François Hollande
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Hollande ou le syndrome “padamalgamiste” du Désert des Tartares

Le président de la République a prononcé devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles un discours salué par l’écrasante majorité de la classe politique et des médias. Il faut reconnaître que le ton était juste et la compassion bien exprimée. Mais son système de pensée n’est-il pas obsolète ?

“La France est en guerre.” Contre qui ? Contre Daech. Deux syllabes dont personne ne sait véritablement ce qu’elles recouvrent – sauf à considérer qu’il s’agit là de désigner le mal absolu, comme aux États-Unis après le 11 septembre 2001, quand le monde entier entendit pour la première fois parler d’Al Qaida et de Ben Laden.

A contrario de Manuel Valls à l’Assemblée nationale, pas une seule fois François Hollande n’aura prononcé l’expression islamisme radical”. Daech, c’est loin, Daech, c’est flou… mais les frappes aériennes sont paraît-il d’une précision toute chirurgicale. Notons la cruauté du paradoxe. Douze avions français ont donc bombardé “des cibles” en Syrie. Le porte-avions Charles-de-Gaulle est parti mercredi de Toulon. La Constitution sera changée, l’état d’urgence prolongé, les moyens policiers renforcés, ceux des militaires maintenus, la pacte de stabilité oublié… Car l’ennemi est ailleurs et il s’agit de l’éradiquer. Ailleurs. De le soumettre. Ailleurs. Pas d’amalgame.

Soit. Sauf que cette façon de faire n’a produit – Nicolas Sarkozy et Bernard-Henri Lévy en savent quelque chose, qui continuent néanmoins de pérorer dans les médias – que des catastrophes : non seulement “l’ennemi” n’a pas été vaincu, mais il s’est au contraire renforcé (en Irak, en Syrie) et frappe désormais en représailles sur notre sol, sans que les pouvoirs publics aient pu empêcher quoi que ce soit et alors même qu’un rapport américain avait, dès le mois de mai, décrit le scénario actuel à la lettre, identité du “cerveau” comprise. Pas d’amalgame.

Lui-même auteur d’un rapport alarmant (au mois de juillet) sur la dérive islamiste qui lobotomise et radicalise une partie grandissante de la jeunesse dans les quartiers défavorisés, le député socialiste Malek Boutih n’a pas été écouté. Pis, il s’est trouvé nombre de collègues de gauche pour le clouer au pilori, avec une violence inouïe. On eût aimé que cette même violence fût dirigée vers les laveurs de cerveaux qui officient (à ciel ouvert ou dans certaines mosquées) sans jamais être inquiétés. Pas d’amalgame.

Malek Boutih : “Le nombre de candidats prêts à mourir est énorme”

Invité cette semaine chez nos confrères de France Inter, le député de l’Essonne a dressé un constat sans appel : “Avant, il y avait une sorte d'avant-garde qui était sélectionnée pour devenir des professionnels du terrorisme, alors qu'aujourd'hui les terroristes ont des méthodes de massification du terrorisme. Le nombre de candidats prêts à mourir pour leur cause est énorme.”

Selon Malek Boutih, si les mesures sécuritaires annoncées sont indispensables, c'est surtout en amont de ces tragédies qu'il faut revoir les politiques. Il y a un travail de deux ordres – de sécurité et de guerre – mais il faut aussi couper le robinet de la haine en amont. Il faut sécuriser le territoire dans sa composante humaine et pas seulement matérielle”, préconise-t-il.

“Si dans notre pays nous passons notre temps à nous demander à qui la faute, on n'avancera pas […] Je pense qu'il n'est pas impossible de contre-attaquer. Des jeunes issus de ces quartiers n'en peuvent plus, ils ont envie d'être engagés, qu'on leur donne une chance de combattre ces gens-là. Nous avons une armée républicaine potentielle sur le territoire !” ajoute-t-il.

