Depuis deux ans, l’organisation mondiale de police ouvre de plus en plus son financement au secteur privé. De généreux “dons” et des conflits d’intérêt non moins conséquents. Après les lobbys du tabac et de la pharmacie, 4e volet de l’enquête de Lyon Capitale.
“Avec l’actuelle crise économique mondiale, de nombreuses organisations internationales, dont Interpol, recherchent des sources à la fois gouvernementales et non gouvernementales de financements extrabudgétaires et d’autres formes d’assistance”, avance le secrétariat général d’Interpol à Lyon. Depuis deux ans, l’organisation a en effet multiplié les partenariats public-privé.
Reclassement des cadres
Avant la pharmacie et le tabac, la Fifa a signé en 2011 un chèque de 20 millions d’euros sur dix ans pour combattre les matchs truqués. En novembre 2012, c’est le comité de la Coupe du monde 2022 au Qatar qui a octroyé un don de 10 millions de dollars à Interpol. Deux instances pourtant mises en cause par plusieurs médias européens dans l’affaire du “Qatargate”, qui révèle de probables cas de corruption dans l’attribution de la Coupe du monde au Qatar.
Dans son livre-enquête Fifa Mafia, qui décrit l’opacité de la Fédération internationale de football, le journaliste allemand Thomas Kistner évoque sur tout un chapitre le partenariat avec Interpol. Il y révèle que plusieurs anciens cadres d’Interpol sont placés aujourd’hui à des postes clefs au sein de la Fifa ou au Qatar. Ainsi, Ralf Mutschke, nommé directeur de la sécurité à la Fifa en juin 2012, est un ancien directeur des services d’Interpol. À la Fifa, il succède à Chris Eaton, lui-même ancien manager des opérations chez Interpol, parti au Qatar comme expert en intégrité et sécurité dans le sport. Quant à l’ancien vice-président d’Interpol pour l’Amérique (2003-2006), Michael Garcia, il est aujourd’hui à la tête de la commission d’éthique de la Fifa. Une commission dite indépendante, chargée d’instruire l’enquête sur l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar.
Les polices nationales se réveillent
Les polices nationales, pourtant frileuses lorsqu’il s’agit de remettre en question la chaîne de commandement, commencent sérieusement à se poser des questions au sein d’Interpol. Selon nos informations, la Suisse, appuyée par d’autres délégations comme l’Allemagne ou l’Autriche, a fait part de ses réserves sur l’accord avec la Fifa, à l’assemblée générale d’Interpol de Hanoï (Vietnam), en novembre 2011.
“Quant au financement externe, il est important qu’Interpol garde son indépendance. Surtout, une préférence des donateurs doit être évitée si elle a un impact sur les activités d’Interpol, ou sur les poursuites pénales des pays membres”, a averti la police suisse, qui a également demandé plus de transparence à Interpol : “Il est essentiel que les États membres puissent à l’avenir avoir accès à tous les documents liés à l’accord entre Interpol et les donateurs, particulièrement la Fifa.”
Lors de la dernière assemblée générale d’Interpol, à Rome, en novembre 2012, la police allemande a émis une critique sur les dons majeurs de l’industrie privée et des ONG. Un groupe de travail, dirigé par le vice-président de l’Office fédéral de police criminelle en Allemagne, Jürgen Stock, devrait rendre ses conclusions à la prochaine assemblée générale, fin 2013. Dans un communiqué de presse, le haut policier allemand a prévenu : “La neutralité et la réputation d’Interpol ne doivent jamais être remises en question par des intérêts économiques.”
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Cette enquête est parue initialement dans Lyon Capitale-le mensuel n°723. Nous la publions ici en 5 volets, et quelques compléments.