Stéphane Bouillon, le préfet du Rhône, a réuni ce jeudi dans les salons de la préfecture les assises de l’islam. Quelques semaines avant le discours attendu d’Emmanuel Macron sur l’islam et son organisation en France.
Lyon Capitale : Quel est le but de ces Assises de l’islam organisées à la préfecture du Rhône ?
Stéphane Bouillon : Ces assises sur l’islam sont organisées pour discuter avec tous les acteurs de cette religion, mais aussi les entreprises, les associations et les fidèles. L’idée, c’est de regarder comment l’islam peut parfaitement s’intégrer dans notre société, échapper à l’islamophobie qui existe parfois et jouer, comme toutes les religions, pleinement son rôle, mais pas plus que son rôle, dans le fonctionnement de notre société. Trois ateliers ont été définis : jeunesse, formation des imams, organisation et financement du culte. Il faut une meilleure connaissance dans la population de ce qu’est l’islam. Il faut aussi une meilleure formation des imams dans la connaissance du territoire dans lequel ils prêchent.
L’institut Montaigne a sorti un rapport sur l’islam salué par Gérard Collomb, mais ouvertement critiqué par Kamel Kabtane. Le recteur de la grande mosquée de Lyon a dénoncé “un rapport qui divise les Français et tente de jeter le discrédit sur la communauté musulmane et ses représentants”. Qu’en pensez-vous ?
Le rapport de l’institut Montaigne est une contribution, mais pas une conclusion. Dans tous les départements, il y aura des assises de l’islam comme ici et le Gouvernement prendra l’ensemble des contributions pour faire une conclusion. Mon rôle n’est pas de dire qui a raison ou qui a tort. Le rapport Montaigne est là pour ouvrir un débat et faire des propositions. Nous en déblatérerons cet après-midi. L’agglomération lyonnaise est la deuxième de France en termes de présence de l’islam. Un conseil théologique des imams et un conseil départemental du culte musulman ont été faits ici et il me semble que ce sont des idées très intéressantes que nous pouvons faire remonter à Paris.
Y a-t-il une spécificité lyonnaise en matière d’islam ?
Il y a une spécificité dans le Rhône, parce que c’est la deuxième ville de France et parce que la grande mosquée de Lyon est une des trois mosquées reconnues au niveau national. Il y a aussi un CRCM bien organisé et qui fonctionne bien, des intellectuels très porteurs d’idées qui peuvent faire avancer les choses et une bonne synergie entre les différents partenaires et les différents courants de l’islam. Tout le monde est d’accord pour discuter et ce qui a été fait dans la matinée a été très constructif. Ce qui est fait sera utile, parce que Lyon a une voix forte et sera écouté.
La question du financement du culte va être centrale. Comment allez-vous l’aborder ?
Le financement est un des grands sujets. La question est de savoir comment organiser ce financement, qui se fait aujourd’hui par les États, que ce soit l’Algérie, le Maroc ou l’Arabie saoudite. L’idée, c’est qu’il puisse y avoir une institution qui coordonne et décide au niveau de l’islam de France. Que l’on puisse avoir aussi des imams formés qui portent le prêche, suivant la formation qu’ils ont reçue, sur la base de ce qu’ils connaissent sur le droit de nos institutions et non pas d’une formation théologique qui dépendrait des Frères musulmans ou d’autres organisations.
Quel rôle va pouvoir jouer l’État dans tout ça ?
L’État n’interviendra pas sur l’approche religieuse puisque, par définition, il n’a pas de religion. Donc ce ne sera pas à lui de dire “ça c’est bien” ou “ça ce n’est pas bien”. En revanche, l’État intervient et interviendra sur le socle des connaissances : le fait religieux, l’histoire de France, le droit des religions et la langue. Bref, tout ce qu’un imam doit connaître pour ensuite avoir une formation théologique, de façon qu’il ne puisse pas raconter de bêtises et qu’il puisse connaître le territoire pour bien s’intégrer en ayant des contacts avec les autorités locales comme le maire.
Il y a une formation “Religion, Liberté Religieuse et laïcité” co-proposée par l’université Lyon 3 et l’Université catholique. Avez-vous des retours ?
Ça fonctionne très bien. Cela permet d’avoir des gens de bon niveau plutôt que des imams autoproclamés, des communautaristes, salafistes, quiétistes, soufis ou autres qui arrivent et prônent leur doctrine sans que l’ensemble des fidèles ait le choix parce que c’est imposé par l’argent ou d’autres circonstances.
Y a-t-il un agenda précis sur la suite de ces assises ?
C’est une priorité. Le Gouvernement souhaite aller vite. On a reçu l’instruction de lancer ces assises en juillet et tous les départements de France doivent avoir rendu leur rapport le 15 septembre. Une fois les documents envoyés à Paris, le président en fera son miel et son fameux discours sur l’islam sortira d’ici quelques semaines.
Lyon a une voix particulière à faire entendre à Paris ? Est-ce un dossier que vous porterez personnellement ?
Je porte toujours les dossiers personnellement, mais c’est vrai que ça fait partie des sujets dont je peux discuter avec le président et le ministre de l’Intérieur quand je les verrai. J’ai tourné dans différentes régions. Quand j’étais à Strasbourg, j’avais une vision différente, à Marseille c’était encore différent et ici à Lyon c’est encore une autre formule. Ce que je peux dire, c’est qu’ici, compte tenu de la capacité des responsables à travailler ensemble, à discuter, parfois à s’engueuler, en tout cas à faire remonter les choses, c’est plutôt une manière de faire intéressante. Les bonnes pratiques que l’on peut avoir ici peuvent être un exemple que l’on peut donner.
Vous dites qu’il y a une bonne manie de faire ici. Est-ce dû à une génération de dirigeants politiques et religieux, ou à un terreau qui leur a permis d’émerger ?
Je pense qu’il y a les deux. Il y a des gens de grande qualité, mais aussi un microclimat lyonnais où l’on essaie de faire avancer les choses de façon pragmatique, au-delà des dogmatismes. Cela a joué dans ce domaine comme dans tous les autres.
En tant que personne s'intéressant à la question, je voudrais que l'on tienne compte de certains invariants:
1) Mener le combat contre la radicalisation sur le terrain de la théologie alors que d'une part, il s'agit d'un combat politique et que d'autre part, la théologie peut être vecteur de radicalisation, un tel combat, peut-il selon vous aboutir ?
2) Des initiatives prises afin. de structurer l'islam de France sans tenir compte des données suivantes resteront vaines:
a- Prévenir la radicalisation n'est pas du ressort des imams.
b- Leur formation n'est pas une garantie.
c-On ne combat pas la radicalisation avec des amadouements
3) La désimplication des acteurs locaux cultuels dans la lutte contre la radicalisation est la condition sine qua non tout combat contre l'islamisme sera voué à l'échec.