“Il faut cesser toute une série de politiques. D'assistanat, de mise en ghetto des populations […] Il est clair que l'islam est une religion qui s'est constituée autour de la notion de territoire, donc elle doit apprendre à vivre hors de ce territoire. On ne peut pas considérer que le port du voile est normal”, juge Malek Boutih. “Je ne crois pas à la théorie qui consiste à expliquer que c'est l'oppression de la société française qui aurait radicalisé ces jeunes. Je ne crois pas au déterminisme social et biologique”, précise le socialiste.

Et Malek Boutih de s'inquiéter enfin d'une mauvaise lecture des intentions des terroristes : “Il n'y aura pas de compromis avec ces gens-là. Ce n'est pas parce que vous retirerez vos troupes de leur territoire qu'ils cesseront de vous attaquer. L'histoire nous a appris une chose : vous signez les accords de Munich et vous avez la guerre derrière.”

Le droit à la critique et à la réflexion

Voilà qui a le mérite d’être clair. Il faut en effet que les hommes politiques cessent de prendre les Français pour des idiots et ne se contentent plus de prononcer à tout bout de champ le stimulus pavlovien “pas d’amalgame !” Évidemment qu’il n’est pas question de tout mélanger ! Il faut simplement avoir le courage de regarder la situation bien en face.

L’écrivain Karim Akouche faisait ainsi écho à Malek Boutih le 17 novembre dans une tribune rédigée pour le Huffington Post :Qui fait l'amalgame ? Le bien-pensant, ou le clairvoyant qui critique l'islam ? En rejetant ce débat nécessaire à la réforme et à l'épanouissement de la religion musulmane, le bien-pensant tombe dans le marécage de l'idéologie “padamalgamiste”. Il mélange, avec une fausse bonne foi, critique de l'islam et racisme envers les musulmans. Je ne cesserai de le dire : critiquer l'islam est un exercice sain, tandis que stigmatiser le musulman est condamnable.”

Il ajoute : “La frontière entre l'islam et l'islamisme est brouillée. Les modérés choisissent le bon côté de l'islam, autrement dit les sourates révélées à La Mecque ; les fanatiques prennent tout, avec une préférence pour les sourates violentes de Médine et les hadiths belliqueux. Personne ne sait où s'arrête l'islam et où commence l'islamisme. Avant que les responsables des tueries de Paris ne deviennent terroristes et kamikazes, ils n'étaient que des intégristes islamistes. Le passage à l'acte terroriste s'est fait très rapidement, au point que même leurs proches n'ont rien soupçonné. Tout islamiste (à ne jamais confondre avec le musulman modéré) peut basculer du jour au lendemain dans le terrorisme.”

Non à la désoccidentalisation

La France doit protéger et éduquer sa jeunesse, elle doit à ce titre être capable de trouver (en son sein et non à l’extérieur) la force de les dissuader d’aller faire le djihad. Pour cela – et comme le préconise avec courage et lucidité Malek Boutih, mais il est loin d’être le seul –, la République doit cesser de raser les murs des banlieues, comme elle doit cesser de s’adresser à la communauté musulmane à travers le prisme du religieux, par lâcheté ou clientélisme électoral, ce qui au fond est la même chose.

Il faut qu’un islam éclairé, en phase avec les valeurs de la France, l’emporte sur l’islam radical. Pour le dire encore plus clairement : il n’est pas question de se désoccidentaliser et de renoncer à quoi que ce soit dans l’espoir complètement fou d’y obtenir une paix honteuse, dans le genre Ne nous tuez plus et faites ce que vous voulez” :nous n’y récolterions que le déshonneur, en même temps que la foudre.

L’enjeu est d’abord culturel. Pour gagner la guerre, il faut d’abord mener la bataille culturelle”, déclarait le romancier Kamel Daoud il y a quelques mois au Figaro. Le premier élément de cette bataille est bien le langage : il s’agit de nommer et de décrire le phénomène – étymologiquement, en grec, phainomenon, c’est-à-dire “ce qui apparaît”.

