L’épidémiologiste Emmanuelle Amar, directrice du Remera © Tim Douet
L’épidémiologiste Emmanuelle Amar, directrice du Remera © Tim Douet
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“Il y a des pressions sur la santé publique” – Emmanuelle Amar

C’est une forte tête, une femme engagée. Si cette spécialiste des malformations congénitales se défend d’être une lanceuse d’alerte, c’est elle qui a dévoilé le scandale des “bébés sans bras” dans l’Ain. De l’intérieur, à l’instar d’Irène Frachon pour le Mediator. Et, comme tout lanceur d’alerte, elle a subi calomnies, insultes, menaces. Elle a irrité les autorités sanitaires, qui ont voulu “la tuer”, mais réussi à attirer l’attention de la ministre de la Santé, qui a diligenté une enquête. Emmanuelle Amar se raconte modestement, sans langue de bois. Notre entretien “Grande gueule” de janvier.


Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ? Emmanuelle Amar : Non, mais ce qui m’est renvoyé de temps en temps semble manifester le contraire. Dans mon métier, je me suis toujours vécue comme une petite main de l’information, en fournissant, humblement et modestement, des données de façon qu’elles servent les autorités. En réalité, je suis assez intolérante à l’injustice, c’est peut-être cela être une grande gueule. Comment définissez-vous votre travail ? C’est un travail de collecte de données primaires, issues de 149 sources hospitalières (médecins, hôpital, autopsie, services de génétique, etc.), des malformations congénitales diagnostiquées en anténatal et en postnatal sur quatre départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes. On les saisit dans une base de données et on analyse régulièrement les courbes pour voir si le nombre de malformations augmente ou stagne. Un vrai travail de fourmi… Oui, et un travail d’enquêtrice – je tiens à ce mot car, pour chaque malformation diagnostiquée, on suit le bébé jusqu’à ce qu’on ait un diagnostic final. On est aussi un peu archiviste, comme le zouave du pont de l’Alma qui observe si l’eau monte, en l’occurrence le taux de malformations, et qui alerte quand il y a un risque pour la population. C’est donc le Remera, le Registre des malformations en Rhône-Alpes, que vous dirigez, qui alerte en cas de dépassement de seuil. Ce qui a été le cas dans l’Ain, dans le Morbihan et en Loire-Atlantique, ce que vous avez fini par appeler un “cluster”, c’est-à-dire un “regroupement inhabituel d’un problème de santé dans un espace géographique et dans une période de temps donnés”… Fin 2010, on est alerté de la naissance de bébés sans main. Ils sont trois, nés à dix-huit mois d’intervalle, sur une centaine de naissances sur la localité. On pense que c’est un signal. Début 2011, on signale ces cas à notre tutelle. On est alors au taquet, on voit naître les bébés malformés les uns après les autres. Mais les autorités ne bougent pas le moindre petit doigt. Au début de l’été 2014, on est alerté de naissances identiques en Loire-Atlantique. Je tombe des nues, car déjà la probabilité pour qu’on ait autant de cas dans l’Ain était infinitésimale, mais maintenant la probabilité qu’il y ait la même chose ailleurs est encore plus infinitésimale. À la fin de l’année, nouvelle alerte dans le Morbihan et on est, une nouvelle fois, dans un excès de cas manifeste.

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