Illustration Homeopathie © Tim Douet

Homéopathie : Boiron dans la tourmente

La guerre est-elle déclarée contre l’homéopathie ? Depuis trois ans, les attaques se multiplient : étude australienne concluant que l’homéopathie n’est pas plus efficace qu’un placebo, répression des fraudes américaine qui veut modifier les étiquetages, Académie des sciences russe qui demande son bannissement des hôpitaux, même la France s’y met… Dans la tourmente, le leader mondial Boiron garde le cap, mais l’emblématique Christian Boiron laissera sa place de directeur en 2019.

2017, un enfant italien de sept ans meurt des suites d’une otite “soignée” par l’homéopathie. Suite à ce drame, le Corriere della sera titre "Omeopazza" (homéofolie). Ce n’est pas Boiron qui est alors pointé du doigt, mais le médecin qui a maintenu le traitement. Dans son éditorial, l’écrivain Massimo Gramellini dédouane même Christian Boiron, rappelant que ce dernier a toujours recommandé une alternance des traitements en fonction des pathologies. "Malheureusement, note l’éditorialiste, il reste des gens si faibles et peu sûrs qu’ils n’arrivent pas à vivre sans s’appuyer sur un dogme, qu’il soit religieux, matérialiste, scientifique, antiscientifique, carnivore ou vegan."

En 2017, au siège de Boiron, à Sainte-Foy-lès-Lyon, on invoque "un exercice médical inadapté". Le médecin est poursuivi pour homicide involontaire. Alors que plus de la moitié des Français ont déjà eu recours à l’homéopathie, l’affaire a remis en lumière les débats sur cette méthode de traitement et, sur les réseaux sociaux, les sceptiques ont pris le dessus, faisant le plus de bruit. Interrogée par Lyon Capitale, une source interne chez Boiron souligne que "l’entreprise a accentué sa communication sur l’importance de choisir le bon traitement en fonction de la pathologie. L’idée n’est pas de se soigner à 100 % par l’homéopathie, mais de faire les bons choix au bon moment et d’opter pour l’allopathie* lorsque cela est nécessaire".

Feux de tout bois contre l’homéopathie

Leader mondial, Boiron se retrouve aujourd’hui au cœur de l’ouragan sur l’homéopathie. La dernière forte rafale date de 2015, avec une étude du Conseil australien de la santé et de la recherche médicale qui ne trouvait "aucune preuve d’une quelconque efficacité de l’homéopathie sur la santé". Pour asseoir sa démonstration, il avait analysé 225 études, rapports et observations cliniques, qui devaient tous avoir pour base la présence de deux groupes : l’un traité par homéopathie, l’autre par placebo ou médicament reconnu. Cette étude complétait celle de la revue britannique The Lancet, qui concluait en 2005 que l’homéopathie n’était "pas supérieure au placebo". Avec un marché qui pèse 3 milliards de dollars aux seuls États-Unis, les remèdes et les multiples études ont attiré l’attention de la Federal Trade Commission (FTC). Dans un communiqué publié fin 2016, cet équivalent de notre répression des fraudes martèle : "Il n’y a aucune preuve que ce produit marche […] les conclusions reposent seulement sur des théories de l’homéopathie du XVIIIe siècle, rejetées par la plupart des chercheurs de la médecine contemporaine." Ainsi la FTC exige-t-elle que l’efficacité de tout remède homéopathique soit prouvée et, dans le cas contraire, qu’une mention soit apposée sur les produits, précisant qu’"il n’y a aucune preuve que le remède fonctionne".

L’homéopathie parvient même à rapprocher États-Unis et Russie. En février 2017, l’Académie des sciences russe la qualifie de "pseudoscience", expliquant qu’elle a été inventée à une époque où "les chercheurs pensaient que la matière était divisible à l’infini, et qu’il y avait donc du sens de parler de dilution à n’importe quel niveau". Dans ses recommandations, l’Académie russe demande au ministère de la Santé un retrait des remèdes homéopathiques. Mais tous les regards sont désormais tournés vers le Canada, avec une décision qui pourrait faire date. La Cour suprême canadienne vient en effet d’autoriser une action collective contre Boiron Canada à propos de l’Oscillococcinum. En 2011, faute de constater une amélioration de son état grippal après la prise du remède, une femme a décidé de saisir les tribunaux, indiquant que les ingrédients de base, "cœur et foie de canard", étaient trop dilués pour être présents dans le traitement. Jeff Orenstein, avocat de la plaignante, a fait valoir un argument imagé : "Ce qu’ils font, c’est qu’ils ajoutent de l’extrait de cœur et de foie de canard dans une solution si diluée que c’est l’équivalent de lancer un cœur ou un foie de canard dans l’océan Atlantique, prendre une goutte dans cet océan, la déposer dans un comprimé de sucre, le laisser sécher et le vendre entre 16 et 20 dollars en pharmacie." La bataille juridique dure depuis maintenant deux ans et ne devrait pas trouver son épilogue avant quelques années. Bien que Boiron France se refuse à tout commentaire, l’entreprise indique qu’aucun montant n’a été provisionné au titre de ce litige.

