À proximité de Lyon, une balade pour un week-end ou même une simple journée avec la certitude d’allier de séduisantes découvertes et du plaisir, éventuellement des activités à partager en famille, ados compris. À la portée de toutes les bourses… à condition de ne pas dévaliser les caves de Côte-Rôtie.
Parvenu sur les flancs du vieux Massif central, le Rhône ne peut oublier qu’il fut torrent dans sa jeunesse. Quelle que soit l’actualité qui vient s’échouer sur ses rives, puissant, sans concession, il charrie l’authenticité de ses racines de montagnard. De là probablement son goût pour les contrastes : de la modernité des villes aux cités antiques fières de leurs vestiges romains ; de l’impressionnante monumentalité des centrales atomiques aux cultures en terrasses qui les dominent. Notre balade s’en amuse…
Si nous vivions à l’époque romaine, pour rejoindre Lyon depuis Vienne nous aurions emprunté l’itinéraire qui suit la rive gauche du Rhône, plus court que la voie dite “de Narbonne” sur l’autre rive, qui s’éloignait du fleuve dans le secteur de Givors : cinq lieues romaines économisées (environ dix kilomètres d’aujourd’hui), sans compter que le tracé en était plus aisé. Ce raccourci rejoignait à Vienne la Via Agrippa, du nom de son commanditaire, lieutenant et meilleur ami de l’empereur Auguste. C’est à lui que nous devons la construction de grandes routes issues des Alpes vers les autres parties de l’Empire romain, ce qui valut à Lyon de renforcer son rôle de carrefour stratégique.
Ainsi, quelques années avant notre ère, la Via Agrippa desservait-elle Lyon depuis la Méditerranée. Un axe vieux de deux mille ans qui n’est jamais que l’ancêtre de l’actuelle autoroute A7… Preuve que les aménagements contemporains se révèlent souvent dans la continuité de l’histoire, pour des raisons tout simplement pratiques ! Mais aussi pour le bonheur des yeux.
Depuis la rive gauche, un spectacle plein de vie et de sérénité s’offre sur la rive opposée ; un paysage surprenant qui semble se mouvoir au gré des déplacements du spectateur, qu’il ait été piéton sur la Via Agrippa voici deux millénaires ou qu’il soit aujourd’hui automobiliste sur l’A7. Un paysage qui n’a rien à envier aux plantations de thé de Darjeeling ni aux rizières en terrasses de Tôkamachi au Japon.
Sur les flancs de la première marche du Massif central qui domine le Rhône, au fil des siècles les paysans ont sculpté des paliers réguliers pour corriger la pente abrupte, souvent vertigineuse. Aussi bien entretenus que les ceps qu’ils retiennent alignés, des murets interminables épousent les courbes de niveau : leur succession se jouant de la lumière et des ombres dote la montagne de mouvements semblables à des vagues immobiles. La vigne se complaît dans l’espace restreint des parcelles qu’ils soutiennent : autant de réceptacles de terre arable pour que les précieuses grappes bénéficient au mieux des rayons du soleil.
Les vignobles du Rhône donnent là quelques-uns de leurs crus les plus célèbres, pour lesquels la meilleure vitrine promotionnelle est bien cet étagement de parcelles à la rigoureuse superposition compensée si harmonieusement par des courbes que seule la nature commande. Les visiteurs y sont comblés quelle que soit la saison : les photographes certes au premier chef, mais aussi tous ceux qui recherchent des espaces où respirer le calme et savourer le charme de paysages construits par le temps. En retour, nos yeux garderont de ces parcours des visions apaisantes… Le spectacle de ces vignes en terrasses sur la rive opposée invite à traverser le fleuve pour les rejoindre.
Pourtant, se frayer un cheminement dans cette mosaïque de terrasses n’est pas de tout repos : pour les découvrir, plus question de suivre les voies de l’Empire romain ou leurs héritières actuelles, rigides, trop contraignantes pour laisser libre cours aux respirations du mistral et à la langoureuse lumière de l’astre du jour. Il est tellement préférable d’utiliser les traditionnels itinéraires “indigènes”, aujourd’hui relayés par les petites routes rurales, souvent sinueuses et imprévisibles, si habiles au gré des reliefs qu’elles épousent. Le voyageur vagabond s’y laisse guider pour appréhender les domaines où sont élaborés ces vins aux appellations connues dans le monde entier, issues pourtant de terroirs limités qui comptent parmi les plus secrets et protégés.
Côtes-du-rhône : la vigne qui voit le fleuve
Le vignoble de la vallée du Rhône s’étend du Lyonnais (à 30 km au sud de la métropole lyonnaise) au secteur d’Avignon, l’ancien comtat Venaissin. De là, il gagne d’une part le Lubéron, vers le levant, et d’autre part, à l’ouest, le pays nîmois.
