Au terme d’un combat porté par les victimes de Louis Ribes, un prêtre décédé accusé de pédocriminalité, huit vitraux du "Picasso des églises" ont été déposés mardi de l’église de Sainte-Catherine dans le Rhône. Un grand pas dans le lent processus de réparation des victimes.
Sur le pas de l’église de Sainte-Catherine, une petite commune du Rhône située dans les Monts du Lyonnais, Annick Moulin attend avec émotion mardi 24 octobre que soient décrochés les deux derniers vitraux de Louis Ribes exposés sur les murs de l’édifice religieux depuis les années 1980. "Je ne peux pas les regarder", confie cette native de Pomey, dans la Loire, abusée dans son enfance par le prêtre décédé en 1994.
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L’Église reconnaît un lien entre les oeuvres et les agressions
Sur le Fils prodigue, l’une des huit oeuvres décrochées mardi, on distingue un enfant agenouillé devant un prêtre. Équivoque, sa position prête à interprétation, mais certains s’accordent pour y voir une fellation. Au terme d’un long combat mené avec Luc Gemet, le porte-parole de l’un des collectifs de victimes du père Ribes, Annick Moulin a enfin obtenu auprès du diocèse et de la mairie que soient déposées ces oeuvres. "On arrive à l’aboutissement d’une chose que l’on demande depuis deux ans. Qu’il ne soit plus encensé à travers ses créations. Derrière chaque création il y a un gosse qui a été violé et ces gosses c'est nous. La dépose de ces vitraux c’est l’ombre de Louis Ribes qui s’éloigne lentement. Il n’aura plus d’emprise sur moi. Le fruit de ce qu’il a fait pendant ces séances ne sera plus la", témoigne avec émotion cette femme aujourd’hui âgée d’une cinquantaine d’années.
"Les maintenir serait considérer que leur exposition est plus importante que la douleur des victimes"
Laurence Robert, déléguée générale du diocèse de Lyon
Après de nombreux différends avec l’institution religieuse, qui semblent en partie apaisés, les collectifs de victimes ont également obtenu que le diocèse paye pour la dépose de tous les vitraux réalisés par le "Picasso des églises". Soit environ 70 oeuvres, en grande partie détenues par les communes où elles sont exposées. "Il existe un lien intrinsèque entre la création de ces dessins et les agressions" subis par les victimes entre 1970 et 1980 reconnaît Laurence Robert, la déléguée générale du diocèse de Lyon. "Les maintenir serait considérer que leur exposition est plus importante que la douleur des victimes […] Cette dépose est importante dans le long chemin de réparation des victimes" justifiait mardi la porte-parole du diocèse lors d’un point presse tenu en présence de certaines victimes et du maire de Sainte-Catherine.
"La dépose de ces productions c’est aussi quelque part une forme de réparation pour nous et de reconnaissance de ce que l’on a vécu
Annick Moulin, l'une des victimes du père Ribes
Près de deux ans après les premières demandes des victimes, qui seraient au nombre de 49 selon le diocèse quand les collectifs en dénombrent 70, la commune administrée par Pierre Dussurgey est la deuxième du Rhône à procéder à un décrochage. Avant elle, c’est à Dième qu’avaient été retirés deux vitraux exposés dans l’église Saint-François-de-Sales. "C’est un soulagement en tant que maire et chrétien pour les victimes", confiait mardi l’élu sans étiquette. L’opération menée dans sa commune, qui consiste en une dépose et la pose de nouveaux vitraux d’ici Noël, devrait coûter 36 000 euros au diocèse de Lyon.
Les prochains retraits de vitraux dans le Rhône
- À Dième, les deux vitraux de l’église Saint-François-de-Sales ont déjà été remplacés.
- À Loire-sur-Rhône, la mairie a donné son accord pour remplacer le vitrail de l’église de Notre-Dame-de-l’Assomption et "le chantier démarrera dans les semaines à venir", selon le diocèse.
- À Charly, le diocèse est en discussion avec la mairie qui a mené une consultation auprès de ses habitants. "Le retour est très favorable au remplacement des [11] vitraux qui devrait avoir lieu début 2024", précise le diocèse.