Epi3 : l’étude qui change tout ?

Pour tenter de convaincre des bienfaits de l’homéopathie, Boiron a financé, à hauteur de 6 millions d’euros, le plus important programme pharmaco-épidémiologique visant à "évaluer les effets d’un traitement pharmaceutique dans la durée, dans toutes ses dimensions : sa prescription, sa consommation réelle par les patients et l’incitation à utiliser d’autres traitements, son efficacité aussi bien ressentie par les patients que par les médecins, les effets secondaires éventuellement constatés et sa toxicité". Pour Christian Boiron, "ce programme EPI3, composé de quatre études, une transversale et trois cohortes, évalue la place de l’homéopathie en médecine générale et montre son intérêt de santé publique. Mené par un comité scientifique indépendant, il a donné lieu à onze publications" (Recherche en homéopathie). L’enjeu est de taille : certains remèdes homéopathiques sont remboursés par la Sécurité sociale à hauteur de 35 %. Prouver son efficacité, c’est aussi éviter l’épée de Damoclès d’un déremboursement.

L’étude conclut qu’"il n’y a pas de différence significative entre les patients souffrant de troubles musculo-squelettiques selon qu’ils consultent un médecin homéopathe ou allopathe" : "Après un an de suivi, les patients des médecins homéopathes présentent une évolution clinique favorable et comparable aux autres prises en charge, consomment deux fois moins d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et plus de deux fois moins d’analgésiques." Plus globalement et dans plusieurs cas, les patients faisant appel à des médecins homéopathes présentent des évolutions cliniques comparables aux patients de médecins allopathes, tout en consommant moins de psychotropes. La méthodologie détaillée par Christian Boiron peut interroger : les 3 000 patients suivis relevaient de trois domaines – ORL, douleurs musculaires et troubles du sommeil, anxiété et dépression. Durant un an, ils ont été contactés par téléphone quatre fois et interrogés selon une "grille d’entretien standardisée" sur quatre critères : vont-ils mieux ?, y a-t-il une "perte de chance, autrement dit le risque de ne pas soigner une maladie grave par des traitements appropriés"?, le taux de tentative de suicide à douze mois, puis l’utilisation des médicaments prescrits, et les effets secondaires. "Au final, on s’aperçoit que l’efficacité des traitements est la même dans tous les cas, à quelques nuances près, tantôt en faveur de l’allopathie, tantôt en faveur de l’homéopathie et des mixtes."

Néanmoins, même si Christian Boiron peut se remettre à "respirer", selon ses propres mots dans son ouvrage, le débat est loin d’être terminé. Les sceptiques lui opposent l’absence de comparaison avec placebo et surtout l’étude australienne. Du côté de chez Boiron, on répond par une série de questions : "Pourquoi la méthodologie employée était-elle aussi arbitraire ? Pourquoi n’y avait-il pas un seul homéopathe au sein de ce comité ? Pourquoi cette étude a-t-elle utilisé une méthode récente d’évaluation (2007), pour des études dont la plupart sont antérieures ? Pourquoi la méthodologie employée était-elle aussi arbitraire ? (choix de dates excluant un grand nombre d’études favorables à l’homéopathie). L’étude EPI3 montre au contraire tout l’intérêt de la prise en charge homéopathique." L’étude Boiron n’aura pas suffi à convaincre. En mars, 124 médecins avaient lancé une tribune contre "les médecines alternatives", visant notamment l'homéopathie "comme les autres pratiques qualifiées de « médecines alternatives », n'est en rien scientifique. Ces pratiques sont basées sur des croyances promettant une guérison miraculeuse et sans risques", selon les auteurs de la tribune. De son côté, la ministre de la Santé a saisi la Haute Autorité de santé qui va évaluer l’efficacité de l’homéopathie et rendre un avis sur le "bien-fondé" de son remboursement par la Sécurité sociale. Le gouvernement devrait prendre une décision début 2019.