Sur sa partie septentrionale, ce large ruban de vignes en terrasses offre un fond de décor très caractéristique aux eaux du fleuve, gigantesque par sa capacité à escalader les hauteurs jusqu’aux sommets, se jouant des lumières franches dès le point du jour, rejetant ombre et fraîcheur dans les rares saignées que de petits affluents ont réussi à se ménager dans cet impressionnant alignement de pentes abruptes. Un délice pour les amateurs de photographie, car la palette y est infinie et très changeante. Une sensualité suggérée par une compétition silencieuse entre la chaleur promise aux terrasses en plein soleil et l’impression de labeur incessant qu’exige la quasi-verticalité du vignoble.
L’homme en est l’artisan émérite. Nées de ses efforts toujours recommencés depuis la nuit des temps, ces terrasses ne paraissent souffrir d’aucune adaptation aux modes qui passent, imposant même aux progrès techniques d’user de prouesses pour les satisfaire. Vigilants, s’astreignant au rythme qu’impose la vigne, ceux qui se transmettent ce savoir pétri aux habitudes accumulées ont ouvert leur métier de la terre, de la vigne et du vin à celui de l’hospitalité en suivant les règles que façonnent aujourd’hui les pratiques du tourisme, de la culture et de la Toile : non seulement ils guident admirablement le visiteur mais savent lui proposer des dégustations qui flirtent avec l’initiation à l’œnologie et des parcours sur le terrain entre deux tables pour fins gourmets ! Des hôtes qui cultivent leurs domaines sans rupture depuis deux millénaires au moins, sans rupture non plus avec le monde qui les entoure. Un savoir qui préserve de nos jours encore cette place privilégiée que l’histoire leur a dédiée : par exemple lorsque les papes d’Avignon chérissaient ces vignobles jusqu’aux portes de la métropole lyonnaise, qui aurait pu déjà porter le surnom étonnamment mystérieux et pourtant évocateur de Myrelingues la Brumeuse, que Rabelais attribua à la ville où l’on parlait une myriade d’idiomes (et que reprit Claude Le Marguet, en 1930, pour le titre de son roman sur Lyon).
Il est dit que, pour que le vin soit bon, la vigne doit voir le fleuve. Les Alpes qui s’aperçoivent par temps clair à l’horizon jalousent ces balcons aux confins des départements du Rhône, de la Loire et de l’Ardèche. Car ce territoire septentrional des Côtes du Rhône reste sagement sur le versant occidental, admettant pour seule exception l’étonnante colline de l’Hermitage qui donna son nom à cette célèbre appellation. Mais les pentes les plus abruptes qui ont consenti l’implantation de la vigne sont bien sur la rive droite, pour les terroirs de Condrieu, de Côte-Rôtie ou formant à Château Grillet de surprenantes arènes à flanc de coteaux. Enfin, plus au sud, de Chavanay à Guilherand, l’appellation saint-joseph qui n’en finit pas de s’étendre sur quelque 50 kilomètres, regardant vers le Midi en se protégeant si prudemment des vents du nord et de l’ouest.
Côte-Rotie, Condrieu, Château-Grillet : 3 vignobles solidaires sur les pentes les plus sévères
Au nord, le vignoble de Côte-Rôtie. On le dit remontant aux Allobroges (ce peuple gaulois formé d’excellents guerriers, installé entre le Rhône et les Alpes du Nord quatre cents ans avant notre ère) comme pour certifier son identité souveraine : il donne un vin rouge de garde, corsé, caractérisé par des arômes profonds mêlés au soyeux des tanins. Produit à partir des deux cépages syrah et viognier, l’AOC côte-rôtie permet un assemblage de viognier au maximum de 20 %. On distingue les vins issus de la côte “brune”, plus sévères, vieillis plus lentement que ceux de la côte “blonde”, plus épurée. Des désignations liées essentiellement à la situation des vignobles.
Plus au sud, les pentes sont redoutables. Le travail dans le vignoble de Condrieu exige beaucoup d’efforts pour les vignerons, jusqu’à imposer l’abandon de la mécanisation. Il en résulte un vin choisi puisque difficile à se procurer : seulement 105 hectares le produisent. Un vin rare aussi en bouche et donc doublement recherché : composées uniquement de cépage viognier “doré”, ses vignes donnent un vin blanc très parfumé dont les amateurs apprécient la large déclinaison d’arômes, la souplesse en bouche et les tanins subtils.