- À Caluire-et-Cuire, le curé de l’église, qui est confiée aux orthodoxes roumains, a accepté le remplacement des vitraux. Le diocèse dit attendre le devis du maître verrier. L’église Saint-Côme-et-Saint-Damien abrite un vitrail de Louis Ribes.
La délicate destruction des oeuvres
Les huit créations au style cubique de Louis Ribes seront désormais stockées par la commune à l’abri des regards. En attendant une éventuelle destruction, appelée de leurs voeux par les victimes. Un point sur lequel persistent de nombreuses incertitudes, un droit moral incessible restant attaché à une création artistique. "S’il est possible de déposer les vitraux, il n’est pas possible de les détruire sans avoir obtenu l’accord des ayants droit de Louis Ribes", précise Laurence Robert. La fille de Luc Gemet, Yasmine, en aurait identifié deux. Toutefois à en croire Laurence Robert les ayants droit du prêtre décédé sont en fait plus nombreux, ce droit se transférant automatiquement aux enfants en cas de décès, ce qui complique grandement leur identification.
"Si nous parvenons à obtenir l’accord de l’ensemble des ayants droit, la destruction des réalisations artistiques de Louis Ribes sera possible"
Annick Moulin, l'une des victimes du père Ribes
Le diocèse a donc missionné un généalogiste pour les retrouver et pour l’instant "ceux avec qui nous sommes en contact ont déjà donné leur accord" assure Laurence Robert qui reste toutefois prudente sur ce sujet.
Reste l’épineuse question du Chemin de Croix exposé à l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, de Chambost-Allières, classé au patrimoine historique. Une fois l’accord des ayants droit obtenu, le diocèse devra obtenir son déclassement auprès de la Direction régionale des Affaires culturelles d’Auvergne-Rhône-Alpes (Drac).
Ça coince toujours à Givors
À Givors, le maire Mohamed Boudjellaba refuse toujours, pour le moment, de déposer les trois vitraux de la chapelle désacralisée de Saint-Martin de Cornas. "Ce qui me fait mal aujourd’hui c’est de voir que le maire de Givors est toujours dans cette position de dissocier l’homme de l’artiste", déplore Annick Moulin.
Le diocèse indique avoir échangé en juin avec la mairie, "qui doit reprendre contact à l’automne". L’élu EELV a de son côté écrit au Pape pour lui demander son éclairage sur le sujet. Il aurait reçu une réponse, dont il n’a pour l’heure pas dévoilé la teneur. Insuffisant pour Annick Moulin, qui ne perd pas espoir en se raccrochant au fait que "Mohamed Boudjellaba ne sera pas maire ad vitam æternam. À un moment donné, on tombera sur un maire qui prend la pédocriminalité au sérieux".
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Un procédé d'indemnisation qui peine à convaincre
Si les victimes rencontrées mardi semblent aujourd’hui reconnaissantes auprès du diocèse pour les actions entreprises, la question de l’indemnisation pour les préjudices subis crispe encore beaucoup. Une position délicate pour le diocèse de Lyon qui n’a pas la main sur ces dossiers, désormais gérés par l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), mais qui se retrouve en première ligne auprès des victimes et de leurs familles en attente d’avancées et de réponses.
"La fourchette budgétaire d’indemnisation va jusqu’à 60 000 euros"
Une victime du père Louis Ribes
Plus d’un an après avoir entamé les démarches auprès de l’Inirr, l’une des victimes du père Ribes confie avoir reçu une indemnisation. Sans parler du montant perçu, cet homme désireux de préserver son anonymat explique que "la fourchette budgétaire d’indemnisation va jusqu’à 60 000 euros". Une somme bien dérisoire "pour des viols à répétition pendant des années" estime Luc Gemet. À entendre sa fille Yasmine, "les financements semblent tellement ras des pâquerettes" que la plupart des victimes de Louis Ribes "ne veulent pas entendre parler de l’Inirr".
Pour l’homme indemnisé par l’Inirr, le parcours d’indemnisation va cependant "au-delà de la réparation financière. Il y a une part de reconnaissance de l’institution qui est importante symboliquement, comme la dépose des vitraux".