Loulou Dedola est scénariste et écrivain. “Enfant de la banlieue lyonnaise”, il disserte sur l’unité républicaine, la diversité, le communautarisme, le racisme, la question identitaire avec l’aplomb des “mecs à qui on ne la fait pas”.
(Cet article a été publié dans le magazine de juillet-août, avant le début des émeutes.
Loulou. Deux syllabes qui roulent. Dedola. Un nom qui pourrait sortir tout droit des Tontons flingueurs. Fils d’immigrés italien et chypriote, Loulou Dedola a le verbe prolixe, n’a pas sa langue dans sa poche mais un avis sur tout, ou presque. Amateur de joutes verbales, le débat ne lui fait pas peur. Scénariste de bande dessinée, documentariste, romancier, chanteur, Loulou Dedola est un “entertainer”, comme il aime à le répéter, dont l’obsession est le “bien-être commun”. “Alors quand on peut donner un sens à tout ça, ça me plaît.”
Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ?
Loulou Dedola : Ça dépend des moments. J’aurais tendance à considérer que non, si c’est quelqu’un qui parle pour rien dire mais oui, si c’est quelqu’un qui s’exprime quand il faut s’exprimer et qui ne cède pas.
Sur quoi ne cédez-vous pas ?
Sur la question de l’unité républicaine. C’est un coup de gueule permanent. Les gens ont des revendications clivantes, ça devient insupportable. Je ne comprends pas, par exemple, qu’on se batte contre le racisme anti-Noirs, mais qu’on ne se batte pas contre le racisme tout court. Qu’on soit contre la violence faite à certains groupes de personnes et pas contre la violence en général. C’est quelque chose qui nous gangrène. C’est ce que certains appellent la diversité. Moi, je dis que la diversité c’est la division. Je préfère me battre contre la paupérisation massive. Dix millions de pauvres en France, c’est inacceptable.
“Les propos de Rokhaya Diallo ou de Pap Ndiaye, c’est de la folie. Ils ont importé les black studies en France”
Que sous-entendez-vous par “la diversité c’est la division” ?
Les gens sont différents et n’ont pas forcément la même culture selon qu’ils habitent au Marais à Paris, ou au fin fond de la Creuse. Et pourtant on ne parle pas de diversité. Pourquoi focaliser sur les particularismes religieux ou ethniques ? Ça n’a aucun sens et ceux qui donnent du sens à ça nuisent à la République. La République est une et indivisible. C’est un principe fondamental inscrit dans notre Constitution. Ça nous renvoie d’ailleurs à ma bande dessinée Le Combat du siècle sur l’affrontement Mohamed Ali versus Joe Frazier. Après l’abrogation de la ségrégation et des lois discriminatoires aux États-Unis, Mohamed Ali, adepte d’Elijah Muhammad, prônait la séparation des communautés dans l’égalité des droits, tandis que Frazier, admirateur de Martin Luther King, souhaitait la concorde dans l’unité républicaine. Cette scission dans le combat anti-raciste ressemble à ce que nous vivons en France. Moi je suis dans le camp de Joe Frazier, né dans les champs de coton de Caroline du Sud, qui n’a jamais eu de haine contre les Blancs, il avait de profondes valeurs humanistes. La rencontre entre les deux hommes a cristallisé les tensions et les luttes pour les droits civiques qui secouaient le pays.
Quelle est votre histoire personnelle ?
Je suis fils d’immigrés. Mon nom de famille, Dedola, sonne yoruba nigérian, mais je suis d’origine italienne et chypriote. Quant à mon prénom, ma mère m’a toujours appelé “Loulou”. C’est resté. Loulou, c’est tellement simple et ça sonne tellement que finalement tout le monde m’appelle par mon surnom. Je suis un enfant de la banlieue lyonnaise. J’ai toujours eu un pied à l’Est et un autre à l’Ouest. Mais c’était pas la Guerre froide pour autant. J’ai vécu et mené ma carrière un peu à Saint-Priest, à Saint-Fons dans des quartiers très populaires et difficiles, j’ai vécu une grande partie de ma vie à Sainte-Foy et Oullins. Je me suis installé aussi à un moment donné à Vaulx, au Mas du Taureau. Bref, j’ai bougé dans toute la banlieue. Mais artistiquement, j’ai tout fondé à l’Est, notamment aux Minguettes, à Vénissieux, où j’ai créé mon groupe de musique au cœur du quartier de la Démocratie. Nous vivions dans l’harmonie, sans nous soucier de nos origines ou de nos religions. Actuellement, je vis à Oullins et j’écris à Pierre-Bénite. Je suis en avance sur la future fusion des deux communes.
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Vous regrettez la banlieue d’avant ?
C’est clair. Aujourd’hui, on reproduit ce qui se passe aux États-Unis, avec une petite minorité bruyante qui veut importer le modèle américain. Je pense que le communautarisme favorise la division. Point barre. Les propos de Rokhaya Diallo ou de Pap Ndiaye, c’est de la folie. Ils ont importé les black studies en France. Les États-Unis ont eu des lois ségrégationnistes. En France, il y a eu, et il y a, du racisme, clairement. Mais autant que je sache, ce n’est pas structurel. C’est quand même notre futur ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, alors professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris, qui l’a formulé : “racisme structurel”, Noir sur Blanc, si je puis dire. Ce n’est pas surréaliste ?! On a fait rentrer le renard dans le poulailler. Je vais plus loin : je considère que chaque fois que la France distingue les Français entre eux, elle n’est plus la République. Vichy, ce n’est pas la France puisque les autorités ont distingué les juifs et les Français. Quand la République n’est plus une et indivisible, elle n’est plus la République française.
Vous qui intervenez dans les quartiers, notamment à travers l’association Musique et Ciné Banlieue, que pensent les jeunes de tout cela ?
La majorité des gens, ici, en ont complètement rien à faire de ces pseudo-réflexions identitaires. Bien sûr que tu as des extrémistes qui, sous couvert d’associations cultuelles, veulent imposer leur agenda politique – et d’ailleurs, la première chose, ce n’est pas de les combattre mais d’arrêter de les financer – mais l’immense majorité n’aspire qu’à avoir un travail, une jolie maison, une voiture, si possible une décapotable, lol… Les gens en banlieue souhaitent faire plaisir à leur mère, leur femme et leurs enfants. Le problème, c’est qu’il y a une petite minorité de gens qui ont un intérêt médiatique, politique et économique à faire exister ce discours communautariste, parce qu’ils en sont les tenants. Ils sont en train de nous imposer une grille de lecture, un champ lexical, qui infusent lentement mais sûrement dans les esprits, mais qui ne sont pas ceux des habitants des banlieues. Ni d’ailleurs. Mais je peux vous assurer que dans les banlieues, la jeunesse a soif de République. Et est patriote. Comme disait De Gaulle : “Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres.” Et je vous le dis, ils aiment La Marseillaise et le drapeau tricolore quand on le brandit au bon moment. Mais ils ont besoin qu’on leur dise qu’ils font partie de cette République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Et c’est à l’application de ces principes fondamentaux de notre Constitution qu’il faut travailler !
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