Enclavée au sein de l’appellation produisant le condrieu, l’appellation d’origine contrôlée Château-Grillet ne concerne qu’un seul domaine sur les communes de Saint-Michel-sur-Rhône et Vérin, la plus petite appellation des vins de Côtes du Rhône. Son vignoble est exposé au sud-est dans un élégant amphithéâtre abrité des vents du nord, entre 165 et 250 mètres d’altitude et sur des escarpements vertigineux puisque leur pente atteint parfois 50 %. Le caractère vigoureux de ses sols riches aussi en mica se retrouve dans les vins blancs produits par le Château Grillet : leur rondeur assagit une délicate acidité vêtue de notes florales que le temps ramène vers des couleurs de miel et d’acacia.
Pour en savoir plus sur l’appellation côte-rôtie…Une encyclopédie magnifiquement illustrée qui ouvre les portes du vignoble, des caves, du savoir des femmes et des hommes et agrémente ces informations de paroles de vignerons, de passionnés et d’œnologues : déjà la visite… en virtuel !www.cote-rotie.com… l’appellation condrieu…Sous-titré “L’or à l’état pur”… et on y est déjà doré par les feux du soleil sur les grappes. Le vin des papes d’Avignon et du chapitre lyonnais, l’histoire passionnante du cépage et du vignoble et ses échos sur tous les continents. Bien sûr, les indications pratiques mais aussi des recettes pour apprécier le breuvage : on en a l’eau à la bouche (sans jeu de mots).www.vin-condrieu.fr… et château-grilletLa table ne demande plus qu’à être dressée. Si les visites du domaine sont réservées aux professionnels, rien n’empêche de s’informer sur cette appellation si élégante… à prospecter en ligne !www.chateau-grillet.com |
Une sortie pour se croire en vacances
Visiter les vignobles en voiture n’est pas chose aisée : les routes issues de la D386 entre Ampuis et Condrieu pour s’attaquer à l’escalade vers les terrasses sont à l’image des paysages que nous venons de décrire. Sinueuses, très étroites, exigeant une grande vigilance à chaque contour, d’autant que les étonnantes visions du fleuve depuis ces hauteurs incitent l’œil à s’évader…
Le plus simple : suivre la signalisation en ayant choisi au préalable la cave à visiter ou l’agglomération à atteindre – Les Haies (l’église y recèle des vestiges d’une villa gallo-romaine dont probablement les deux colonnes qui encadrent son entrée), Longes (dont la légende dit qu’elle tire son nom du centurion Longius, qui transperça le flanc du Christ sur la croix avec sa lance, devenue elle-même l’une des plus célèbres reliques du monde médiéval), La Chapelle-Villars et Chuyer avec au choix de belles randonnées pédestres de 5 à 8 kilomètres offrant par temps clair une vision du mont Ventoux et du mont Blanc.
Visite ludique : coup de cœur pour le gyropodeUne idée à vivre en partage avec des amis, à coupler avec une bonne table pour un après-midi ou un week-end aussi original que passionnant puisque les balades sont guidées et riches de rencontres. Passer ainsi plusieurs heures entre les murets des vignes, pour se pénétrer de la richesse des vignobles de Côte-Rôtie et Condrieu en utilisant un moyen de déplacement aussi ludique que respectueux des espaces traversés : le gyropode. Deux roues, un moteur électrique et un guidon : l’idéal puisque facilement maniable, mobile sans effort, pratique pour ménager les échanges en groupe, la liberté de s’arrêter, de choisir sa vitesse de déplacement. Une expérience à vivre ensemble pour tous les âges à partir de 14 ans !• Base de loisirs, route de Gerbey, à CondrieuLes tarifs restent raisonnables pour une balade d’une heure (compter environ 30 € par personne) et méritent d’être étudiés pour d’autres modalités.Plus d’infos en cliquant iciEt pour ceux qui préfèrent marcher : balades pédestres autour de Chuyer et La Chapelle-Villarswww.chuyer.fr/decouvrir-chuyer/tourisme |
Pour clore : une balade qui en annonce une autre
La prochaine incursion que vous ferez dans les vignobles des Côtes du Rhône, en aval de Côte-Rôtie et Condrieu : l’organisation promue par 30 vigneronnes de l’appellation côtes-du-rhône, Femmes Vignes Rhône, décidées à traduire le métier de vigneron au féminin, non pas tant que les hommes en soient jaloux au point de le maîtriser depuis deux mille ans mais surtout pour faire connaître leur vision de la culture de la vigne jusqu’à l’élevage du vin qui ne peut que bénéficier de sensibilités renouvelées. Une carte de visite à garder sous le coude pour d’autres parcours chargés de couleurs et de parfums !