Jean Tirole est l’invité vedette des Journées de l’économie, qui s’ouvrent ce mardi à Lyon. Lyon Capitale a interrogé le prix Nobel d’économie sur le conflit entre économistes “hétérodoxes” et “orthodoxes” qui, comme viennent de le faire Pierre Cahuc et André Zylberberg dans Le Négationnisme économique, taxent les premiers d’obscurantisme et de déni scientifique. Jean Tirole, qui s’exprime pour la première fois sur ce sujet, appelle ses collègues à “prendre de la hauteur” et surtout à rester unis au sein des mêmes filières universitaires.
LC : Vous avez été à l’origine d’une mobilisation contre la création, promise par Najat Vallaud-Belkacem*, de sections “Institutions, économie, territoire et sociétés” dans les universités, qui offriraient une visibilité plus forte aux économistes “non orthodoxes”. Comment répondez-vous à l’accusation de défendre une “pensée unique” ?
Jean Tirole : “Je ne suis en rien à l’origine de cette protestation contre une coupure de la communauté économique en deux. Non seulement ce n’était que la position individuelle d’un chercheur, mais je vous rappelle que bien auparavant les professeurs d’économie en université s’y étaient opposés, comme d’ailleurs un rapport officiel d’experts dirigé par le président de l’École des hautes études en sciences sociales [EHESS], Pierre-Cyrille Hautcœur.
“Il n’y a pas de définition de l’hétérodoxie qui permettrait d’allouer les postes : si l’hétérodoxie consiste à s’intéresser aux autres sciences sociales, à faire une place non négligeable aux théories keynésiennes, ou encore à insister sur la nécessité de travaux empiriques, alors les revues scientifiques les plus réputées sont toutes fortement hétérodoxes. La discipline est devenue majoritairement empirique, les revues couvrent systématiquement les travaux se situant à la frontière de la sociologie, de la psychologie, de l’histoire, du droit ou de la science politique. Et le réexamen et l’amélioration des idées keynésiennes à l’aune des nouvelles connaissances, par exemple par le Français Emmanuel Farhi, sont très présentes dans ces revues, sans oublier les orthodoxes comme Krugman et Stiglitz qui portent la vision keynésienne dans le débat public.
“Toutes les sciences ont leurs débats internes et progressent par le jugement des pairs. En économie comme dans les autres domaines, la réputation scientifique d’un chercheur se construit en remettant en cause les connaissances existantes, en créant de nouvelles connaissances par des paradigmes originaux et en les testant grâce à des techniques statistiques identifiant bien les effets. C’est sur ce terrain que doit porter le débat. Je crois qu’en France nous devons aujourd’hui prendre de la hauteur, dépasser un débat opposant des personnes ou des “écoles” et faire progresser ensemble notre savoir, qui est encore beaucoup trop imparfait.”
L’intégralité de cet entretien avec le prix Nobel d’économie Jean Tirole est à lire dans notre mensuel de novembre (Lyon Capitale n°760). Il y est notamment question d’assouplissement du Code du travail, de responsabilisation des chefs d’entreprise, d’enseignement “performant”, des défis de l’économie de l’attention, du bilan de la COP 21 et du Brexit.
Aux Journées de l’économie 2016 Jean Tirole interviendra sur le thème À quoi servent les économistes ? > Ce mardi 8 novembre de 15h à 16h30, à la Bourse du Travail Et il participera à la table-ronde Réinventer les politiques de l’innovation avec David Encaoua, Dominique Guellec, Mohamed Harfi et Frédérique Sachwald > Même jour même lieu, de 17h à 18h30 |
* La ministre de l’Education nationale est aussi annoncée aux Journées de l’économie. Elle doit participer à la table-ronde Information : démêler le vrai du faux, jeudi 10 novembre de 14h à 15h30, salle Molière (18 quai de Bondy, Lyon 5e).