigner”. Finalement, ce sont essentiellement les mesures de confinement et le report des événements publics, comme les foires, qui permettent à Lyon de s’en sortir rapidement. En 1581, la ville fonde le bureau de la santé, une commission sanitaire en capacité de prendre les pleins pouvoirs si la situation l’exige. Elle va se révéler d’une grande aide moins d’un demi-siècle plus tard.

1628 : annus horribilis

De toutes les épidémies de peste qu’a connues Lyon, aucune n’a fait autant de ravages que celle de 1628. En 1625, elle touche Paris et le nord de l’Europe, le consulat impose une quarantaine à tous les produits qui viennent des zones contaminées. Le mal continue pourtant d’avancer, inexorablement. En 1627, la Bourgogne refuse de livrer les stocks de blés, c’est la pénurie sur les marchés lyonnais, le prix des céréales flambe. La grande fabrique de la soie lyonnaise tourne au ralenti. Ceux qui le peuvent, les plus riches, partent se réfugier à la campagne à partir de 1628. Les étrangers sont sommés de quitter la ville, ceux qui s’y refusent risquent la mort. Lyon s’est isolé, coupée du monde. Pourtant, malgré ces mesures, le fléau va prendre. Selon Monique Lucenet dans Les Grandes Pestes en France, “à Lyon le corps d’un soldat mort de la peste et superficiellement enterré à la sortie de la ville fut à l’origine de la meurtrière épidémie de l’hiver 1628-1629”. Dans la pauvreté et des conditions d’insalubrité profonde des rues et logements, la peste fait son nid à Lyon.

Au lendemain des fêtes de la Noël 1628 à Lyon par exemple, le nombre des décès quotidiens doubla. Les médecins du XVIIe siècle en conclurent : ‘la cause la plus directe de l’épidémisation de la peste, c’est le contact immédiat ou médiat. Immédiat, c’est le pestiféré lui-même ; médiat, ce sont les déjections des pestiférés, l’air qu’ils respirent ou encore les laines, les fourrures, les vêtements, les livres, les vieilles chartes qui leur appartiennent” (Nicolas Lamelin, médecin à Lille en 1628, cité par Monique Lucenet). Dès lors, décision est prise d’isoler les malades et de s’attaquer au mal directement dans leur environnement.

Isoler, parfumer

Les “parfumeurs” et leur équipe écument la ville, chargés de marquer chaque porte d’une croix blanche quand des malades sont présents à l’intérieur. Ils jettent les paillasses, font bouillir le linge des malades, inventorient les biens pour éviter les pillages. Les rues sont nettoyées, débarrassées de toutes leurs immondices, notamment dans les quartiers des boucheries où le sang et les carcasses avaient pris l’habitude de stagner depuis des décennies.

Parfumeurs car ils utilisaient des parfums pour désinfecter les lieux, des mélanges à base de “soufre, salpêtre, alun, encens, benjoin, storax, myrrhe, anis, girofle, camphre, safran, vitriol, arsenic, résine, ambre, baies de laurier”, comme le rappelle Monique Lucenet. Pour obtenir un quintal de parfum, on avait besoin “de 15 livres de soufre, autant de poudre à canon, de 7,5 livres de poix de résine et autant de poix noire, d’une demi-livre d’arsenic blanc et autant d’orpiment, de cinabre, d’antimoine, de genièvre, de lierre, etc. On désin-fectait aussi les individus en les enfermant dans des pièces, au risque parfois de suffocation !”. Le vinaigre était aussi largement utilisé pour nettoyer mains et objets. Les “carabins” font également leur apparition, des gardes armés qui accompagnent les médecins. Les malades qui refusent de quitter leur famille sont amenés de force en quarantaine.

En 1629, les cas diminuent, les mesures ont fonctionné, mais le bilan est apocalyptique. Même si les sources divergent encore aujourd’hui, la peste de 1628-1629 aura tué jusqu’à la moitié des 70 000 âmes que comptait alors Lyon. Paradoxalement, la vie va repartir de plus belle. Les salaires augmentent, les prix des denrées baissent, la démographie repart à la hausse. L’organisation sanitaire et policière mise en place perdure. Lyon sera plus solide face aux fléaux qui se préparent déjà à revenir.

Et Lyon échappa aux épidémies suivantes

Après 1629, quelques foyers de peste vont subsister, sans que l’épidémie ne reparte, des rumeurs s’élèvent parfois, une certaine confusion avec le scorbut reste forte, mais à chaque fois l’isolement et le confinement des malades payent. En 1643, les échevins de Lyon craignent que la ville ne soit à nouveau touchée. Le 8 septembre, ils montent à la chapelle de Fourvière et demandent à la Vierge d’épargner Lyon. Ils remettent un écu d’or à la chapelle et promettent en échange de consacrer une fête chaque année à la même date si leur vœu est exaucé. La peste ne fait pas son retour. Si certains s’en sont alors remis à Dieu, c’est surtout l’expérience de 1628 maintenue dans le temps qui aura permis à Lyon de s’en sortir.

En 1720, la rumeur enfle, la peste est de retour, Marseille a été touchée, Lyon craint que l’épidémie ne se propage dans toutes les villes le long du Rhône. Le bureau de santé décide de prendre des mesures strictes de confinement et de quarantaine. Ceux qui ne les respectent pas terminent immédiatement en prison. La peste ne touchera pas la ville.

Le choléra asiatique

En 1832, la France craint le “choléra asiatique” apparu vers 1826. La maladie progresse vers l’Europe, elle touche l’ensemble du nord de l’Hexagone. 20 000 victimes sont répertoriées à Paris, le bilan est identique à Marseille. À Lyon, on pense la crise inéluctable, mais la ville est sous étroite surveillance depuis la révolte des canuts en 1831. L’armée et la police veillent et les déplacements et regroupements sont déjà limités. Médecin et maire de Lyon, Gabriel Prunelle va prendre plusieurs mesures, les appartements doivent être nettoyés, les Lyonnais sont invités à soigner leur hygiène corporelle, à ne pas boire d’alcool en dehors des repas et la consommation du café est réservée à ceux qui en ont l’habitude. Finalement, Lyon échappera au choléra.

La dernière grande épidémie, jusqu’à nos jours, aura été celle de la grippe espagnole en 1918, faisant plus de 400 000 morts en France, plus de 50 millions de morts dans le monde. Si aucun chiffre précis n’est connu pour Lyon, les mesures prises sont alors sans précédent : interdiction de secouer les tapis aux fenêtres, fermeture des lieux de spectacles, suppression de tous les convois funéraires, désinfection quotidienne des lieux publics… Les cercueils viennent à manquer, des enterrements ont lieu la nuit. Elle disparaît en 1919, les survivants ont fait leur immunité. Elle restera présente jusqu’à leur mort, parfois plus de 80 ans plus tard.

 

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Quand le sort s’acharne sur la Quarantaine

Comme son nom l’indique, en bord de Saône, la Quarantaine servait à garder les pestiférés en dehors de la ville. Les premiers bâtiments sont édifiés autour du IXe siècle, avant d’être agrandis au XVIe. D’une capacité d’environ 800 malades, il lui est arrivé d’en abriter dix fois plus. La vision de l’intérieur était apocalyptique lors des épidémies. En surnombre, les individus étaient entassés jusque dans les jardins et il était difficile de les soigner sans marcher sur l’un d’eux. En 1628, certains malades sont gardés à l’extérieur. Un éboulement emporte tous ceux qui ne sont pas à l’abri. Ne pouvant plus accueillir qui que ce soit dans des conditions décentes, le bâtiment est détruit vers 1856.

 

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