Déjà mi-juin 2017, Le Quotidien du médecin remettait en avant l’étude australienne et titrait : "L’irrationnelle baraka – rien ne semble entamer la confiance des usagers adeptes de la plus controversée des médecines non conventionnelles. Défiant toute preuve scientifique, sondage après enquête, l’homéopathie enregistre des scores de crédibilité qui la placent devant les vaccins et les antibiotiques". C’est bien là la réussite incontestable de l’homéopathie, présentée comme "sans effets secondaires" ; même si son efficacité fait toujours débat, elle a su s’imposer dans un univers fait de défiance et de scepticisme contre les autres méthodes. La plus grande réussite de Boiron, c’est d’avoir gagné la bataille de la confiance dans un contexte de méfiance.

* Mot employé en opposition à “homéopathie”, désignant les médicaments classiques.

MAKING-OF DE CET ARTICLE

Pas simple d’obtenir des informations de Boiron. Au départ, le service presse nous a demandé "des exemples de publications" pour éventuellement donner suite à nos demandes. Une fois nos articles lus, ils ont décidé de “passer leur tour”. Nous leur avons alors fait part d’une liste d’interrogations et laissé deux jours pour éventuellement y apporter des réponses. Boiron s’y est attelé, tout en nous faisant parvenir en urgence l’ouvrage du PDG Christian Boiron, Recherche en homéopathie, dans lequel nous “allions trouver de nombreuses réponses à nos questions”. L’ouvrage met en avant les études positives pour l’homéopathie, tout en mettant une certaine distance avec les polémiques. Christian Boiron le conclut par une phrase quasi prophétique : “L’infinitésimal devient progressivement une réalité scientifique, même si nous ne sommes pas encore capables d’en comprendre le mécanisme. Il ne s’agit que d’une question de temps. Rendez-vous dans dix ans ?


L’homéopathie, c’est quoi ?

L’homéopathie repose sur deux grands piliers, que rappelle Christian Boiron dans son livre, Recherche en homéopathie. Le premier est la loi de la similitude, du pionnier allemand Samuel Hahnemann, au XVIIIe siècle, c’est-à-dire combattre le mal par le mal. Selon Christian Boiron, "cette découverte donna son nom à l’homéopathie, qui signifie : soigne le malade avec un médicament capable de provoquer chez un individu sain une semblable souffrance". Le deuxième pilier, qui déclenche le plus souvent la polémique, est la dilution, pour obtenir une dose "infinitésimale". Christian Boiron détaille le processus industriel : "Tout d’abord, trouver et contrôler la matière première dont nous avons besoin. Puis nous commençons par réaliser une première dilution au centième. L’étape suivante est probablement fondamentale, nous lui donnons le nom de “dynamisation”, il s’agit en réalité d’une très forte agitation qui dure plusieurs secondes […] Nous prenons ensuite une goutte de cette première dilution et à nouveau dans 99 parties de solvant (mélange eau-alcool), nous procédons à une nouvelle “dynamisation” pour obtenir la deuxième dilution centésimale hahnemannienne et ainsi de suite jusqu’au niveau souhaité, par exemple la neuvième centésimale (9 CH)." Les questions soulevées en matière de recherche se portent sur les quantités restantes de la matière de base après de multiples dilutions : selon la constante d’Avogadro, à partir de 12 CH, il n’y a aucune trace du produit d’origine.

Quasi mystique dans son livre, Christian Boiron prêche pour la recherche : "Il faut en réalité essayer l’homéopathie pour découvrir que les faits dépassent nos connaissances théoriques […] Nous sommes très conscients du problème posé par ces dilutions infinitésimales […] Alors que peut-on faire ? De la recherche, bien sûr." Le patron poursuit sa démonstration en invoquant la "mémoire de l’eau". Selon le chercheur Jacques Benveniste, publié en 1988 dans la revue Nature et cité par Christian Boiron, "une substance hautement diluée et dynamisée modifie les propriétés du solvant". S’ensuit un feuilleton scientifique, une tentative de reproduire les expérimentations et une rectification de Nature : "Les expériences ont été insuffisamment contrôlées sur le plan statistique (…), aucun effort n’a été fait pour éliminer systématiquement toute cause d’erreur, à commencer par les a priori de l’observateur." Les recherches étaient en partie financées par Boiron, qui arrêta sa coopération scientifique avec Jacques Benveniste après cette affaire. Depuis, la mémoire de l’eau continue d’alimenter les débats et recherches sans qu’un véritable consensus ait pu en ressortir.



Dossier publié dans Lyon Capitale n° 768 (juillet-août 2017), mis à jour selon les dernières informations autour de l'homéopathie en France

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