Mathieu Martiniere et Robert Schmidt ont poursuivi pour Arte l’enquête démarrée en 2012 avec Lyon Capitale sur le financement privé d’Interpol et ses conséquences. Réalisé par Samuel Lajus et produit par Cocottes Minute, Interpol, une police sous influence s’annonce comme un documentaire événement, à découvrir en avant-première ce jeudi au Comœdia – Entretien croisé avec deux de ses auteurs.
Lyon Capitale : Que retenez-vous de ce documentaire ?
Mathieu Martinière : C’est une enquête de cinq ans, que nous avons démarrée dans Lyon Capitale d’ailleurs*. On est parti avec pas plus d’infos que le grand public. Interpol est une organisation assez mythique, on en avait l’image qui en est donnée dans les films ou les séries télé, très éloignée de la réalité. On a découvert une organisation au budget assez limité, qui passe des partenariats que l’on n’aurait pas soupçonnés avec l’industrie du tabac, la pharmacie, la Fifa, des pays peu démocratiques… Pour nous, ça a été un “boulevard” journalistique, car l’organisation fait rarement l’objet d’enquêtes – sans doute parce qu’elle n’est pas basée à Paris – alors qu’il y a énormément de questions à se poser.
Samuel Lajus : Moi, je suis arrivé à la fin du projet. Je devais réaliser le film à partir d’une enquête déjà menée, finalement comme si j’en étais le premier spectateur. C’était fascinant de découvrir les conséquences concrètes de ces partenariats public-privé, que je n’aurais jamais soupçonnées.
* “L’ immoral financement d’Interpol”, Lyon Capitale n°723 (juin 2013).
A-t-il été difficile à réaliser ?
MM : Il a été long, parce que c’était un gros tournage, avec des moyens, dans une dizaine de pays. Et puis, au milieu du tournage, le secrétaire général a changé. Celui qui portait la critique contre le financement d’Interpol a été nommé à sa tête… On s’est demandé un moment s’il y avait encore un film ! Mais, très vite, même si des pratiques ont été améliorées, on a vu la nouvelle direction renouer le même type de partenariats privés, avec les mêmes problématiques…
Interpol a-t-elle joué le jeu de la transparence ?
SL : Moi, je n’y étais pas…
MM : Moi non plus ! (Rires.) On a pu avoir deux équipes sur le film. Avec Robert Schmidt, notamment lorsque l’on travaillait pour Lyon Capitale, Interpol nous a toujours fermé les portes. Quand le secrétaire général a changé, on a hésité à faire nous-mêmes la demande de tournage, il y avait une volonté d’ouverture, cela aurait pu passer. Mais on a préféré ne pas prendre de risques et c’est Mathieu Verboud et une équipe de tournage qui ont fait la demande. Ça n’a pas été simple, mais ils ont répondu à nos questions.
Ils ne savent toujours pas que vous êtes derrière ce film ?
MM : Je pense qu’ils ont dû l’apprendre, mais depuis quand, je ne sais pas.
C’est rare de voir un film qui déconstruit ainsi le fonctionnement d’une organisation internationale. Vous êtes-vous inspiré d’autres documentaires pour le réaliser ?
SL : Non. Cela m’amuse quand on parle de la patte d’un réalisateur, car chaque film a sa propre histoire, on doit trouver la meilleure manière de rendre intéressante une matière première qui est toujours différente. Une des difficultés, c’est que le sujet peut paraître froid. Par rapport à mon dernier film, sur les Roms, c’est sûr que la matière humaine était a priori moins présente.
MM : Il fait le modeste, mais il a particulièrement bien structuré le film, avec la très bonne idée de s’appuyer sur la communication officielle d’Interpol, mais aussi des groupes privés comme Philip Morris ou l’industrie pharmaceutique, pour montrer qu’en s’associant avec eux Interpol s’associe à des institutions qui ont des intérêts spécifiques à défendre…
Avez-vous eu des désaccords ?
SL : Non, mais des discussions sur les dosages. On avait la matière pour faire trois films de 90 minutes… Chaque sujet qui est abordé, comme les abus sur les notices rouges, instrumentalisées par des pays peu démocratiques, chacun des partenariats, aurait pu faire l’objet d’un film… Pourquoi Singapour a dépensé 250 millions d’euros pour offrir un nouveau bâtiment à Interpol, les histoires de paradis fiscaux…
MM : Comme Robert Schmidt est allemand, il est par exemple beaucoup plus sensible que nous, Français, sur la question des données privées…
SL : On a beaucoup débattu pour savoir si on mettait dix minutes de plus sur tel ou tel point. Mais je crois que c’est la force du film de parvenir à additionner toutes ces histoires, qui ensemble forment un tout et présentent une organisation… assez indigeste. Ce film ouvre beaucoup de pistes, il pourrait d’ailleurs être le premier volet d’une série sur le fonctionnement d’institutions internationales comme l’ONU, le FMI, l’OMS…
Quelle impression vous laisse le film ?
SL : Le sentiment que l’institution qui est censée lutter contre les dérives de nos sociétés, comme les paradis fiscaux, est elle-même prise dans des conflits d’intérêts. C’est une note assez pessimiste au final, parce qu’on ne voit pas bien quel gendarme va pouvoir remettre de l’ordre.
MM : Je ne sais pas si c’est sombre, mais ça décrit le monde actuel. Les États ne veulent plus mettre la main à la poche, alors ils laissent faire des partenariats avec des institutions autres, qui ont des intérêts propres…
Propos recueillis par RRF.
Lyon Capitale vous invite à l’avant-première de ce documentaireJeudi 15 mars à 20h30 au Comœdia (Lyon 7e)ATTENTION, places limitées. Demandez-les par courriel à invitations@lyoncapitale.frInterpol, une police sous influence sera diffusé sur Arte le 20 mars à 20h50 |
Et oui, le fric vient toujours foutre la bazar dans la justice, dans une société qui aimerait bien être sereine, mais... impossible en ayant basé son fonctionnement sur un outil qui doit être obligatoirement suffisamment rare : la monnaie. 🙂 Courage, la suite est en construction.