Mais quotidiennement, environ 70 personnes dorment dans la rue. Rencontre avec quatre d'entre eux.
Leurs figures, leurs dégaines nous sont à tous familières. On passe devant sans y prêter forcément attention, tout au pire un regard de compassion, de mépris ou d'indifférence. A chacun sa réaction. Une chose est sûre, les gens de la rue ne disparaissent pas du décors pendant la période estivale.
14 heures, place des Terreaux, une poignée de touristes défile en rang serré appareils photos au poing. Un peu à l'écart des passants, à l'ombre, sur les marches d'un préau devant l'entrée principale du musée des beaux-arts, Papi, un homme dans la quarantaine, squatte posément. A ses côtés, Yazid, Laurent, Trash et l'Ancêtre.
Des bouteilles de bières jonchent le sol, un joint passe de main en main. La fumée cherche un point de fuite pour se volatiser. Yazid fait le tour de la tribu pour récolter quelques pièces, indispensables pour faire le plein de munitions : des bouteilles de bières. L'addiction à l'alcool ou aux drogues diverses et variées est monnaie courante dans le monde la rue. Un bout de ''shit'' dans les mains, les traits légèrement tirés et marqués, Yazid souffle : ' ce n'est pas tous les jours faciles. Le monde de la rue est un univers cru, sans complaisance où la réalité est assez abrupte et la violence quotidienne'. Le ton de sa voix est posée, il ne cherche pas l'apitoiement d'une tierce personne. Aucun ne se plaint, cela leur paraît inutile.
Papi, un vieux de la vieille dans le monde de la rue, casquette vissée sur la tête, les cheveux longs, une barbe d'une semaine, explique que 'la descente aux enfers a été rapide pour lui'. Il était marié, a eu un enfant, puis un jour son couple est parti de travers, il a été licencié et sa vie a basculé. Trash, lui, a une histoire différente : 'mes parents ont divorcé quand j'avais dix ans. Par la suite mon père s'est remarié et les problèmes ont commencé pour moi. Je ne m'entendais pas du tout avec ma belle mère, les relations se sont tendues avec mon père. Et puis un jour j'ai claqué la porte, et me voici, me voilà'.
Sac à dos à portée de main, l'Ancêtre fait parti de cela. De péripéties en parcours du combattant pour trouver un endroit 'convenable' pour la nuit, il ironise sans gêne sur son quotidien : 'Le matin je suis réveillé par les services de propreté de la ville qui nettoient au jet d'eau les trottoirs. On peut dire que c'est du deux en un : j'ai le droit à un réveil et à une douche gratuite'. Pensif il tire une bouffée sur sa cigarette et laisse la parole à Papi : 'ça fait un an que je suis sorti de la rue. Maintenant j'ai un petit studio sur les pentes de la Croix-Rousse. J'ai pu profiter de l'aide de l'Opac pour obtenir un logement. Mais je viens toujours voir mes potes de la rue, je reste solidaire vis-à-vis d'eux. 10 ans dehors ça ne s'efface pas d'un coup de baguette magique'.
Le soleil s'échine à réchauffer la bande. Il n'en est pas toujours ainsi. 'En hiver nous sommes chassés des centres d'hébergement à 8 heures du matin. Nous passons le reste de la journée dans les gares avec une bouteille à la main pour nous réchauffer' confie l'Ancêtre. 'Il y a aussi le manque d'hygiène. Va dormir une nuit là-bas. Tu verras, tu te réveilleras avec des morpions sur le corps et de fortes démangeaisons' renchérit Yazid.
Visiblement soudés et unis dans la galère, ils partagent vécu, bières... Mais pour la nourriture c'est une autre histoire. 'A chacun sa merde' comme dit l'Ancêtre. Une seule solution donc : faire la manche dans la rue. Trash regarde les gens défilés sur la place des Terreaux puis lâche : 'matte si chacun donnait 10 centimes d'euros je pourrais manger à ma faim tous les jours'. Obligé de subir au quotidien le regard d'autrui, il s'en est accommodé : 'au début c'est un peu dur. Mais de toute façon je n'ai pas le choix si je veux manger. Mendier c'est en quelque sorte jouer à la loterie : il y a des gens qui nous donnent des tickets restaurants, d'autres des fins de sandwich, certains de l'argent, et puis il y a ceux qui nous ignorent et passent leur chemin'.
Capsule remue la queue et sort de l'ombre. Husky, un chien pur race âgé de dix ans, est un atout précieux pour Trash : 'c'est avant tout un compagnon de route. Mais il est précieux la nuit pour me protéger'. Anecdote ou ironie de l'histoire, Capsule mange souvent mieux que son maître et plus à sa faim.
Parfois un de la bande s'emporte, psalmodie contre le monde. Les mots sortent comme ils viennent, puis il se ravise et enchaîne sur un autre sujet.
Les journalistes : 'j'ai donné' lâche un tantinet excédé, Laurent. La meute s'est rencontrée il y a deux ans. Les quatre ont participé à l'opération des tentes plantées sur la place Bellecour par l'association Don Quichotte. C'est là que Laurent a eu des 'expériences malheureuses avec la presse. Les journalistes venaient souvent nous voir, nos propos étaient parfois déformés'. Mis à part cette confrontation, Papi dit 'que certains ont pu bénéficier d'une prise en charge à l'issue de l'opération, mais beaucoup sont restés dans la rue'.
Quand l'avenir est évoqué, aucun ne sait répondre avec exactitude. La suite, pour la bande c'est avant tout et toujours faire face au quotidien.
Vaquant d'un endroit à un autre, une heure plus tard ils ont disparu du décor de la place des Terreaux. A coup sûr ils ne sont pas partis très loin.
Florian Fayolle