“Il y a une part de responsabilité de l'administration pénitentiaire“

INTERVIEW - Un nouveau suicide a eu lieu dans la nuit du 24 février à Lyon-Corbas. Un jeune homme de 25 ans s'est donné la mort dans sa cellule, il a été découvert vers 23h30 par les gardiens de la prison. Les surveillants qui culpabilisent, s'inquiètent de plus en plus de la publicité mensongère réalisée autour des nouvelles prisons. Jean-Michel
 Deboille, représentant syndical CGT du personnel de la Maison d'arrêt de Lyon-Corbas répond à nos questions.

Lyon Capitale : Que s'est-il passé mercredi à la prison de Lyon-Corbas ?

Jean-Michel
 Deboille : Les collègues, lors de leur ronde de surveillance, sont passés vers 23h30 près de la cellule d'un détenu placé au quartier disciplinaire. En regardant par l'œilleton sur la porte, ils ont constaté qu'il s'était pendu.

Quel était le profil du suicidé ?

Il était né en 1984 et il avait fait appel de sa condamnation.

Il était détenu au quartier disciplinaire de la maison d'arrêt, quelles sont les conditions de détention dans cette partie de la prison ?

C'est le régime minimum. Les détenus sont seuls en cellule, ils ont droit à leur promenade, mais à aucune autre activité, c'est assez limité … Là, le détenu était au quartier disciplinaire depuis dimanche suite à une agression qu'il avait commise sur un autre détenu.

Les nouvelles cellules sont dotées d'interphone, le détenu n'a donc pas sonné pour appeler au secours ?

Non.

Le suicidé avait 25 ans, or on sait que la ministre de la Justice a lancé récemment un plan de prévention du suicide chez les jeunes détenus. Pensez-vous que cette population soit plus encline au suicide que les autres ?

Oui, peut-être, c'est comme dans la vie courante, les jeunes sont un plus fragiles que les adultes qui ont plus d'expérience, plus de recul.

Aviez-vous repéré le tempérament suicidaire de ce détenu et quels sont vos outils en général pour le faire ?

A priori non, nous n'avions rien remarqué chez ce détenu. Mais lorsque les détenus sont placés au quartier disciplinaire, ils bénéficient toujours d'une surveillance spéciale. Le service médical a aussi la possibilité, s'il estime que le détenu a une faiblesse psychologique ou qu'il ne remplit pas les conditions médicales pour y être placé, de le faire sortir. Dès qu'un détenu est placé au quartier disciplinaire, il est beaucoup plus suivi.

Avez-vous d'autres profils suicidaires détenus à Corbas et comment les gérez-vous ?

Si on arrive à détecter les détenus suicidaires, ils bénéficient d'une surveillance spéciale, surtout la nuit, car il est plus facile de passer à l'acte à ce moment-là, du moins par rapport à la surveillance. Mais s'il n'y a pas de signaux forts, je pense que la prévention relève plutôt des psychologues ou des médecins. De manière générale, il n'est pas facile pour l'administration pénitentiaire de détecter ce genre d'individu.

Est-ce que l'ouverture de l'Unité d’Hospitalisation Spécialement Aménagées (U.H.S.A de 60 places) qui va ouvrir au Vinatier en avril va changer les choses ? Elle va prendre en charge les détenus en souffrance psychique.

Oui, car à l'U.H.S.A les détenus seront pris en charge par du personnel hospitalier, leur fonction principale sera de s'occuper de personnes qui ont des troubles psychologiques graves, forcement la prise en charge sera améliorée. Les détenus n'auront pas les mêmes relations avec le personnel hospitalier qu'avec le personnel de surveillance. Là-bas notre rôle se limitera à de la surveillance quasi “périmétrique“, on va dire.

En conclusion, vous vous inscrivez toujours en faux par rapport à votre hiérarchie qui encense les nouvelles prisons ?

Oui, et nous regrettons que l'administration pénitentiaire persiste. Elle fait toujours la publicité de ces nouveaux établissements. Le 21 février à l'ouverture de la nouvelle prison de Bourg-en-Bresse, Jean-Amédée Lathoud, nouveau directeur de l'administration pénitentiaire, a encore fait la promotion de ces nouveaux “outils où la technologie est au service des agents et des détenus“. Sur les conditions d'hébergement, nous ne revenons pas dessus, elles sont meilleures. Mais il y le volet humain. Il règne dans ces établissements une certaine déshumanisation. Les surveillants en sous-nombre n'ont pas le temps de remplir leur mission de sécurité, de prévention et d'insertion. Il n'ont pas le temps d'apporter une écoute comme il pouvait le faire auparavant, les suicides sont peut être aussi dû à ce manque d'écoute, selon nous.

Vous culpabilisez ?

Oui, un peu, trois suicides à Lyon-Corbas depuis l'ouverture en mai dernier, c'est beaucoup pour un seul établissement pénitentiaire. On peut dire qu'on démarre très fort, comme à Mont-de-Marsan où il y en a eu cinq. Il y a selon nous une part de responsabilité de l'administration pénitentiaire dans la situation actuelle, on ne peut pas le nier et pourtant l'administration continue à fermer les yeux en refusant de mettre le personnel de surveillance nécessaire dans ces nouveaux établissements.

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