Cour d’assises du Rhône à Lyon.. (Photo Antoine Boureau / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

"Il voulait partir": le procès d'une petite-fille ayant tué son grand-père réveille le débat sur la fin de vie

Ce mercredi s’est ouvert à Lyon le premier jour du procès devant la cour d’assises d’une femme ayant tué son grand-père grabataire qu’elle voulait "aider à mourir". 

Une famille en larmes, un procès sans partie civile, et une accusée soutenue sans relâche. Le procès qui s’est ouvert mercredi 2 octobre devant la cour d’assises du Rhône à Lyon n’est pas banal, et interroge une société à l’heure où le premier ministre a annoncé vouloir "reprendre le dialogue" pour la définition d’un nouveau cadre légal sur l'aide active à mourir.

La famille défend "un geste d'amour", "de charité"... "un sacrifice"

A 32 ans, E. G, professeure d’espagnol, comparaît libre pour "assassinat sur ascendant". Le dimanche 23 août 2020 en soirée, elle se munie d’un bidon d’essence et prend la voiture avec ses deux enfants en direction d’un fast-food. Non-loin du domicile de ses parents de Saint-Laurent-de-Mure, où son grand-père maternel est hébergé dans une chambre médicalisée, son fils demande à s’arrêter pour faire pipi, dit-elle dans ses dépositions. Elle pénètre dans la maison, jette de l’essence dans la chambre où son grand-père dort, enflamme une feuille de papier et la jette dans la pièce, avant de quitter les lieux. Les circonstances de la mise à feu décrites par E.G sont toutefois remises en cause par l'expert en incendie. Reste qu'à 95 ans, grabataire depuis cinq ans, l’homme qui appelait sa petite fille "mi hija" (ma fille en espagnol, sa langue maternelle) décédera asphyxié par les fumées et "carbonisé" sur la partie basse du corps. 

Tout au long de cette première journée d’audience, la présidente de la cour a interrogé parents, sœur, oncle et ex-conjoint pour faire la lumière sur l’état de santé du vieil homme, mais surtout pour tenter d’obtenir la réponse à une question au cœur du procès alors que la défense plaide un geste d'euthanasie : au crépuscule de sa vie, cet homme voulait-il mourir ?

"Il m’a demandé un jour si je lui apportais la pilule pour s’endormir et ne plus se réveiller", assure ainsi F. M, ex-petit ami d’E.G. "Quand est-ce que le bon Dieu va venir me chercher ?! Il disait ça tout le temps" appuie la mère de l’accusée et fille de la victime, qu’elle n’a pas souhaité représenter car "mon père n’avait qu’un souhait" dit-elle, "partir". Son état de santé, décrit en "grabatisation" par la médecin légiste, appuie la souffrance décrite par la famille. Cet homme qui a fui la guerre civile espagnole ne bougeait plus de son lit, à moitié aveugle après un AVC oculaire. Ses cris - "viens me chercher, viens me chercher" - adressés à sa femme, décédée à la fin des années 90, rythmaient les nuit des parents et de la sœur d'E.G. "Il me faisait penser à une personne qu’on voit dans les camps de concentration" résume ainsi l’oncle de E. G, qui avait décidé de ne plus pénétrer dans la chambre où son père était alité, le "choc" ayant été trop dur à vivre. 

"Je trouve ça tellement plus facile de mettre ses aînés dans des Ehpad"

Pourtant, aucun des témoins interrogés ne peut affirmer que cet homme décrit comme un patriarche "affectueux", a un jour demandé explicitement à être accompagné vers la mort. Mais tous imaginent que c’est bien à E.G qu’il en a parlé, elle qu’il avait élevée jusqu’à ses trois ans et dont il est resté proche toute sa vie.

"Dans les dernière années, ils ne se voyaient plus au quotidien, mais quand elle venait à la maison, on les entendait parler tous les deux en espagnol" se souvient son père, lui-même très proche de la victime. C’est d’ailleurs par amour pour son grand-père que E.G se prend de passion pour l’enseignement de l’espagnol qu’elle poursuit en tant que contractuel pendant plusieurs années malgré de nombreux échecs au Capes. "Tu m’as recueilli comme ta fille", écrivait-elle ainsi pour les obsèques du patriarche dans une lettre lue par la présidente de la cour sous les yeux rougis par le chagrin de E.G. "Tu es libre, fini de lutter. J’espère que depuis les étoiles, tu seras fier de moi".

Ce premier jour d’audience a également été l’occasion pour toute la famille de réaffirmer son soutient à E.G. Tous défendent un geste "d’amour" et de "charité". Un procès qui expose au grand jour les drames humains se jouant derrière les bégaiements du législateur pour ouvrir la voie à une aide à mourir.

En larmes dès ses premiers mots - "ma sœur est innocente" - C. confie son "incompréhension" lorsqu’elle a appris, par la presse, le geste de sa sœur. Sans le regretter, elle reconnaît qu’il "y avait des solutions, en Suisse par exemple". "On aurait pu en discuter", ajoute-t-elle. Et de défendre, les yeux rougis par la tristesse, "un sacrifice" de sa sœur, appelant à la création d’un nouveau cadre légal. "Je trouve ça tellement plus facile de mettre ses ainés en Ehpad… J’espère juste qu’il n’a rien senti et qu’il est parti paisiblement", conclut-elle. La médecin légiste écartera néanmoins la piste d'une mort douce et sans souffrance, évoquant "quelques minutes" d'agonie, qu'elle caractérise de brève, sans pouvoir être plus précise. "Il faut que ça change dans ce pays, il faut une aide pour les familles", a lancé, très affecté, le père de l'accusée.

Une tromperie comme déclencheur ?

L’enchaînement des événements ce 23 août 2020 a par ailleurs interrogé l’avocat général qui tente de son côté de recentrer le débat sur la "dignité" d'une telle mort et la volonté réelle de mettre fin à ses souffrances. La veille, F.M, conjoint d'alors de l'accusée, père de ses deux enfants, lui annonce qu’il part coucher avec une autre femme, se sentant délaissé "comme un meuble" et voulant réaffirmer sa "liberté", lui qui dormait sur le canapé depuis plusieurs semaines. "Je voulais qu’elle comprenne que c’était fini entre nous" explique celui qui qualifie le geste de son ex-conjointe d’"acte de charité". Le lendemain, une discussion de plusieurs heures s’engage en début d’après-midi avec E.G. Vers 17 h 30, "la discussion tourne en rond" explique-t-il, et décide de quitter le domicile familial. Environ deux heures plus tard, E.G commet l’irréparable. "Vous ne vous êtes pas interrogé sur ce timing", lance l’avocat général à F.M, désorienté. 

Jeudi 3 octobre, E.G sera entendu sur les faits et pour un interrogatoire de personnalité. Il devrait notamment permettre d'éclairer encore un peu plus le rapport à son grand-père, alors que le directeur d'enquête auditionné ce mercredi a évoqué "un manque de reconnaissance" des parents dont souffrirait E.G, notamment vis-à-vis de sa petite sœur. Très proche du patriarche, elle l'a moins vu lors de sa dernière année de vie, ce qui fait dire, en creux, à l'avocat général, qu'elle aurait pu ne pas supporter la dégradation de l'état de santé de celui qu'elle considérait comme son modèle. L’avocat général prendra ses réquisitions à l’encontre de l’accusée qui encourt la prison à perpétuité avant la plaidoirie de l’avocat de la défense, Me Claus. 

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