Sadia Hessabi franco-afghane à Lyon
Sadia Hessabi franco-afghane à Lyon @Antoine Pluquet
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"Je suis un caméléon sur une boîte de Smarties"

Grandes gueules. Le parcours de Sadia Hessabi, franco-afghane relève de l'extra ordinaire. Un destin hors du commun qu'elle a tracé, sans se laisser par le victimisme et sans chercher de bouc-émissaire à ses maux.

Le parcours de Sadia Hessabi est hors norme. Hors sol aussi. Orpheline à 14 ans, elle quitte ensuite l’Afghanistan, son pays, alors que les talibans sont aux portes de Kaboul. Seule, en ne parlant que le perse. Deuil, déracinement, exil, maladie… Sadia Hessabi aurait pu s’apitoyer sur son sort, chercher un bouc émissaire, elle a choisi de rebondir et d’“avancer coûte que coûte”. Entre ténacité et détermination. Elle rêve d’ouvrir un lieu avec, au fond du jardin, une cabine téléphonique “qui relie au ciel, pour les personnes qui ont perdu des proches trop tôt”. Un peu de poésie dans un monde de brutes.

Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ?

Sadia Hessabi : Non si c’est au sens de quelqu’un qui parle beaucoup et brasse du vent. Je le suis plutôt au sens d’un peu rebelle, contestataire, insoumise. Bref, je ne rentre pas dans le moule.

C’est-à-dire ?

J’ai voulu faire comme tout le monde : avoir un travail, un chien, une maison, des enfants. Métro, boulot, dodo. J’avais envie que mon travail s’adapte à ma vie de famille et pas l’inverse. Je l’ai fait jusqu’à m’apercevoir que cela ne me convenait pas.

Vous êtes née en 1976 à Kaboul, en Afghanistan. À 15 ans, vous avez quitté votre pays pour fuir la guerre civile…

Quand j’avais 9 ans, mon père est mort suite à un diabète. À 14 ans, j’ai perdu ma mère, probablement suite à un arrêt cardiaque, après qu’une bombe a explosé à côté de chez nous. J’ai ensuite vécu chez ma cousine. Un oncle, habitant en France que je ne connaissais pas, m’a alors proposé de venir en France. L’Afghanistan était en pleine guerre civile, suite au retrait des Russes en 1989. Les écoles étaient fermées, on faisait la queue pour un peu de farine ou de poulet congelé, c’était le rationnement. Je voyais bien que les gens paniquaient, que tout le monde partait. Je me suis finalement décidée à partir. Je suis allée sur la tombe de mes parents pour qu’ils aient une stèle et j’ai dû payer pour avancer l’âge sur mes papiers sans quoi je ne pouvais pas prendre l’avion seule.

“L’exil, c’est le cœur qui reste dans son pays et le corps qui se déchire dans les airs”

Que se passe-t-il dans la tête d’une jeune fille, orpheline, ne parlant que le perse qui quitte son pays pour l’inconnu ?

C’est un déchirement total. L’exil… Le cœur reste dans son pays et le corps se déchire dans les airs. Plus on prenait de l’altitude et plus je me demandais si j’allais un jour revenir. Tout se chamboulait dans mon esprit. Mais le plus dur, c’est d’avoir été seule, de n’avoir personne qui vous rassure. C’est une épreuve terrible. Je me souviens d’avoir tellement pleuré. J’ai fait escale à Moscou, où j’ai raté mon avion. Il a fallu que je me débrouille seule. Le lendemain, je suis arrivée à Roissy. J’avais juste un bout de papier avec un nom, une photo et un numéro de téléphone. J’ai cherché pendant deux heures. Je suis tombée par hasard sur une dame qui était la femme de mon oncle. Elle m’a pris dans ses bras.

Un soulagement indicible…

En fait, pas tant que ça… Je ne connaissais pas cette dame, ni son mari, mon oncle donc, que je n’avais jamais vu de ma vie. Il parlait certes un petit peu perse, ça pouvait avoir un côté rassurant, mais au final je ne savais pas qui étaient ces gens. Donc je me retrouve dans la voiture d’inconnus, direction la Bourgogne. On ne voyait que l’autoroute à perte de vue. Je me rappelle avoir pensé : “Qu’est-ce que c’est ce délire ? Ils habitent où les Français ?” J’ai d’abord eu un choc visuel et culturel : un pays tout plat, moi qui viens des contreforts de l’Himalaya, avec des gens très blancs de peau. Après, ça a été un choc culinaire. On s’était arrêtés sur une aire d’autoroute. Déjà, ce qui m’a sauté aux yeux, c’était l’abondance. En Afghanistan, on n’avait plus rien. Ça sentait bon, j’avais faim. J’ai vu ce truc grillé avec des frites qui me rappelait les grillades afghanes. C’était une andouillette. Horrible ! [elle grimace] Mais cette expérience a été fondamentale pour moi : mon oncle m’avait dit que c’était du porc, je lui ai menti en disant que j’en mangeais. Ce n’était pas vrai mais à cet instant-là, je me suis dit que c’était moi qui déciderai à partir de ce jour.

“En Afghanistan, les femmes ont pu voter dès 1919… Aujourd’hui, elles n’ont plus le droit à l’existence”

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