Une implosion, plus qu’une explosion

Or, en se comportant comme le lieutenant Giovanni Drogo du Désert des Tartares de Dino Buzzati, en se référant encore et toujours à un ennemi invisible et lointain (sauf à la fin, mais il est trop tard), François Hollande nous fait courir un risque important : celui d’être anéanti de l’intérieur par un ennemi que l’on n’aura jamais osé nommer – ni a fortiori combattre sur le bon théâtre d’opération. Nous continuerions alors dans notre lâche complicité et c’est bien là le plus grave. Car notre ennemi est d’abord chez nous (et surtout en nous-même…) et les planques sont souvent situées à quelques stations de métro, plus rarement en Syrie.

De façon tout à fait symptomatique, Latifa Ibn Ziaten, la mère d’Imad Ibn Ziaten, militaire français tué par Mohamed Merah en 2012, a reçu hier le prix “pour la prévention des conflits” décerné par la fondation Chirac, récompensant ainsi “son message de paix”.

Invité à une émission spéciale de France 2 dédiée aux attentats de Paris, le journaliste algérien Mohamed Sifaoui, en exil en France depuis une quinzaine d’années, s’est dit “quand même assez étonné que, dans un pays où on a compris qu’il y avait une guerre idéologique à mener, avec le respect [qu’il doit] à toutes les victimes du terrorisme, qu’on honore à ce point une femme qui a perdu son fils mais qui porte le voile par ailleurs”… avant d’être sèchement interrompu par le présentateur Julien Bugier, très gêné, qui lui a signifié qu’il s’agissait là d’“un autre débat”.

“Ce n’est pas parce qu’une personne perd son fils, et il y en a beaucoup, des centaines de personnes, qu’on va la faire sortir de ses fourneaux pour en faire une égérie de la lutte antiterroriste”, a rétorqué Mohamed Sifaoui, s’insurgeant contre “cette incohérence qui veut qu’on dise à des jeunes filles que le voile salit la féminité et qu’on leur introduise une personne voilée qui va leur enseigner les valeurs de la République”. Le Désert des Tartares est en train de nous ensevelir dans ses sables mouvants.

Monsieur le Président…

Monsieur le Président, la compassion était la bienvenue : elle nous a réconfortés. Mais maintenant il faut agir durablement et en profondeur, reprendre centimètre par centimètre les territoires perdus de la République pour lutter, avant tout, contre le lavage des cerveaux : celui qui conduit des jeunes nés en France, ayant grandi en France, n’ayant la plupart du temps jamais connu que la France, à se radicaliser jusqu’à se faire exploser, après avoir tué des dizaines de leurs congénères un vendredi soir à Paris en criant Allahou akbar. Des mêmes jeunes qui, quelques mois plutôt, postaient des photos de concert et de terrasses de café sur Facebook et autres comptes Instagram.

Oui à l’État d’urgence, il est nécessaire. Mais la véritable guerre à mener est avant tout intérieure : elle sera longue, difficile, complexe – et elle doit être gagnée. Boutih, Daoud, Sifaoui… Ils sont des milliers, les soldats de la France à vouloir et à pouvoir être vos éclaireurs. Leurs lumières sont infiniment plus efficaces que les bougies que l’on dépose délicatement place de la République, dans une catharsis à la fois dérisoire et indispensable.

Ayez cette lucidité, ayez ce courage, osez devenir enfin celui qui affirmera, partout sur le territoire : “L’imam ne pourra jamais remplacer l’instituteur.” Faites pièce au sinistre discours de Latran, qui porte en lui tant de germes mortifères et choisissez la vie. Comme le disait ce matin François Morel chez nos amis d’Inter, dans un texte magnifique, “ne renoncez à rien !”

Si vous renoncez, ils recommenceront. Victor Hugo écrivait : “La guerre c’est la guerre des hommes ; la paix, c’est la guerre des idées.” Ne vous trompez ni d’armes ni de guerre. Aux âmes, et caetera.

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