L'entreprise qui invite les insectes dans nos assiettes

Le scandale des lasagnes au cheval vendues sous l’étiquette de viande de bœuf porte un nouveau coup à la viande, dont la consommation baisse depuis une dizaine d’années. Régulièrement mise en cause, la viande est aussi de plus en plus boudée par des consommateurs guidés par des préoccupations nutritionnelles et à la recherche d’une alimentation plus saine. Jusqu’à bousculer les traditions culinaires. En France, à Toulouse, l’entreprise Micronutris a fait le pari de se lancer dans la production et la commercialisation d’insectes. Un aliment dont l’intérêt croissant repose sur une importante valeur nutritive et un faible impact sur l’environnement. Cédric Auriol, 30 ans, est le gérant de Micronutris.

Alors que la France est touchée par le scandale des lasagnes au cheval et que les consommateurs sont de plus en plus méfiants vis-à-vis de la viande, pensez-vous que les insectes sont l’aliment du futur ?

Cédric Auriol : L'affaire des lasagnes au cheval démontre, une fois de plus, qu'il y a un problème de traçabilité avec la viande. Il y a dix ans, c'était la vache folle, aujourd'hui c'est les plats surgelés. Les gens sont de plus en plus méfiants vis-à-vis de la viande. On ne veut pas surfer sur cette affaire mais je pense qu'elle nous sera favorable car les consommateurs réfléchissent de plus en plus à leur manière de consommer.

Pensez-vous que les Français vont se tourner vers les insectes pour remplacer la viande ?

Je ne sais pas. En tout cas, il y a un engouement très fort pour la nourriture saine. Sur la planète, deux milliards de personnes se nourrissent déjà d'insectes, en particulier aux États-Unis et en Asie. En France, on a un peu plus de mal mais ça commence à venir. Selon nos études, 40 % des gens sont prêts à manger des insectes. Souvent c'est une population tournée vers le bio mais on trouve aussi des personnes qui ont tenté l'expérience à l'étranger ou des gens qui sont prêts à essayer pour le côté ludique. Les industriels s'y mettent aussi. Je suis actuellement en discussion avec l'un d'entre eux pour étudier l'élaboration de plats cuisinés à base d'insectes.

Vous avez lancé un site de production d'insectes, Micronutris, à Saint-Orens, près de Toulouse, à la fin de l’année 2012. En quoi consiste-t-il ?

Micronutris est le premier site, en Europe, de production et de commercialisation d'insectes destiné à l'alimentation humaine. Nous y élevons des vers de farine et des grillons domestiques, deux espèces particulièrement nutritives et connues du grand public. D'ici trois mois, nous comptons produire deux tonnes d'insectes par mois. L'idée, ce n'est pas forcément de manger des crickets ou des grillons tels quels, mais de les cacher dans des aliments, comme on peut le faire avec le poisson pané. Par exemple, nous sommes en train de développer une barre énergétique -qui ressemblera à une barre de céréales classique- élaborée à partir de farine d'insectes. On devrait la retrouver dans les rayons des supermarchés d'ici neuf mois. Nous fabriquons déjà des chocolats à base d'insectes.

Pourquoi avoir fait le choix de la production d'insectes pour l'alimentation humaine ?

L'alimentation à base d'insectes est une préconisation de l'ONU pour faire face à la faim dans le monde. Je voulais faire une activité qui a du sens. Elle est, selon moi, la solution naturelle pour nourrir 9 milliards de personnes d’ici 2050. Des études montrent que nous allons manquer de protéines animales. Or il s'avère que 75% de la biomasse présente sur terre sont des insectes. Par ailleurs, la production d’insectes est nettement supérieure à celle de la viande : avec 10 kilos de végétaux, on peut produire 9 kilos d'insectes et seulement un kilo de viande.

Tous les insectes sont-ils comestibles ?

Il y plusieurs millions d'espèces d'insectes dans le monde. Le département Alimentation et agriculture des Nations Unies (FAO) en a répertorié 1 400 comme comestibles. Beaucoup d’insectes ont des qualités nutritives importantes. Ils sont riches en protéines et pauvres en graisse. Convaincue de cela, l’Europe a débloqué trois millions d'euros pour financer différentes recherches. Nous nous sommes d’ailleurs appuyés sur certains des résultats obtenus pour choisir les grillons et les vers de farine et produire un modèle d'exploitation efficace et sain.

La consommation d’insectes est toutefois très chère : 40 euros pour une barquette de grillons sur Internet, 200 euros pour le kilo de vers de farine !

Le prix des insectes est, en effet, exorbitant. Nous avons encore beaucoup de frais de développement. Mais dans trois ans, le kilo d'insectes sera au même prix, voire moins cher, que le kilo de viande. Nous avons aussi un avantage considérable : notre traçabilité. Tous les insectes qui sortent de chez nous appartiennent à des lots sur lesquels ont été effectuées des analyses microbiologistes. Ils sont parfaitement propres à la consommation humaine.

Y-a-t-il un nouveau business autour des insectes ?

Il y a en tout cas une nouvelle filière qui est en train de se mettre en place. Dans tous les grands groupes, des gens réfléchissent à l'introduction des insectes dans l'alimentation. Par exemple, des fabricants de bolognaises pensent à remplacer le bœuf par des insectes, des industriels veulent composer des plats préparés à base de grillons. Dans dix ans, il y aura autant de produits à base d'insectes dans les rayons de supermarchés que de produits classiques. Parce qu’aujourd'hui, il y a aussi une véritable problématique pour trouver de la viande sûre et à bon prix. L'actualité le démontre très bien.

Ne craignez-vous pas que l'alimentation à base d'insectes ne soit trop éloignée de la culture française, dont la gastronomie est très centrée autour de la viande ?

Nous ne prônons pas la disparition de la viande. Dans vingt ans, je suis persuadé que nous continuerons à manger un bon steak au restaurant. La viande appartient à notre culture mais elle ne suffit pas. Il faut un nouvel équilibre. L’alimentation à base d’insectes peut apporter cet équilibre.

https://www.micronutris.com/

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