L'avis des psychiatres manque sur la question de la légalisation du cannabis. Une enquête menée de Lyon dans toute la France - et primée - vient combler cette absence.
"Dans la littérature médicale, l'avis des psychiatres manquait sur la question. Or, il s'agit d'une profession très exposée aux consommateurs de cannabis." Psychiatre addictologue et responsable des unités d'addictologie du Groupement hospitalier Sud des HCL, au sein du Service universitaire d'addictologie de Lyon, Léa Leclerc mène une enquête, encore en cours, auprès de psychiatres diplômés. A ce jour sur les 400 professionnels interrogés, 77% sont favorables à la légalisation du cannabis à des fins médicales, quand 53% approuvent la légalisation à des fins récréatives.
Prévention vs impacts sanitaires et sociaux
"Ce qui est intéressant, explique Léa Leclerc, c'est d'observer les raisons qu'ils invoquent. Les psychiatres favorables à la légalisation soutiennent que le système actuel, basé sur la répression, n'est pas satisfaisant, car il ne permet pas la prévention." En d'autres termes, le cannabis, substance illégale au regard de la loi, ne permet pas la prévention. Or, précise le Dr Leclerc dans son étude, les Français sont les premiers consommateurs en Europe et les populations vulnérables, les mineurs notamment, se retrouvent exposés à ce phénomène sans prévention. Quant aux psychiatres défavorables à toute légalisation, leur argumentation repose sur leur "crainte d’impacts sur la santé et les potentiels dommages sociétaux provoqués, comme l’augmentation des violences, des accidents de la route, du décrochage scolaire..."
Pour ce vaste travail d'enquête (toujours en cours), le Dr Léa Leclerc a été récompensé du "Prix de la meilleure communication orale" à L'Encéphale, le principal congrès de psychiatrie francophone, qui a réuni, du 19 au 21 janvier, plus de 4 000 psychiatres à Paris. Lors de son discours inaugural, le ministre de la Santé Olivier Véran avait promis que le fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie serait doté de 10 millions d’euros et l’appel à projet pour renforcer la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sera doté de 20 millions d’euros.
Liens entre troubles psychiatriques et consommation de cannabis ?
Si, selon l'étude, 8 psychiatres sur 10 indiquent recevoir plusieurs consommateurs de cannabis par semaine, la question légitime est de savoir s'il existe un lien entre consommation de cannabis et troubles psychiatriques. Le débat reste ouvert. "Des études assez récentes montrent qu’il y a un impact du cannabis dans le développement de troubles psychotiques. Mais, à l’opposé, il n’y a pas eu de flambée de ces troubles dans les pays qui ont récemment légalisé le cannabis, comme le Canada, l’Uruguay ou les Etats-Unis. Nous ne pouvons pas être certains que les usagers rencontrés consomment à visée auto-thérapeutique du fait de troubles psychiatriques ou si c'est leur consommation de cannabis qui a engendré les troubles. Nous savons qu'il existe des vulnérabilités individuelles dans le développement des troubles psychotiques, qui peuvent être induits par le cannabis, mais qui n'est pas le seul facteur précipitant. Cette question est complexe, et c’est aussi pourquoi il nous apparaissait intéressant de réaliser une telle enquête, sans idée préconçue, auprès d’un panel très large de psychiatres."
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