Le président de l’Association des Franco-Iraniens du Rhône commente dans la tribune ci-dessous le CV d’Alireza Avaï, choisi comme ministre de la Justice par Hassan Rohani.
“Ça y est, le nouveau gouvernement iranien a été approuvé par le Parlement. Gouvernement d’un “président modéré” mais pas “normal”. Parce qu’en Iran c’est un religieux qui est chef de gouvernement, imaginez un Mazarin gouvernant la France au XXIe siècle et de plus avoir pour chef d’État un autre membre du clergé, un pape, mais bien moins sympathique, régnant sur le pays. Quant à la qualification de “modéré” que la presse en France offre si tendrement à Hassan Rohani, un petit éclairage s’impose à l’occasion d’une visite rendue à une exposition peu ordinaire, lors d’un déplacement que j’ai effectué de Lyon à Paris.
La mairie du 2e arrondissement de Paris organisait le 31 août, avec le concours du Comité de soutien aux droits de l’homme en Iran (CSDHI) et du Comité des maires de France pour un Iran démocratique, une exposition de photos et de documents, pas des œuvres d’un artiste connu, mais à propos d’une tragédie peu connue, survenue dans les prisons iraniennes. Amnesty International, qui vient de publier un rapport sur cette situation, a qualifié cette tragédie de “crime contre l’humanité resté impuni”. Pourtant, combien d’entre nous sont au courant de ces 30 000 prisonniers politiques qui furent massacrés suite à une fatwa de l’ayatollah Khomeiny, le fondateur de cette théocratie infâme ? Aux côtés de visages de ces vies brisées dans la fleur de la jeunesse, leurs histoires, leurs humanités, il y a ceux de leurs bourreaux, des commanditaires du crime. Je m’arrête devant un nom : Alireza Avaï. C’est justement celui qui a été nommé par Hassan Rohani nouveau ministre de la Justice.
Qu’a-t-il fait de juste, au juste, pour être ainsi nommé ? Ne soyez pas surpris qu’il figure sur une liste des responsables du massacre de 1988 dans le Khouzistan (sud-ouest). Cette fameuse liste a été publiée dans un rapport de l’ONG britannique Justice for Victims of 1988 Massacre in Iran (JVMI), présentée lors d’une conférence en 2016 à l’ONU à Genève. En tant que procureur de la ville de Dezfoul, Avaï était membre de la “commission de mort” qui décida de la mort de nombreux prisonniers politiques lors de ce massacre perpétré dans toutes les prisons du pays. Un des rares rescapés de ces massacres dans la prison “Unesco*” à Dezfoul, Mohammad-Reza Achough, raconte qu’Avaï n’épargnait même pas les mineurs et les enfants.
* Bâtiment d’une école fondée par l’Unesco avant la révolution, transformé en prison à l’époque de Khomeiny.
La fatwa de Khomeiny ordonnait le massacre de tous les prisonniers politiques restés fidèles à leurs convictions. L’ordonnance concernait même de nombreux prisonniers qui purgeaient une peine de réclusion prononcée par les “tribunaux révolutionnaires islamiques”. Les femmes enceintes et les adolescents n’ont pas été épargnés. C’est sous l’étiquette de Mohareb (“en guerre contre Dieu”) que le fondateur de la République islamique justifiait la liquidation de tous ces opposants. La grande majorité des victimes des tueries étaient des membres de l’organisation d’opposition des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI), que le régime qualifiait d’“hypocrites”.
Avant Avaï, le ministère de la Justice était dirigé par un autre religieux : Moustapha Pourmohammadi. Comme Avaï, il était membre de la “commission de mort”, mais à Téhéran, et représentait le ministère des Renseignements dans cette commission. En trois mois, les bourreaux ont envoyé à la potence des dizaines de milliers de personnes. Les dépouilles de la plupart des victimes sont enterrées dans des fosses communes.
Avaï se trouve également sur la liste des personnes sanctionnées par l’Union européenne, pour des activités “en infraction des règles des Droits de l’homme”, en tant que procureur général du parquet de Téhéran (de 2005 à 2014). La résolution adoptée par les pays européens avait placé Avaï parmi les personnes interdites d’entrée sur le sol européen et ses biens éventuels en Europe devraient être gelés. Avaï est accusé “des arrestations arbitraires, de la violation des droits des détenus et de l’augmentation du nombre des exécutions capitales” lors de ses activités au parquet de Téhéran, notamment après les troubles déclenchés dans le pays par les fraudes aux élections présidentielles de 2009.
En 1988, “à Dezfoul, les officiels de la justice et des espaces pénitentiaires parmi lesquels se trouvait également Alireza Avaï, emmenaient les prisonniers à une caserne au bord du fleuve de Karkheh pour les exécuter là-bas”, précise Mohammad-Reza Achough. “Les cadavres étaient vraisemblablement inhumés dans des fosses communes à l’intérieur même de cette caserne”, indique ce rescapé des tueries, qui précise que cette caserne s’appelle aujourd’hui “la caserne Qods de Dezfoul” des Gardiens de la Révolution.
L’absence de Pourmohammadi dans la liste des nouveaux ministres du cabinet d’Hassan Rohani aurait pu soulever l’espoir chez les optimistes d’une amélioration des Droits de l’homme. Son remplacement par un autre responsable dont les mains sont tachées de sang transforme ces espoirs infondés en déception. D’ailleurs, la situation dans les prisons iraniennes reste inquiétante. Le 30 juillet, une vingtaine de prisonniers politiques de la prison de Gohardacht (Karaj) ont entamé une grève de la faim. Ils sont dans une situation grave. Ces prisonniers ont commencé leur protestation à la suite d’une attaque brutale des autorités contre les détenus de la section 12 du quartier 4. Il faudrait briser le silence sur ces crimes d’hier et d’aujourd’hui.
Quelle “modération” pourrions-nous espérer d’un gouvernement qui détient, selon Amnesty International, le record des exécutions capitales per capita ? Pour connaître la nature de ce régime intégriste, il est indispensable de visiter une telle exposition. Quand les Lyonnais pourront-ils la visiter sans avoir à se déplacer jusqu’à Paris ? En apprenant ce qui s’est passé il y a près de trente ans en Iran, dans l’indifférence générale, après l’avènement de ce premier État islamiste, on peut mieux comprendre ce qui nous arrive aujourd’hui en Europe avec les apprentis califes qui abusent de l’islam.”
Alex Taraj,
Président de l’Association des Franco-Iraniens du Rhône