La première journée d'audience devant les Assises du Rhône a été l'occasion d'explorer longuement les faits et le contexte financier de la boulangerie incendiée.
C'est le dénouement d'une tragédie survenue il y a quatre ans, presque jour pour jour. Le procès qui se tient jusqu'au 24 février vise à éclaircir les circonstances dans lesquelles s'est produit un incendie qui avait bouleversé Lyon le 9 février 2019. Les flammes s'étaient emparées de la boulangerie ZZ dans le quartier du Grand Trou dans le 8e arrondissement, provoquant la mort de Clara, "enceinte de 9 mois d'un petit garçon", et de sa fille Anna, âgée de 4 ans, qui louaient un appartement au premier étage au-dessus de l'établissement. Leur compagnon et père, Julien, grièvement blessé dans l'incendie qu'il avait fui en se défenestrant, était assis ce jeudi au premier rang de la salle d'audience.
Dans le box des accusés, seuls deux des trois mis en cause étaient présents pour assister aux débats, Mr Balbali et Mr Hajjam, gérants de l'établissement incendié et en détention provisoire depuis juillet 2019. Le troisième, suspecté d'être l'incendiaire, avait quitté la France pour la Tunisie au lendemain du drame. Il y a été jugé il y a quelques mois pour les mêmes faits et condamné à 15 ans de prison. Les gérants de la boulangerie, Mr Balbali et Mr Hajjaj, sont accusés de "complicité de destruction du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes ayant entraîné la mort" et "tentative d’escroquerie réalisée en bande organisée". Ils auraient en effet commandité l'incendie auprès du troisième homme afin d'être indemnisé par l'assurance, Generali. Tous nient les faits.
La piste criminelle très vite soupçonnée
Au cours de la première matinée d'audience, le président de la Cour est longuement revenu sur l'exposé des faits de cette affaire complexe. Ce soir-là, à 20h29, alors que la famille passe la soirée dans son appartement au premier étage du 125 route de Vienne, une violente explosion survient dans la boulangerie, provoquant un incendie dans l'immeuble. Clara lit alors une histoire à sa fille tandis que Julien est dans le salon. Une partie du sol s'effondre, la femme et sa fille tentent de rejoindre la porte d'entrée en vain. Julien saute finalement par la fenêtre, dans une "action de survie". Sa femme et sa fille décèdent dans les flammes.
Comme l'ont raconté ce jeudi après midi une commandante de police et un brigadier auditionnés, une enquête en flagrant délit est ouverte et très vite, les constatations et les caméras de surveillance orientent la police vers l'hypothèse criminelle. Deux départs de feu ont successivement été identifiés par deux expertises, le principal dans l'arrière-boutique qui donnait sur une cour, un autre près d'un four dans la zone de vente de la boulangerie. La présence d'un "supercarburant coupé avec du distillat de pétrole" est identifiée, un briquet et un bout de plastique fondu qui sera assimilé à un conteneur de poubelle sont également retrouvés sur les lieux.
Dans la cour intérieure sur laquelle donne la porte arrière de la boutique, un trousseau de clé accroché au grillage d'une fenêtre est également saisi – l'ADN relevé dessus sera attribué à un homme, Adel Bouguerba, sur lequel les investigations vont rapidement se concentrer. Plusieurs éléments convergent vers sa présence sur les lieux – notamment des caméras de surveillance ayant filmé un homme pénétrant un peu avant l'explosion dans le bâtiment par une rue parallèle à la route de Vienne, qui donnait également accès à la cour et donc à l'arrière-boutique de la boulangerie.
Juste après le déclenchement de l'incendie, ce même homme est aperçu par des voisins ressortant et quittant les lieux, "les vêtements fumants" et des "brulûres" sur le visage et les avant-bras. Un peu plus tard dans la soirée, M. Bouguerba retourne dans son propre atelier de production, grande rue de la Guillotière : son employé puis sa famille confirmeront la présence de ses blessures, et un bout de manche calciné y sera retrouvé. Le lendemain, il s'envole pour la Tunisie à 16 heures, destination dont il ne reviendra pas. Par téléphone, il expliquera à la police qu'il s'est rendu dans la boulangerie pour s'y fournir en "farine et améliorant" en accord avec les gérants, mais qu'une explosion est alors survenue.
Des accusés qui nient les faits
Rapidement, les enquêteurs qui creusaient les possibles motivations d'un tel acte penchent pour la piste de l'escroquerie à l'assurance : l'incendie aurait été commandité à M. Bouguerba par M. Balbali et M. Hajjaj dans l'espoir d'obtenir une indemnisation avantageuse. Leurs investigations révèlent en effet les lourdes difficultés financières dans lesquelles était plongée la boulangerie ZZ. "Chiffre d'affaires artificiellement grossi" à travers des tickets de caisse manipulés, "dettes contractées", "loyers impayés", employeurs sans salaires en janvier 2019, double facturation… ainsi que des liens renforcés avec M. Bouguerba au cours des semaines précédant les faits. Malgré les affirmations répétées des mis en cause aux enquêteurs sur la supposée bonne santé financière de leur structure, les données récoltées mettent en évidence qu'elle fonctionnait très mal, a raconté l'un des brigadiers chargés de l'enquête. "Trois éléments principaux supportent la thèse de l'escroquerie à l'assurance : un rendez-vous avec l'assurance fin décembre pour augmenter leur garantie d'assurance incendie – dont le capital est passé de 30 000 à 160 000 euros, des fausses factures et une hausse artificielle du chiffre d'affaire, et enfin l'installation d'extincteurs en janvier". Quelques mois plus tard, ils ont d'ailleurs été notifiés par leur assurance qu'ils seraient remboursés d'un montant d'environ 200 000 euros.
De leur côté, les deux prévenus qui contestent cette version ont cherché au cours de l'instruction à orienter les soupçons vers le gérant d'une boulangerie concurrente, implantée de longue date dans le quartier, qui aurait mal perçu leur arrivée dans la zone. Au mois de décembre 2018, un camion avait en effet, en manoeuvrant, foncé dans la devanture de la boulangerie ZZ. Et quelques jours avant l'incendie, deux voitures avaient été enflammées devant l'établissement. Des actes de malveillance que les accusés ont lié à l'incendie – une version qu'aucun élément, selon les enquêteurs, ne semble soutenir.